Faire encadrer par l'armée une assemblée démocratique - dans le seul but d'écarter les sociétaires trop curieux et les questions gênantes - c'était vraiment trop. L'annulation de l'Assemblée Générale de la société coopérative « caisse locale de Crédit Agricole Mutuel de Saintes » fut donc un coup de théâtre aussi prévisible qu'extraordinaire.
La nouvelle convocation, pour le 29 avril 2014 à 18h30 (Espace Mendès-France, Cours Charles De Gaulle à Saintes), queue d'un incroyable poisson d'avril, est historique à plus d'un titre.
En France, il y aura eu cette année 2508 assemblées générales de caisses locales de Crédit Agricole Mutuel... plus une... toute seule. A Saintes.
L'assemblée générale du petit village gaulois - dont la potion magique, filtre de cognac, a permis de bousculer les légions du César de la banque - devient un événement : révolte des sociétaires et libération des forces de l’Économie Sociale et Solidaire. Mise en évidence de l'identité coopérative, jusqu'alors seulement exhibée dans les jeux du cirque médiatique.
Et les bardes sont heureux...
Rien que pour le bonheur des bardes, des Gides, des Proudhon, des Fourier, des Jaurès, il faut se réjouir. Cervoise pour tous !
Exemplaire occasion, cette assemblée générale, de poser toutes les (vraies) questions et de rappeler les vérités trop souvent escamotées. Occasion - d'abord et bien sûr - pour l'Aremut (Association pour le renouveau du mutualisme) de faire valoir sa position : la caisse régionale doit rester à Saintes.
Le même problème s'est posé en Normandie avec le regroupement, à Caen, des caisses d'Alençon et de Saint-Lô, étonnante façon de cultiver la proximité, de préserver le lien direct entre les coopérateurs et leur coopérative financière. Comme l'a relevé Michel Abhervé.
L'assemblée générale du 29 avril 2014, à Saintes, sera l'occasion de vérifier la qualité du fonctionnement démocratique. LA vraie question est, en effet, celle de la démocratie confisquée.
Le texte de la pub publiée pleine page, fin mars dans toute la France, provoque un profond malaise et dit bien le problème :
« Merci à nos clients sociétaires et à leurs administrateurs d'avoir partagé leur engagement pour la région lors de nos 2509 Assemblées Générales de Caisses locales. Rendez-vous l'année prochaine ».
Ça ressemble à un aveu terrible : les sociétaires ne sont pas convoqués pour gérer et contrôler la coopérative... mais pour célébrer une identité régionale. Pour rendre service aux dirigeants installés. Absurde ! Malhonnête.
Quel aveu ! Les caisses locales sont des coquilles vides (vidées) et les assemblées générales des simulacres pour l'apparence. Pour faire croire que tout est légal.
Le rituel est absurdement respecté... par des dirigeants pratiquants pas croyants.
Cet aveu vient comme un coup de cymbale pour attirer l'attention sur tous les comptes-rendus - dans la presse régionale - des centaines d'assemblées générales. Réjouissant empilage de contre-sens, de non-sens. Incroyable florilège. Spectaculaire floutage.
- Ainsi la Dépêche du Midi du 25 mars pour Cintegabelle : « Je ne parle pas d'assemblée générale mais plutôt de rencontre et de participation ! » affirme en ouverture le président local et régional des caisses Gérard Cazals.
Participation à quoi ? Foutage de gueule.
- Ainsi la Dépêche du Midi du 4 avril 2011 (Montauban) : L'assemblée générale est pour les sociétaires une occasion de dialoguer avec les représentants de leur banque et de participer concrètement à son fonctionnement.
- En 2014, le Président de la caisse de Montauban s'en va. Il n'est pas salué pour son action au service de la coopérative financière et de ses sociétaires... mais pour les subventions obtenues au profit de quelques collègues !
- Le site « Crédit Agricole Charente Maritime - Deux Sèvres » indique, concernant Saintes : 4903 sociétaires (au 31/12/2012) font partie de la caisse locale et elle possède 15 administrateurs.
Curieuse formulation pour indiquer que 4903 sociétaires sont propriétaires de la caisse locale et ont élu 15 administrateurs qui assument la gestion et la contrôle.
Pourquoi ne pas ajouter, carrément, que la Caisse Locale et ses sociétaires appartiennent aux dirigeants-prédateurs de la Caisse Régionale ? Tant qu'à dire n'importe quoi...
Le bidonnage des assemblées générales s'est fait progressivement, les caisses locales déléguant leurs responsabilités (leur finalité), leur fonctionnement « technique », aux caisses régionales. Devenant donc des « coquilles vides ».
Avec une astuce ahurissante : le gérant de la coopérative « Caisse Locale » est salarié par la filiale « Caisse Régionale » qu'il doit contrôler !!! Le conflit d'intérêt est sans équivalent. De façon cocasse, le gérant est souvent appelé « secrétaire ». Mais on l'appelle aussi « directeur ».
Le contrôle, par la caisse locale, du respect de la mission technique confiée à la « filiale Caisse Régionale » est, en principe, l'activité centrale du gérant. Sa responsabilité pénale.
