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Billet de blog 27 mai 2025

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LES QUARTIERS POPULAIRES FACE À LA DÉPOLITISATION INSTITUTIONNELLE

Les habitants des quartiers populaires ont une conscience aiguë des injustices qu’ils subissent au quotidien. Pourtant, leur parole est niée, leur lucidité disqualifiée, et leurs espaces de vie confinés à des logiques apolitiques.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis frappé par la récurrence des discours politiques et médiatiques sur les quartiers populaires qui tendent à les figer dans des représentations réductrices et stigmatisantes. Associés à des territoires "à problème", ces espaces où vivent en majorité des populations issues de l’immigration et des classes populaires, sont régulièrement désignés comme des foyers de menace sécuritaire et identitaire. Ces discours s'inscrivent dans une stratégie qui consiste à dépolitiser ces quartiers afin de contenir leurs habitants dans des formes de gestion sociale, tout en masquant les véritables causes des inégalités qu’ils subissent.

Conséquence directe de cette stratégie : les habitants des quartiers populaires se retrouvent enfermés dans des espaces volontairement apolitiques. Les lieux qui leur sont dédiés illustrent parfaitement cette orientation. Pensés comme des espaces d’insertion, de médiation ou d’animation culturelle, ils répondent à des logiques gestionnaires où l’on vient « apaiser », « occuper », « prévenir », mais rarement politiser. On observe en effet, que toute forme de contestation y est encadrée, neutralisée, quand elle n’est pas purement découragée par des mécanismes de contrôle institutionnels, notamment à travers les modes de financement et les partenariats imposés.

Cela se reflète aussi très concrètement dans les actions des pouvoirs publics, qui multiplient les événements festifs – concerts, fêtes de quartier, ateliers ludiques – tout en évitant d’organiser de véritables espaces de débat citoyen ouverts aux habitants, et particulièrement aux plus modestes. Là où il serait urgent d’échanger sur les grands enjeux qui traversent la société, justice sociale, écologie, discriminations, démocratie, on préfère canaliser l’attention sur des formes de convivialité consensuelle et dépolitisée. Cette orientation culturelle est tout sauf neutre : elle participe à une forme d’invisibilisation de la parole politique des classes populaires, comme si leur rôle se limitait à « bien vivre ensemble » sans jamais interroger le monde dans lequel ils vivent.

Fort de 18 années d’expérience en tant que coordinateur de l’accompagnement à la scolarité au Village Olympique, un quartier classé en politique de la ville à Grenoble, j’ai pu mesurer à quel point les habitants de ces territoires ont une conscience aiguë des injustices qu’ils subissent au quotidien et portent un regard lucide sur les discriminations systémiques, sur la ségrégation urbaine, sur l’appauvrissement des services publics, et sur l’instrumentalisation constante de leur quotidien à des fins électoralistes. Les discours politiques dominants invisibilisent cette lucidité en leur assignant des rôles passifs : celui de « jeunes à encadrer », de « femmes à insérer », de « familles à surveiller ». Leur parole politique est niée ou disqualifiée, souvent sous couvert de rationalité républicaine ou de neutralité idéologique.

La question du prétendu communautarisme illustre cette mécanique d’assignation. Ce terme, utilisé à tort comme outil d’analyse, sert avant tout à désigner, et à délégitimer certaines pratiques minoritaires, notamment religieuses. Or, les enquêtes empiriques montrent une tout autre réalité : une forte aspiration à la mixité sociale et ethno-raciale, et un refus massif de l’enfermement dans l’entre-soi. Ce sont d’ailleurs souvent les habitants eux-mêmes qui réclament davantage de diversité, comme en témoignent les mobilisations locales pour plus de mixité scolaire ou territoriale. Si des formes d’entre-soi existent, elles sont loin d’être majoritaires et surtout, elles sont souvent le fruit de contraintes structurelles bien plus que de choix volontaires.

À l’inverse, les véritables logiques d’entre-soi se situent dans les sphères dominantes, où les classes supérieures cultivent une homogamie sociale et raciale à travers le choix de l’habitat, de l’école, et des réseaux relationnels. Mais ce repli-là ne fait jamais l’objet de la même critique, car il est socialement légitimé, voire valorisé.

En réalité, les quartiers populaires regorgent de savoirs et d'expériences qui restent sous le radar institutionnel, parce qu’elles ne passent pas par les canaux classiques, souvent trop éloignés, trop déconnectés, ou trop formatés pour accueillir une parole véritablement ancrée dans les réalités de la précarité et de la discrimination.

Repolitiser ces espaces, ce n’est pas y injecter artificiellement de la politique partisane : c’est leur redonner leur capacité à être des lieux de débat, de confrontation d’idées, d’organisation collective. C'est offrir aux habitants et en particulier aux jeunes, la possibilité de réinventer des espaces de conflit où ils peuvent exprimer leurs différences. Et c'est à mon sens l'absence de ses lieux symboliques qui peut expliquer dans une certaine mesure, les violences urbaines qui secouent les quartiers. C’est permettre que dans un même lieu, on puisse suivre un cours d’alphabétisation, cuisiner ensemble, et débattre des discriminations systémiques ou des politiques urbaines. C’est construire des espaces où l’on ne cloisonne pas les existences entre le social, le culturel et le politique, mais où l’on reconnaît leur imbrication fondamentale.

Pour se faire, il est temps d’écouter ce qui s’y dit, de reconnaître ce qui s’y construit, et de faire place à une politique qui ne soit plus une gestion de la pauvreté, mais une véritable ambition de justice sociale. Dans cette perspective, il est indispensable de faire évoluer les dispositifs institutionnels et idéologiques à l’œuvre.

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