Regards historiques sur les disparitions forcées dans la guerre d’Algérie
Cette journée d’étude, à l’initiative notamment de l’Association Maurice Audin et soutenue par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), a abordé trois thèmes: l'histoire, les archives, la justice. Les vidéos correspondant aux échanges sur les archives ont déjà été publiées sur ce blog. Celles abordant la question de la justice le seront prochainement.
Cette session consacrée à l'histoire a été introduite par Jean-Pierre Raoult, membre de la CNCDH où il représente le Mrap, et par Pierre Audin.
Gilles Manceron, historien et co-animateur du site histoirecoloniale.net, en a délimité les contours : il s’agit de la question spécifique des victimes des forces de l’ordre françaises, non des autres disparitions qui eurent lieu durant ce conflit, en particulier lors de ses derniers mois. Ces forces dépendant des autorités françaises, leurs actes nous concernent directement d’un point de vue historique et mémoriel. Benjamin Stora, qui a présidé le panel consacré à l’histoire, a souligné que cette journée est une grande première, et qu’elle est très suivie en Algérie.
Alain Ruscio, historien, directeur de l’Encyclopédie de la colonisation française, montre que la pratique de la disparition forcée remonte aux premiers temps de la conquête coloniale et aux premières répressions qui l’ont accompagnée dans tous les territoires de l’empire. L’emploi, par exemple, de l’expression « corvée de bois » dans les armées coloniales pour désigner les exécutions sommaires, est attesté en Indochine dès 1949, mais la pratique ainsi dénommée l'est dès le milieu du XIXe siècle.
François Gèze, éditeur de plusieurs livres sur ce sujet, fait l’histoire de ce qui a été appelé lors des guerres d’Indochine puis d’Algérie la « Doctrine de la Guerre Révolutionnaire », ou DGR. Forgée lors de la répression du Viet-Minh, elle est devenue la doctrine officielle de l’armée française durant les guerres d’Algérie et du Cameroun, et, bien qu’abandonnée officiellement à la fin du conflit algérien, elle a continué à inspirer, ailleurs, des partisans de son usage, en particulier dans les armées des Etats-Unis et des dictatures d’Amérique latine.
Florence Beaugé, journaliste et essayiste, intervient sur une pratique de terreur lors de cette guerre qui est encore largement occultée : les viols massifs par les militaires français commis sur les femmes et aussi les hommes autochtones, et leur impact durable sur la société algérienne.
L’historien Emmanuel Blanchard fait le point des connaissances historiques sur les disparitions forcées en France métropolitaine, du fait, cette fois, de forces de l’ordre, dans ce cas, exclusivement policières. En particulier pendant ce sommet dans la répression en France que fut l’automne 1961.
Fabrice Riceputi, historien, puis Malika Rahal, historienne à l’IHTP-CNRS, présentent le site 1000autres.org qu’ils animent. Ils font un premier bilan d’une année de son fonctionnement, montrant comment cet outil de recherche fait dialoguer archives et mémoires vives algériennes et accumule un savoir historique inédit sur ce qu’il est convenu d’appeler la « bataille d’Alger ».
Le débat qui a suivi a été animé par Chloé Leprince, journaliste à France Culture. Elle a publié depuis sur franceculture.fr : Guerre d'Algérie : quand le secret défense entrave la mémoire.