Ma conviction est qu'il est grand temps d’en finir avec le mythe de l’innocence collective de la société israélienne. À force de détourner le regard sur la longue marche de la colonisation et de l’occupation, l’idée d’une société manipulée ou inconsciente s’est imposée comme un écran de fumée commode.
C'est d'ailleurs, dans cette logique que les manifestations anti-gouvernementales qui secouent le pays, se limitent à exiger l'arrêt de la guerre, en vue de la libération des otages, sans jamais dénoncer les crimes commis à Gaza.
Que nous disent l’histoire et le présent, quand nous les regardons froidement ?
Israël dans son écrasante majorité, a choisi, génération après génération, de perpétuer un système fait d’humiliation, de dépossession, et de violence institutionnelle à l’égard du peuple palestinien.
Cette responsabilité n’est pas abstraite. Elle se lit dans chaque vote, chaque silence, chaque justificatif médiatique ou éducatif qui déshumanise les Palestiniens et justifie leur opprobre.
Pendant plus d’un demi-siècle, Israël n’a cessé de confisquer terres, maisons, vies, au nom d’un « droit » historique érigé en totem, mais qui n’est rien d’autre que la légitimation de l’accaparement et du bannissement. Le bilan se passe de tout commentaire : près de soixante dix mille habitations palestiniennes démolies, plus de cent mille hectares de terres volés, des centaines de milliers de personnes déplacées, sept millions de réfugiés éternellement privés du droit au retour. Voilà la réalité froide, d’un projet d’exclusion planifié, méthodique et revendiqué.
Mais l’hypocrisie va plus loin. Lorsque la guerre ravage Gaza, que les images d’enfants mutilés et de quartiers entiers rayés de la carte circulent, aucune vague d’indignation ne traverse la rue israélienne. Ce n’est pas une absence de compassion fortuite, mais le fruit abouti d’une société entraînée à ne reconnaître l’humanité qu’à ceux qu’elle revendique comme « sien ». Les médias, l’école, l’administration, tout concourt à nier le visage, la voix, le droit de celles et ceux qui subissent, au quotidien, blocus, répression, meurtres impunis, enfermement systématique.
Chacun s’étonne, hors d’Israël, de la focalisation obsessionnelle sur la seule vie des otages, traitée comme si, face à elle, mille vies palestiniennes ne pesaient rien. Mais il ne s’agit pas d’aveuglement mais d’un choix moral clair.
Nul ne saurait nier, que la hiérarchie des vies n’est pas un accident. Elle est le fondement d’une idéologie d’apartheid et d’exclusion, inscrite dans la loi, dans la terre, dans les pratiques militaires et dans l’identité nationale assumée. On le voit bien, là où l’État d’Israël offre une citoyenneté immédiate à quiconque, pourvu qu’il soit juif, sept millions de réfugiés palestiniens voient, eux, leur droit au retour, à la propriété, à la dignité, foulé au pied .
Et qu’on ne vienne pas chercher d’issue dans un sursaut de morale nationale. L’indignation sélective qui ressurgit à l’occasion de la guerre ne fait qu’amplifier la mécanique du consentement : seules les souffrances israéliennes valent que l’on parle de trêve ou d’arrêt des hostilités, tandis que la destruction lente, méthodique, des territoires palestiniens, l’étranglement de populations rurales ou urbaines, la prison à ciel ouvert de Gaza, tout cela est traité comme un bruit de fond insignifiant, une conséquence collatérale normale de la pulsion coloniale.
Il faut le dire avec force : la société israélienne s’est faite, et se fait chaque jour, le complice de l’écrasement d’un peuple, par sa complaisance, son adhésion électorale et sa passivité. On ne peut pas déposséder, coloniser, humilier, enfermer, et prétendre, en même temps, être victime d’un malentendu historique. Le destin de la Palestine n’est pas un accident de l’histoire. Il est l’aboutissement d’un projet colonial assumé, pour lequel la majorité israélienne a, décennie après décennie, donné son feu vert, entériné par la législation, les urnes et le discours public.
La guerre à Gaza n’a pas révélé une crise morale en Israël : elle a mis à nu ce que cette société est devenue, ou plutôt ce qu’elle a toujours été.