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Billet de blog 12 juin 2025

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RAlLLER POUR RÉGNER : REFLET D'UN ORDRE OCCIDENTAL EN DÉCOMPOSITION

Une opération humanitaire transformée en cible de moqueries : voilà la réaction de l'occident face à un acte de désobéissance morale. Ce n'est pas seulement une preuve de cynisme. C'est un révélateur.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La flottille pour Gaza, en brisant le silence, expose la mécanique d’un système qui préfère l’humiliation à l’introspection, la dérision à l’autocritique.

Car ce qui me gêne profondément, ce n’est pas la forme de l’action médiatisée, symbolique, imparfaite. Ce qui dérange, c’est ce qu’elle dit du monde tel qu’il est : un monde où le droit humanitaire est piétiné, où les gouvernements dits « civilisés » marchandent leur indignation, et où les journalistes se font les porte-voix d’un ordre violent, mais bien habillé en tournant en ridicule une flotille qui cherche à briser un blocus meurtrier.C'est le cas de Elisabeth Martichoux sur LCI qui sur un ton sarcastique et dédaigneux renvoie cet acte désobéissant dans le registre du spectacle et du folklore en le qualifiant de "croisière". Et de François Degeois sur Sud Radio qui qualifie l'opération de "drama queen".

Qu’ils s’en prennent à Greta Thunberg, à Rima Hassan ou à n’importe quel militant, peu importe. L’objectif est clair : les disqualifier, les caricaturer en enfants gâtés ou en agitateurs narcissiques. Cette rhétorique, qui reprend mot pour mot celle de l’armée israélienne, n’est pas seulement paresseuse : elle est réactionnaire.

L'OCCIDENT EN FAILLITE : ENTRE COUARDISE DIPLOMATIQUE ET COMPLICITÉ ASSUMÉE

La posture des dirigeants occidentaux ne peut plus être qualifiée de « prudente » ou « équilibrée ». Elle est, en réalité, une reddition éthique. Le refus de condamner fermement un arraisonnement illégal, ou pire, de le traiter comme un simple incident diplomatique, est un choix politique. C’est entériner qu’il existe des droits humains négociables, des morts qui comptent moins que d’autres, des crimes que l’on peut regarder sans les nommer.

Cette position n’est pas due à une ignorance. Elle est fondée sur un calcul : ménager des alliances stratégiques, ne pas froisser Israël pour préserver un accès aux marchés et aux flux d’armes, et surtout, éviter d’avoir à regarder en face ce que signifie réellement le mot « génocide » en 2025. Car si la qualification s’impose, comme le suggère le mandat d’arrêt de la CPI contre Netanyahou alors il faudra répondre à une question brutale : où étiez-vous ?

LE RIDICULE COMME ARME POLITIQUE : DOMINATION PAR L'HUMILIATION

Moquer la flottille, c’est tenter de désamorcer ce qu’elle représente : la capacité d’un collectif à sortir du silence quand les institutions se taisent. La dérision sert ici à réaffirmer une hiérarchie : celle des voix qui comptent et de celles qui doivent se taire. Ce n’est pas simplement une bataille de récits : c’est une guerre culturelle sur ce qui est autorisé à être visible, digne, audible.

Rappeler que des militants ont risqué leur sécurité pour livrer de la nourriture à une population affamée est dérangeant. Car cela jette une lumière crue sur l’inaction volontaire de nos gouvernements, sur le rôle passif ou complice de l’Union européenne, et sur l’énorme distance entre les discours des chancelleries et la réalité des corps affamés.

Le rire des puissants est souvent l’ultime barrière avant la peur. Car derrière les moqueries, il y a une inquiétude : celle de voir la fiction humaniste occidentale fissurée par des actes concrets qui révèlent le mensonge sous-jacent.

LA FLOTILLE : UNE INSURRECTION MORALE 

Ce que révèle l’accueil réservé à la flottille, c’est une vérité que beaucoup refusent d’affronter : nous vivons dans un monde où l’humanitaire dès lors qu’il dénonce un système de domination, est caricaturé comme extrémiste ou ridicule.

La flottille ne prétend pas sauver Gaza. Elle prétend réveiller les consciences. C’est déjà trop. Car elle oblige les élites à choisir : rester dans le confort de l’indifférence, ou reconnaître qu’un crime se joue sous leurs yeux. Et très peu veulent choisir. Alors ils rient. Pour ne pas penser. Pour ne pas voir.

Mais ces rires ne dureront pas. Car ce que montre la flottille, c’est qu’un autre récit est possible. Un récit qui ose dire que l’ordre international n’est pas neutre, qu’il protège les forts contre les faibles, qu’il se pare des habits du droit pour justifier les pires violences.

Les sarcasmes lancés contre la flottille ne sont pas des erreurs de jugement. Ce sont les signes d’un système à bout de souffle, qui ne sait plus convaincre, seulement se moquer. Un monde qui n’a plus d’idéaux à offrir, seulement des railleries pour masquer ses renoncements.

La flottille dérange car elle rappelle que l’humanité n’est pas une posture, mais une pratique. Qu’il est encore possible de dire non, même symboliquement. Et que ce « non » a plus de force que tous les rires réunis.

Car au fond, ce n’est pas la flottille qu’ils veulent faire taire. C’est la possibilité même de résister.

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