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Billet de blog 24 novembre 2025

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Violence urbaine, et si on regardait enfin les vraies causes ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La mort du jeune Mehdi Messaci, est un événement tragique dont l’onde de choc est parfaitement compréhensible. Mais ce qui l'est moins, c'est la façon dont la mécanique politico-médiatique désormais bien rodée, s'en est emparée. En effet, elle a transformé, un fait particulier, en clé d’interprétation globale d’un supposé "problème des quartiers populaires". Il ne faut pas penser, que ce réflexe de généralisation abusive n’est qu'une erreur de jugement. Il est plutôt, l’un des symptômes les plus visibles d’une tendance structurelle à construire ces espaces comme des territoires d’exception. Comme si la violence y avait une origine interne et autonome, déconnectée des dynamiques sociales et politiques de long terme.

De la panique morale à la stigmatisation politique :

Ce qu'on observe ici, est ce que le sociologue Stanley Cohen appelait déjà dans les années 1970 une “panique morale”. Il s'agit, d'un phénomène au cours duquel, un groupe social est désigné comme menace symbolique, pour alimenter une demande d’ordre qui dispense de penser la complexité du réel.

L’histoire récente regorge de moments où ce mécanisme s’est enclenché. Après les assassinats de 2012 à Toulouse et Montauban, certains ont amalgamé délinquance de cité, islamisme et immigration, comme si l’un expliquait mécaniquement l’autre. Lors des émeutes de 2023, déclenchées par la mort de Nahel Merzouk, on a vu resurgir la rhétorique des “sauvageons” popularisée dans les années 1990. Elle réactive l’idée d’une jeunesse intrinsèquement menaçante. Alors même, que les études menées après les émeutes de 2005 par les sociologues Fabien Truong, ou encore Olivier Masclet montrent au contraire, que ces épisodes de violence expriment avant tout un rapport conflictuel à l’institution. Nourri principalement par un sentiment profond d’injustice, de discrimination et de relégation.

Ce qui manque dans le débat public, c’est précisément cette contextualisation sociologique. Les chercheurs n’analysent jamais la violence comme le produit d’une prédisposition morale, mais comme le résultat de mécanismes sociaux prévisibles : la désaffiliation (Robert Castel), la relégation urbaine (Jacques Donzelot), l’accumulation de désavantages (Pierre Bourdieu), les trajectoires interrompues (Bernard Lahire). Loin d’inventer des excuses, ils mettent en lumière comment des contextes de vie dégradés produisent mécaniquement des risques accrus de déviance, un peu comme certaines conditions environnementales favorisent l’apparition de maladies. La prévention devient alors non pas un luxe mais une nécessité.

Un exemple concret illustre cela : dans certains quartiers d’Épinay-sur-Seine ou de Marseille-Nord, des équipes de chercheurs ont montré que le trafic de stupéfiants s’implante systématiquement dans les zones où les équipements publics ont disparu les uns après les autres. Dans une cité des Quartiers-Nord étudiée par Véronique Le Goaziou, la fermeture du centre de jeunesse, du club de foot local et de la maison de quartier a précédé de quelques années l’installation d’un réseau structuré. Le vide laissé par les institutions a été rempli par l’économie parallèle, qui a offert aux adolescents un espace d’appartenance, un revenu, une forme de reconnaissance, autant d’éléments que l’État n’offrait plus. Rien n’est plus faux que l’idée selon laquelle, les jeunes basculent dans la délinquance par goût ou par nature. Non, ils y basculent lorsque les alternatives s’effondrent.

L'affaiblissement du tissu associatif, un tournant décisif :

Il faut savoir, que ce phénomène s’est développé avec la fermeture d’associations de terrain, souvent les seules structures encore en capacité de maintenir un lien éducatif et social. À Marseille, dans les 13e, 14e et 15e arrondissements, plusieurs centres sociaux et associations d’éducation populaire ont dû fermer faute de financements. Les éducateurs de prévention spécialisée décrivent des quartiers où la disparition de ces lieux de sociabilité a eu des effets immédiats. Des jeunes auparavant encadrés lors de sorties, d’ateliers culturels, ou de chantiers éducatifs se retrouvent désormais livrés à eux-mêmes, dans des espaces où plus aucun adulte référent n’est présent.

À Grenoble, un phénomène similaire a frappé la Villeneuve, Teisseire et le Village Olympique. Dans ces quartiers, les dispositifs de prévention ont été fortement réduits ou restructurés au détriment de la présence quotidienne sur le terrain.

A titre d'exemple, la situation de la MJC Prémol, au cœur du Village Olympique, que je connais bien, est emblématique. Longtemps pilier de la vie sociale du quartier, cette MJC proposait du théâtre, des ateliers artistiques, de l’accompagnement scolaire, des actions de citoyenneté, des accueils pour les adolescents... Sa fermeture, avec le retrait successif de ses activités, a eu pour effet exactement ce que les sociologues appellent une “désinstitutionnalisation du quotidien”. Ce concept, développé notamment par Peter Berger et Thomas Luckmann décrit la manière dont la vie quotidienne n'est plus encadrée par des institutions stables. Les individus sont alors obligés de construire eux-mêmes leurs normes et leurs trajectoires.

Les conséquences sont immédiates. Les familles se sont retrouvées privées d’un espace où elles pouvaient trouver écoute, entraide, médiation, présence adulte stable. Les adolescents qui participaient aux ateliers sont désormais dans la rue, sans alternative, dans un quartier déjà fragilisé par la précarité économique.

Cette disparition est à mon sens, un acte politique lourd de conséquences. En effet, personne ne peut ignorer, que la nature a horreur du vide. Là où l’État social se retire d’autres forces s’installent : logiques de bande, solidarités parallèles.

