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Billet de blog 30 juillet 2010

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Des micros-partis en particulier et des partis politiques en général

Dans son rapport adopté le 13 novembre 1991, la commission d'enquête parlementaire sur le financement des partis et des campagnes sous la Cinquième République, à la constitution de laquelle le pouvoir exécutif n'avait pu s'opposer, livrait, en guise d'épilogue, une ultime «réflexion à entreprendre». La commission constatait «que la plupart des difficultés, passées et actuelles, rencontrées en matière de financement des activités politiques, tiennent au fait que notre droit ne comporte toujours pas de statut des partis politiques».

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Dans son rapport adopté le 13 novembre 1991, la commission d'enquête parlementaire sur le financement des partis et des campagnes sous la Cinquième République, à la constitution de laquelle le pouvoir exécutif n'avait pu s'opposer, livrait, en guise d'épilogue, une ultime «réflexion à entreprendre». La commission constatait «que la plupart des difficultés, passées et actuelles, rencontrées en matière de financement des activités politiques, tiennent au fait que notre droit ne comporte toujours pas de statut des partis politiques». Puis d'estimer «qu'à l'heure où s'engage une réflexion sur les modifications qu'il conviendrait d'apporter à notre Constitution, ce point ne saurait être perdu de vue» (rapport n°2348, A.N., p. 172, J.O. 15 nov. 1991).

Presque dix ans plus tard, alors que la législation sur le financement des activités politiques s'est enrichie de deux lois supplémentaires à celles de 1988 et de 1990, rien n'est à retrancher de ce constat. Même si la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 – qui a mis en oeuvre beaucoup des propositions de la Commission Vedel de 1993, ex nihilo nihil – offre désormais une possible accroche à l'édification d'un tel statut des partis et groupements politiques (à cet égard, lire mon billet du 29 juillet 2008, «L'Etat de droit, une illusion?»), la «réflexion à entreprendre» se déroule sur un terrain vierge.

La polémique actuelle sur le mode de financement privé des partis politiques en France, ramenée à la révélation de l'existence de «micro-partis» n'ayant d'autre objet que la captation de dons en provenance de personnes physiques, dépourvus d'adhérents et de structures d'organisation stables, offre l'opportunité d'alimenter cette «réflexion» à laquelle aspiraient les commissaires de l'Assemblée nationale, emmenés par le président Pierre Mazeaud.

Face à l'indignation un peu feinte que soulève la publicité de ces pratiques, la réponse avancée par certains, dont le Garde des Sceaux qui argue d'un détournement de la législation sur le financement des activités politiques, consistant en l'instauration de l'interdiction de financer, pour une personne physique, plus d'une association de nature politique, se heurterait vraisemblablement au principe de liberté d'activité des partis politiques défini à l'article 4 de notre Constitution. L'ambiguïté originelle de la législation en matière de financement des activités politiques, remontant à la loi du 11 mars 1988, instaurant un financement public des partis – et leur accordant, ainsi, la personnalité morale sans leur imposer quelque procédure de déclaration préalable que ce soit – tout en laissant subsister un financement privé non réglementé, demeure. Même si le financement privé s'est tari, notamment depuis 1995 et l'interdiction de financement politique par les personnes morales, privées et publiques – à l'exception, logiquement, des partis politiques «qui peuvent faire des apports financiers sans limite aux candidats qu'ils soutiennent» (J.-P. Camby, Le financement de la vie politique, 1995, p. 73)–-, la nécessité pour les formations non représentées au Parlement de continuer à percevoir des dons d'origine privée s'impose toujours.

A cet égard, un véritable détournement de la législation sur le financement des partis est opéré depuis 2007 par le Nouveau Centre: représenté au Parlement mais n'ayant pas rempli les conditions pour bénéficier de l'aide publique, il a demandé à ses parlementaires de s'affilier individuellement à un parti politique polynésien, ayant lui rempli les obligations légales – dérogatoires en Outre-Mer – afin de bénéficier, par convention avec ce «parti», d'une rétrocession des fonds ainsi obtenus. Le Nouveau Centre ne compte visiblement pas assez de donateurs... D'un autre côté, la participation au débat politique du «parti» «Le trèfle- Les nouveaux écologistes hommes nature animaux», ayant, lui, rempli en 2007 les conditions légales pour en bénéficier, mérite-elle vraiment l'octroi d'une subvention publique de presque 750000 euros pour l'ensemble de la législature (cf. mon billet du 10 décembre 2008, «PS: pour un droit des partis politiques»)?