Certains posent - à juste titre - la question du financement des agences de notation par les structures contrôlées... mais ce n'est rien au regard du scandale absolu de la relation entre caisses locales (les vraies caisses) et caisses régionales (filiales largement artificielles).
Résultat ? Les propriétaires de la coopérative sont invités à se réunir... pour rien ! Pour du vent. Ils se réunissent pour un savoureux et sympathique repas gratuit. La méthode Dassault à grande échelle.
Les milliards perdus
Les sociétaires vont-ils, au final, décider de la création et du contrôle des filiales ? A aucun moment. Donc les dix milliards détournés en Grèce ? Ça passe à la trappe.
Mutualisation des risques et privatisation des profits.
Les sociétaires n'ont le temps, dans cette organisation farfelue de l'assemblée générale, que d'approuver vaguement les « dons » de quelques milliers d'euros aux associations locales, clubs de tricot ou de foot et courses en sacs.
Avec le fusil à tirer dans les coins, et la démocratie à étages, la communauté des sociétaires est censée tout valider globalement. Tout simplement. Il y a d'autant moins de problème que les votes sont truqués, joués d'avance. Les sociétaires majoritaires pèsent moins que des actionnaires minoritaires... dans la logique capitaliste d'une société anonyme
Du fait de la collecte des procurations, le président dispose d'une majorité automatique. Travail de pros...
Mais ça, c'était hier ! Avant qu'émerge la résistance du dernier petit village gaulois. Sainte résistance et sainte colère qui vont permettre, le 29 avril 2014, d'offrir en exemple une vraie, une honnête, une respectueuse, une exemplaire assemblée générale de caisse locale.
Le probable point de départ du renouveau mutualiste au sein des banques coopératives. Du retour au respect de la loi. La fin des assemblées générales « outils de propagande » ?
Au fait, on vote quoi lors des assemblées générales des caisses locales ?
On vote le budget... mais pas le budget correspondant à l'activité liant les sociétaires à leur coopérative ! Le budget-gag du fonctionnement hors sol de la caisse locale.
La vérité est que l'on devrait, avant tout, voter le barème égalitaire des prestations, services et échanges que s'offrent les sociétaires entre eux.
Faire une queue de poisson aux sociétaires pour les envoyer « dans le décor Potemkine »... est-ce convenable ? Est-ce pertinent ? Les petits poissons qui ont décidé, à Saintes, d'organiser et de faire vivre le renouveau du mutualisme nous disent que c'est suicidaire.
Mauvaise pioche : les dirigeants de la caisse régionale « Charente Maritime - Deux Sèvres » ont eu tort d'organiser la fuite de la caisse locale de Saintes dans une base militaire... ils ont ouvert la boîte de Pandore.
En fait, ils ont ouvert les fenêtres et le coffre aux trésors de la coopérative... dirigeant le projecteur vers le socle de diamant que représente la loi fondamentale du 10 septembre 1947 (actuellement, avant éventuelle trahison par Benoît Hamon... car le projet de loi débattu est une effroyable mystification).
D'où les myriades d'étoiles dans les yeux de ceux qui croient à l'alternative économique. Tous ceux qui rêvaient d'inventer des coopératives viennent de comprendre qu'il suffit de les habiter. Elles existent depuis 150 ans.
Et les magistrats n'attendent que de pouvoir faire respecter la loi.
Voir également "Les parts sociales des banques coopératives sont-elles un (bon) placement ?"
Info du 23 avril : Un Callaud dans la botte du Crédit Agricole
Le quotidien Sud-Ouest, dans son édition du jour, annonce la candidature de Philippe Callaud, avocat et élu PRG, au poste d'administrateur de la caisse locale de Saintes : « Pour lutter de l'intérieur afin de préserver l'avenir de la Saintonge ».
Info du 26 avril :
- Sud-Ouest et Miroir Social annoncent l'A.G. et la manifestation du 29.
- Banques coopératives : tout va bien, surtout pour les dirigeants
Info du 30 avril :
Sud Cam CMDS organisation syndicale du crédit Agricole Mutuel, a mis en ligne, sous le titre "Colères et Résistances", le présent billet.
Info du 1er mai :
Le site de l'association AREMUT, sous le titre "Bravo à ce journaliste qui a pu entrer dans la salle. D'autres ont du rester à l'extérieur, carte de presse en main...", signale un article de Sud-Ouest "Les opposants se disent prêts à aller en justice".
Info du 4 mai 2014 :
LaLettreA (N.1636 du 01/05/2014) a publié un article, sous le titre :
Chez Crédit agricole SA (CASA), les 39 caisses régionales ont le pouvoir (financier). Et la période des assemblées générales est propice pour le rappeler. Le processus est rodé : les caisses locales doivent tenir leur AG (...). Mais, la caisse de Saintes a bien failli faire capoter le calendrier de la banque...
Ajout du 7 mai 2014
Le syndicat FO des salariés du Crédit Agricole de l'Anjou et du Maine a repris, sur son blog, plusieurs articles d'édition mediapart :
. le 16 décembre 2013, le présent billet : "Crédit Agricole : des sociétaires généreux sans le savoir"
. le 3 mars 2014 : une nouvelle vidéo...
Ajout du 8 mai 2014
La question du sociétariat ?
Sur ce sujet voir : Une longue histoire vraie (4) et une longue histoire vraie (3)