Le soir du 27 octobre 2005, il y a déjà 20 ans, deux adolescents de Clichy-sous-Bois Zyed Benna et Bouna Traoré ont perdu la vie en se réfugiant dans un transformateur électrique pour échapper à une patrouille de police.
Leur mort, a déclenché des émeutes urbaines qui se sont rapidement propagées dans des centaines de communes embrasant, la France pendant trois semaines. Beaucoup de responsables politiques ont cherché à en minimiser la portée, préférant y voir des "violences urbaines" ou des "actes de délinquance, plutôt qu'un soulèvement politique et social. Mais bien sûr, la réalité de ce soulèvement est bien différente. Je pense qu'elle s'inscrit dans une histoire longue de marginalisation, de racialisation et de violences d'État. Tout comme, elle constitue un moment charnière dans la révélation des fractures sociales et raciales de la France contemporaine.
Je voudrais rappeler ici, ce que beaucoup d'études sociologiques ont démontré : les quartiers populaires, et en particulier les banlieues, sont le produit d'une politique urbaine et sociale qui a relégué les populations issues de l'immigration postcoloniale à la périphérie des villes et de la société. La désindustrialisation, le chômage de masse, l'échec scolaire et les discriminations raciales, dans les années 1970-1980 sont devenus endémiques. Ils créent un sentiment d'abandon et d'injustice chez les jeunes générations.
Il me semble important de préciser, que c'est dans ce contexte que Ziyed et Bouna ont grandi. Comme des milliers d'autres jeunes des quartiers, leur vécu est fait de contrôles au faciès, d'humiliations, et d'interpellations arbitraires. Difficile de penser alors, que leur mort, alors qu'ils fuient un contrôle policier, est un accident isolé, qui n'a rien à voir avec la violence institutionnelle qu'ils subissent.
Plus inquiétant encore, la mort de Zyed et Bouna, et les émeutes qui ont suivi, montrent également la dimension raciale des inégalités en France. Les jeunes des quartiers sont majoritairement issus de l'immigration maghrébine ou africaine, et subissent un racisme systémique qui se manifeste dans tous les domaines : emploi, logement, éducation. Sans parler des contrôles d'identité, des propos racistes de certains responsables politiques, (comme ceux de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, qualifiant les émeutiers de "racaille"). Tout cela, alimente un sentiment de révolte et de désaffiliation.
Une évidence s'impose à nous. Même si elles ont une dimension politique, les émeutes de 2005 ne sont pas un mouvement organisé. Elles sont simplement, une réponse à l'oppression et à l'humiliation. En effet, les émeutiers ne sont ni des criminels ni des délinquants, mais des jeunes ordinaires, souvent scolarisés ou en formation, qui refusent de subir sans réagir. Leur révolte est aussi une manière de dire : "Nous existons, nous comptons, et nous ne supportons plus d'être traités comme des sous-citoyens".
Face à cette révolte, l’État a choisi de répondre par la répression. Il a instauré l'état d'urgence, dans le but d'écraser le mouvement. En quelques semaines, plus de 4000 jeunes ont été arrêtés et condamnés à des peines de prison. En qualifiant cette révolte, de " violences urbaines", l'État et les médias dominants ont voulu, construire, l'image d'une "nouvelle classe dangereuse", afin d'occulter ses causes sociales. Pour le sociologue Marwan Mohammed, cette terminologie a permis d'une part, de stigmatiser les jeunes des quartiers et d'autre part, de justifier le durcissement des politiques sécuritaires.
Vingt après les émeutes de 2005, et malgré le déploiement d'un vaste plan de rénovation urbaine, le chômage et les discriminations restent une réalité quotidienne. L'exclusion sociale s'est même aggravée. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 500 personnes, dont une majorité de jeunes sont mortes lors d'interventions policières. Je tiens à préciser, qu'un tiers de ces décès est lié à des contrôles d'identité ou à des tentatives de contrôle.
C'est en cela, que l’anniversaire de Zyed et Bouna n’est pas seulement un rappel tragique du passé. Il est un révélateur des dysfonctionnements persistants de la société française, et des mécanismes de relégation. Il est surtout, le symptôme de l’incapacité des institutions à transformer véritablement les conditions de vie des banlieues.
En conclusion, cet anniversaire me semble l’occasion d’interroger la fonction sociale et politique des émeutes urbaines. Il faut les lire, à mon sens, comme les symptômes d’un malaise structurel. Comme une violence qui parle, une rage qui témoigne d’une longue série d’injustices et de frustrations accumulées. En participant à ces hommages, les jeunes générations s'inscrivent dans une lutte permanente contre les inégalités et pour la pleine citoyenneté. Ils transforment ainsi la mémoire en instrument d’action politique. C’est cette résistance même, cette obstination à faire entendre leur voix, qui constitue une note d’espoir.