Comment les pouvoirs publics peuvent-ils prétendent lutter contre la délinquance, alors qu'ils ferment précisément ce qui en constituait l’un des garde-fous essentiels.

À Grigny, l'une des villes les plus pauvres de France métropolitaine, les associations de quartier ont obtenu des progrès importants, en mettant en place des médiations, des permanences d’aide aux familles. Mais ces actions ne tiennent que lorsqu’elles sont financées durablement. Ce qui est de plus en plus rare.

Par ailleurs, les travaux du sociologue Laurent Mucchielli montrent très clairement que les "points chauds" de la violence urbaine ne sont jamais le fait du hasard. En effet, ils suivent presque toujours des lignes de fracture socio-économiques.

Là où le chômage des jeunes dépasse 35 %, où les parents sont majoritairement cantonnés aux emplois précaires, où la mobilité résidentielle est très faible, les tensions s’accumulent. Il en est de même, des recherches d’Olivier Galland sur les trajectoires post-collège. Elles montrent que lorsque l’école ne permet plus d'ouvrir des perspectives, la jeunesse se tourne vers d’autres systèmes de valeur, qui proposent une ascension rapide, même si elle est dangereuse et illusoire.

Les exemples étrangers sont à ce titre, très éclairants. En Allemagne, le programme, "Ville Sociale", a permis une réduction importante de la petite délinquance, grâce à la rénovation urbaine et un investissement massif dans les services publics. C'est le cas également, dans certains quartiers de Berlin, où la présence renforcée d’éducateurs, de médiateurs et d’infrastructures culturelles a eu un effet bien plus important que toutes les opérations policières. À Glasgow, autrefois frappée par une violence de rue endémique, la stratégie mise en place par le "Service de réduction de la violence", a réussi à combiner suivi psychologique, accompagnement scolaire, mentorat. Les résultats sont spectaculaires En dix ans, la ville a réduit de moitié ses violences graves. Tous ces exemples aboutissent à la même conclusion : la répression n'est efficace que si elle s’inscrit dans une stratégie globale.

En France, l’une des erreurs est de penser que la police est en mesure de compenser les déficits de l’État social. Mais comme l’a montré le sociologue Didier Fassin dans son ouvrage, "La Force de l’ordre", la police est souvent déployée pour gérer des situations sociales plus que criminelles. Elle devient, de ce fait, le représentant visible d’un État absent partout ailleurs. A l’école, dans la santé mentale, dans le logement... Cette situation, crée une relation de tension permanente. Et il n'est donc pas surprenant, que pour des jeunes qui ne rencontrent jamais l’État protecteur, la police devienne le seul visage de l’État. Ce sentiment d’injustice, alimente un rapport conflictuel qui se transmet de génération en génération.

J'ajouterai à ce constat, l'absence de démocratie locale qui renforce le sentiment d'abandon . En effet, les habitants des quartiers populaires sont rarement consultés dans l’élaboration des politiques publiques qui les concernent.. Alors, comment croire, dans ces conditions, que l’État se soucie de vous si aucune de ses décisions ne vous inclut ?

Et, c’est bien ici, que l’analyse sociologique du rôle des MJC prend tout son sens. Nous savons, que historiquement, les Maisons des Jeunes et de la Culture sont nées d’un modèle républicain ambitieux. Celui de l’émancipation collective par la culture, le débat, la participation citoyenne.

Elles restent aujourd'hui, les seules institutions qui proposent dans un même lieu, des activités artistiques, de l'accompagnement à la scolarité, de la cohésion sociale et de la présence adulte quotidienne. Et, Les sociologues de l’éducation populaire, comme Jean-Claude Richez, montrent bien, que ces espaces fonctionnent comme des “institutions de socialisation douce”. C’est-à-dire des lieux où l’autorité n’est pas imposé où la règle est expliquée, pratiquée, discutée. Leur force est précisément ce que l’État n’arrive plus à produire : du lien.

La fermeture des MJC dans les quartiers populaires, traduit un abandon de l’idéal d’éducation populaire. Car, elle retire aux jeunes un lieu où ils peuvent expérimenter autre chose que la stigmatisation, la surveillance ou le soupçon permanent. C’est l’une des rares institutions où un adolescent en difficulté scolaire, voire en rupture avec son parcours scolaire peut trouver un adulte qui le considère sans le juger. Et ce simple fait diminue les comportements à risque. Il ne fait aucun doute, que la disparition de ces espaces est une cause directe de l’aggravation des tensions.

Je pense, que la véritable question politique n’est pas de savoir : "Comment punir plus fort ?", mais, "Comment empêcher que la violence prenne racine ?" Cela suppose une vision où le sécuritaire et le social, l’immédiat et le structurel, la prévention et la sanction sont articulés. Et force de constater, qu'on y est bien loin. Le rôle de L’État est de prévenir la violence, pas uniquement de traiter ses conséquences. Pour cela, il doit être présent dans les classes, dans les gymnases, dans les médiathèques, dans les rues... pas seulement au travers de patrouilles de police.

Le meurtre de Mehdi Messaci est un drame terrible. Aucun jeune ne devrait mourir d’une telle violence. Mais pour autant, sa mort, ne doit pas donner prétexte pour pointer du doigt des territoires entiers. Le faire revient à ignorer les dynamiques profondes qui produisent ces drames. Le faire, c'est privilégier la répression plutôt que la prévention.

Je crois, qu’un autre chemin est possible. C'est celui d’une politique publique fondée sur l’investissement éducatif, la lutte contre l’échec scolaire, la dignité sociale. Bien sûr, ce chemin est plus long, moins spectaculaire, moins "vendeur" médiatiquement, mais c’est le seul qui ait prouvé, dans l’histoire, son efficacité durable.

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