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Billet de blog 21 juillet 2025

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Justice d'exception, et rhétorique de l'indignation : l'affaire Georges Abdallah

Décidément, Bruno Retailleau ne rate aucune occasion d'user de sa rhétorique émotionnelle et binaire réduisant ainsi la complexité du réel à des schémas simplistes. Et sa dernière sortie à propos de la libération de Georges Abdallah ne déroge pas à la règle.

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Décidément, Bruno Retailleau ne rate aucune occasion d'user de sa rhétorique émotionnelle et binaire réduisant ainsi la complexité du réel à des schémas simplistes.

Et sa dernière sortie à propos de la libération de Georges Abdallah ne déroge pas à la règle.

En effet, son discours mobilise un registre de langage qui repose sur des dichotomies morales tranchées, "victime contre bourreau", "État contre terroristes", "République contre islamo-gauchisme", et réduit la complexité du réel à des schémas simplistes.

Ces déclarations reposent sur une stratégie politique claire  qui consiste à transformer une décision judiciaire complexe en symbole d’un effondrement moral et sécuritaire de l’État. On le voit bien, cette stratégie ne se limite pas à critiquer l’individu ou le geste judiciaire ; elle généralise, en faisant de cette affaire le révélateur d’un prétendu laxisme généralisé, et d’une trahison des valeurs républicaines par une partie de la gauche, notamment La France insoumise, dont le ministre fustige, "l'indignité" pour avoir célébré la libération du plus ancien détenu politique de France.

Quoiqu'il en soit, ce glissement rhétorique mérite à mon sens une critique rigoureuse que je résumerai en ces termes :

D’abord, Bruno Retailleau passe outre un élément fondamental : Georges Abdallah est libérable depuis 1999. Qu’il soit resté détenu plus de 40 ans malgré sa peine incompressible accomplie relève d’un usage politique du droit qui, en soi, posait déjà problème au regard des standards européens.

La justice française a fini par acter une vérité juridique : il n’est plus légalement justifiable de maintenir une personne en détention indéfinie au nom d’un ressentiment moral ou politique.

En contestant cette décision, on ne remet pas seulement en cause un homme, mais on fragilise la légitimité même de l’autorité judiciaire au profit d’une justice d’exception, soumise à l’émotion et à la pression politique. C'est l’indépendance de la justice, pilier essentiel de l’État de droit qui est ainsi sapée.

Mais au-delà du droit, on peut observer que c’est surtout une logique binaire qui est à l’œuvre. En opposant systématiquement les "bons Républicains" aux "mauvais Français", ceux qui s’indigneraient trop peu, Bruno Retailleau érige la morale en dogme politique, et transforme toute nuance en suspecte complaisance.

Ce procédé permet de disqualifier tout discours qui ne s’inscrit pas dans le rejet absolu, immédiat et simpliste. Quiconque rappelle le contexte historique du Liban dans les années 1980, ou les questions liées à la détention longue, est immédiatement soupçonné de faiblesse, voire de complicité.

Ainsi, la complexité est remplacée par le soupçon, et la critique du pouvoir devient elle-même illégitime.

Ce positionnement révèle aussi une instrumentalisation de la mémoire. Si le ministre de l'intérieur mobilise, de manière légitime à première vue, la mémoire des victimes des attentats, il en fait un levier d’exclusion où toute divergence d’interprétation devient offense à cette mémoire.

Or, la mémoire, dans une démocratie, doit servir à comprendre, non à condamner sans appel. Il ne s’agit pas de nier la douleur des victimes, mais de refuser qu’elle serve de barrage à toute réflexion politique.

Enfin, ce discours alimente une stratégie de polarisation électorale. En assimilant la gauche radicale à un danger pour la République, il cherche à réactiver une logique d’union sacrée autour des "valeurs" de la droite.

On voit bien ici, qu'il s'agit d'un appel à l’émotion qui vise à écraser le débat rationnel. Mais ce faisant, il fragilise ce qu’il prétend défendre, c'est-à- dire, la démocratie qui ne vit pas de consensus forcés, mais de conflits civils régulés.

À force de désigner des ennemis de l’intérieur, on finit par transformer l’espace public en champ de bataille moral, où le dialogue devient impossible.

En somme, le positionnement de Bruno Retailleau est cohérent sur le plan stratégique, mais profondément contestable sur le plan démocratique. Il refuse la temporalité du droit, réduit la justice à un outil d’autorité morale, et participe à une simplification brutale du réel.

J'en conclus que cette posture, en prétendant défendre la République, en mine les fondements, à savoir, l’indépendance de la justice, la pluralité du débat, et le refus de toute justice d’exception.

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