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Billet de blog 10 novembre 2025

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L’Orchestre philharmonique d’Israël, symphonie pour un État d’apartheid

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jeudi 6 novembre, le concert de l’orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris a été perturbé à plusieurs reprises par "des individus en lien avec la mouvance contestataire".

Il n'a pas fallu beaucoup de temps pour que les médias et les politiques réagissent, condamnant dans leur ensemble "fermement ces heurts". Bien sûr, comme d'habitude, sans s'interroger sur les causes profondes de ces manifestations, ni sur le droit de protester dans le cadre démocratique.

Cet incident me parait être l'occasion, de nous interroger sur la question du droit à perturber un événement culturel.

Je tiens à préciser, que cette question ne se réduit pas à un débat sur la liberté d’expression ou la légitimité des moyens de protestation. Elle touche à quelque chose de bien plus profond. J'entends par là, le rôle de la culture dans la perpétuation ou la dénonciation des systèmes d’oppression. Elle interroge également, la responsabilité des citoyens face à l’injustice, quand les canaux traditionnels de contestation sont neutralisés par le pouvoir.

Culture et propagande, quand l’art devient un instrument de pouvoir

Pour comprendre pourquoi ce droit doit être défendu, il me semble important, d'analyser les mécanismes de la propagande culturelle, d'une part, et déconstruire le mythe de la neutralité de l’art, d'autre part. Je crois également qu'il est utile de rappeler une vérité historique. L’histoire des luttes pour la justice a toujours été écrite par celles et ceux, qui ont refusé de se soumettre aux règles imposées par les oppresseurs.

Ne soyons pas naïfs. Cet ensemble symphonique n’est pas une simple formation musicale indépendante. Nous savons, qu'il est, financé en grande partie par le gouvernement israélien et présentée comme l’un des fleurons de sa diplomatie culturelle. Ses tournées internationales ne sont pas de simples événements artistiques. Elles s’inscrivent dans une stratégie délibérée destinée à améliorer l’image d’Israël à l’étranger, et à minimiser la perception de ses crimes.

Ce phénomène, n’est pas nouveau. Les régimes autoritaires et les États oppresseurs ont toujours utilisé la culture pour se donner une respectabilité qu’ils ne méritent pas. L’URSS stalinienne avait son ballet, l’Afrique du Sud de l’apartheid ses festivals « multiraciales ». Israël a son orchestre philharmonique, ses festivals de cinéma, ses expositions d’art contemporain. Ces événements ne sont pas neutres. Ils sont conçus pour détourner l’attention des violations des droits humains. Leur but est de présenter une image civilisée d’un État qui exerce une oppression systémique contre le peuple palestinien

Dans ce contexte, perturber ce concert n’est pas une attaque contre la musique ou les musiciens. C'est la machine propagandiste dont ils sont, volontairement ou non, les rouages qui est visé. C’est un acte de résistance qui vise à briser l’illusion de normalité. Car, derrière la beauté des notes se cachent des réalités bien plus sombres. Des villages rasés, des familles déplacées, des enfants emprisonnés, une occupation militaire qui dure depuis plus de cinquante ans. La perturbation devient alors, une manière de forcer le public à voir ce qu’on lui cache habituellement.

Le mythe de la neutralité artistique

Et l'argument que les soutiens d'Israël brandissent, " la culture doit rester un espace neutre, préservé des tensions politiques", ne résiste pas à l'examen . Il me parait en effet évident, qu'aucune œuvre d’art, aucun concert, aucune exposition n’existe dans un vide social ou historique.

L’art est toujours politique, ne serait-ce que par son silence ou son absence de prise de position.

Quand un État comme Israël instrumentalise la culture pour masquer ses crimes, la neutralité devient complicité. Et, cela ne fait aucun doute. De même, Assister à un concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël sans en questionner le contexte politique, c’est d'une certaine façon, participer, à la normalisation de l’oppression. C’est accepter que l’art serve d’alibi à l’injustice. c’est accepter de devenir complice à son tour.

Je pense, en revanche, que la perturbation, est un acte de rupture. Elle force le public à se confronter à des questions qu’il préfère souvent éviter. Cela veut dire, que la perturbation n’est pas une fin en soi. C'est un moyen de briser l’indifférence, de rappeler que la culture n’est pas un refuge, mais un champ de bataille.

