Je suis frappé par le discours actuel du gouvernement israélien sur l’antisémitisme. Et comment ne pas l'être, quand on observe qu'il fonctionne désormais comme un outil politique, déployé de façon quasi-automatique, déconnecté de la réalité historique et morale censée le justifier ?
L’antisémitisme, violence profonde et persistante, reste un traumatisme collectif que porte la mémoire juive. Justement parce que celle-ci est lourde, son utilisation à des fins politiques n’est pas seulement inconfortable : elle devient risquée.
Quand Netanyahou affirme que reconnaître un État palestinien, c’est alimenter la haine des Juifs en France, il ne se contente pas de relater un fait : il cherche à délégitimer une position politique. Il brouille délibérément la frontière entre la critique d’un gouvernement et la haine d’un peuple. Ce glissement rhétorique, subtil mais récurrent, transforme toute opposition à la politique israélienne en suspicion d’antisémitisme. C’est une stratégie d’amalgame qui piège le débat dans une impasse morale.
Ce procédé, à force d’être utilisé, produit un effet délétère immense. L’antisémitisme, invoqué hors de propos, perd de son poids ; sa gravité s’effrite, son terme se banalise alors qu’il devrait demeurer d’une intransigeante solennité. Surtout, cette posture détourne l’attention des discours et actes antisémites, pour mieux les dissoudre dans une défense exclusivement nationaliste. Et elle a pour effet ultime d’étouffer le débat critique sur les choix d’un État, comme si désormais il fallait se résoudre à une loyauté aveugle ou se voir relégué parmi les ennemis d’Israël.
Et, il ne fait aucun doute, que cette instrumentalisation abîme la parole politique, la mémoire des victimes réelles de l’antisémitisme et réduit la possibilité d’exercer une critique juste. Pour ma part, aucun doute ne subsiste quant aux intentions de Netanyahou. La guerre qu'il mène à Gaza ne vise ni la sécurité d’Israël, ni l’élimination du Hamas ou la libération des otages. Ces objectifs, servis à l'opinion internationale comme justifications, servent surtout d’alibi à une entreprise plus profonde : pousser le projet du Grand Israël, l’annexion de la Cisjordanie et de Gaza, et la disparition de toute souveraineté palestinienne.
Cette démarche n’a rien de spéculatif. Elle se traduit par l’intensification des bombardements sur Gaza, l’extension des colonies en Cisjordanie, le soutien aux groupes extrémistes dans les territoires occupés, et le choix idéologique d’un gouvernement pour qui la présence palestinienne n’est pas une question politique, mais un obstacle à éliminer.
Dans ce cadre, la reconnaissance internationale de l’État palestinien, notamment par la France, l’Espagne, la Norvège ou l'Australie, ne constitue pas une menace diplomatique, mais une rupture dans le récit sécuritaire que le premier ministre israélien veut imposer. Cette reconnaissance, même si elle vient tardivement, redonne une existence politique à ce que le gouvernement cherche à effacer : un peuple, un droit, un projet national.
Pour disqualifier cette reconnaissance, le pouvoir israélien mobilise l’argument de l’antisémitisme, dans une posture moralement préoccupante. En assimilant l’acte politique de reconnaissance à la haine des Juifs, il inverse le rapport entre victimes et bourreaux, et redéfinit l’antisémitisme comme toute action contrariant le projet israélien. Cette confusion volontaire permet d’accuser tout critique, même allié, de connivence avec l’ennemi. C’est un chantage moral sophistiqué. Le plus grave, c’est la fonction de cette rhétorique : recouvrir un projet d’effacement politique, et d'anéantissement physique du peuple palestinien.
Si l’on met en suspens les justifications sécuritaires, on observe un gouvernement, colonisant, bombardant, affamant, instaurant un régime d’apartheid, et qui, face à une alternative politique, crie à l’antisémitisme. Ce n’est pas une défense, c’est une fuite vers une logique de domination totale. en instrumentalisant la mémoire juive, ce n’est pas l’antisémitisme que Netanyahou combat, mais le droit à l'existence du peuple palestinien.
Et, c’est précisément cet objectif que ce dernier cherche à réaliser, à travers son projet de conquête de Gaza et d'annexion de la Cisjordanie, avec l'ambition de s'étendre à d'autres territoires arabes de la région.