Et d'ailleurs, l’histoire des luttes sociales est très éclairante. Elle montre que les grands changements ne sont jamais venus de la modération. Les militants anti-apartheid ont boycotté et perturbé les événements culturels liés au régime sud-africain. Les mouvements décoloniaux ont occupé, bloqué, interrompu. Les militants pour les droits civiques aux États-Unis ont organisé des sit-in, des marches, des actions directes. Toutes ces actions, souvent qualifiées de radicales ou d’extrêmes à l’époque, sont aujourd’hui reconnues comme des étapes nécessaires dans la conquête des droits et des libertés.

J'observe, que dans le cas de cet orchestre, la perturbation s’inscrit dans cette lignée. Elle est une forme de boycott culturel, une manière de dire : nous ne participerons pas à la normalisation de l’oppression. Nous ne laisserons pas la beauté des notes couvrir le bruit des bombes et du génocide. La perturbation est un acte de solidarité avec les opprimés. C'est une manière de leur rappeler qu’ils ne sont pas oubliés, que leur lutte est aussi la nôtre.

Elle est aussi un acte pédagogique. Elle force les spectateurs à sortir de leur bulle. Elle crée un choc, qui peut mener à la prise de conscience. Bien sûr, certains seront choqués, indignés, voire hostiles. Et, c’est précisément là le but. Les faire réagir, les pousser à questionner leur propre complicité passive.

Défendre le droit à perturber, me semble être un moyen d'affirmer, qu’il existe un devoir de résistance face à l’injustice. Face à un État qui commet des crimes contre l’humanité, maintient un système d’apartheid, occupe illégalement des territoires, la neutralité n’est plus une option.

La perturbation d'un concert est dans ce contexte, une réponse proportionnée à la violence exercée par l’État israélien. Elle est une manière de dire : nous ne laisserons pas l'art servir d'alibi à l'oppression.

Bien sûr, elle doit être pensée et accompagnée d’un discours clair. Elle doit s’inscrire dans une stratégie plus large de résistance et de solidarité. Elle doit respecter une éthique. Ne pas tomber dans la violence physique. Ne pas cibler les artistes eux-mêmes. Mais elle est nécessaire, car elle brise le consensus mou, elle force les gens à choisir leur camp.

La culture a toujours été un enjeu de pouvoir, un terrain de lutte entre dominants et dominés. Les classes dirigeantes l’ont toujours compris. c’est pourquoi elles financent les musées, les orchestres, les festivals. Elles savent que la culture est un outil de légitimation, un moyen de façonner les imaginaires collectifs.

Face à cela, les mouvements de résistance n’ont d’autre choix que de s’emparer à leur tour de la culture. Pour la réinventer. C’est une manière de dire, que nous aussi avons le droit de définir ce que signifie l’art et la justice.

Soyons clairs, en perturbant un concert de l’Ensemble philharmonique d’Israël, on ne détruit pas la culture. On la libère. On la rend à sa vocation première. Être un espace de contestation, de débat, de transformation sociale. On rappelle que l’art n’est pas un miroir tenu face à la réalité. C'est plutôt, un marteau avec lequel on la façonne, pour reprendre les mots de Bertolt Brecht.

Certains nous répondront que la perturbation est une forme de censure, qu’elle porte atteinte à la liberté artistique. Mais cette objection repose sur une confusion. La perturbation ne vise pas à interdire le concert, mais à en révéler le contexte politique. Elle ne s’attaque pas à la musique, mais à l’utilisation politique qui en est faite. La vraie censure, c’est celle qui consiste à utiliser l’art pour masquer les crimes et imposer un récit unique.

D’autres nous diront que la perturbation est contre-productive. Elle braque le public et le pousse à se refermer sur ses positions. Mais l’histoire montre au contraire, que c’est souvent par la confrontation, que les consciences se réveillent et que les rapports de force se déplacent.

Enfin, certains invoqueront le respect dû aux artistes et au public. Mais quel respect peut-on avoir pour une institution qui sert de vitrine à un État criminel ? Pour un public qui ferme les yeux sur l’oppression ? Le vrai respect, c’est celui qu’on doit aux victimes, aux opprimés, à celles et ceux qui luttent pour leur dignité.

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