Nous le voyons, le système général de financement des activités politiques, public (insuffisant pour les grandes formations, trop généreux pour celles qui n'aspirent qu'à profiter de la manne publique) comme privé (reposant sur la fragilité de l'ébauche du statut des partis, ramenés à de simples agents électoraux) est caduc. Au regard de la loi, les partis sont des associations innomées, au régime dérogatoire à la loi de 1901 qui n'avait pas été faite pour eux, se donnant vaguement un objet politique et déposant leurs comptes certifiés à la Commission nationale des comptes de campagnes et des financement politiques, faiblement dotée en moyens de contrôle et pourtant chargée de les vérifier régulièrement. Un parti politique est une organisation qui bénéficie d'un financement public et/ou qui se soit soumise aux obligations d'ordre comptable de la loi. Belle tautologie!

Cette définition téléologique avait été posée par le Conseil d'Etat dès 1996, dans un célèbre arrêt d'assemblée (Elections municipales de Fos-sur-Mer, 30 octobre 1996, conclusions Touvet). Il lui fallait bien trouver une solution pour écarter du nouveau dispositif, désormais limité aux personnes physiques et aux partis politiques, les comités de soutien constitués pour contourner grossièrement l'interdiction faite aux personnes morales de participer financièrement à ces campagnes. Comme l'agrément délivré par la Commission nationale à une association de financement ou relatif à la constitution d'un «parti» peut difficilement faire l'objet d'un contentieux (le Conseil d'Etat a d'ailleurs jugé la même année que la publication du compte d'un parti n'est susceptible d'aucun recours), le critère avancé par le Conseil d'Etat conduit à ne retenir comme partis pouvant légalement financer une campagne électorale que l'ensemble de ceux dont l'association de financement a été agréée... et dont le nombre était déjà estimé par le «commissaire du Gouvernement» (aujourd'hui rapporteur public) à 522, y compris les structures départementales des partis «institutionnalisés». Quatorze ans plus tard, à n'en pas douter, il doit y en avoir beaucoup plus...

Cherchant à conjurer l'inégalité des ressources politiques que la législation, par pragmatisme, n'a finalement pas corrigée, le candidat virtuel à une quelconque élection cherchera donc à s'assurer quelque financement privé, qu'il soit membre d'un parti riche mais parcimonieux ou d'un parti plus généreux mais pauvre.

Si l'on considère qu'un régime pleinement démocratique doive assurer une égalité de traitement entre candidats aux élections politiques, il faut alors réfléchir sans plus tarder à l'élaboration d'un statut des partis politiques. Une définition objective des partis politiques est indispensable, et l'on doit dégager des critères qui permettent de distinguer les partis d'associations à but purement électoral. En fixant un cadre statutaire à partir de critères tels que le nombre de niveaux séparés d'organisation (à l'échelon local et national), la mesure de renouvellement régulier des instances dirigeantes, l'ancienneté minimale d'une association désireuse de recouvrer le statut de parti, la couverture du territoire (pourquoi pas en retenant un critère de présentation aux élections nationales et locales) et en précisant la nature de «l'activité» constitutionnelle des partis - orientée vers l'action électorale mais multiforme, recouvrant plusieurs fonctions comme l'encadrement de l'exercice de leur(s) mandat(s) par leurs élus – conformément à la condamnation du mandat impératif, le législateur permettrait ainsi aux «vrais» partis politiques d'être suffisamment solides dans un environnement juridique qui les contraint, par ailleurs, fortement. La Constitution, qui mentionne les partis «et les groupements politiques», permet de distinguer les partis institutionnalisés, repérés et de facto avantagés par la réglementation générale en matière d'activités électorales –qui ne se limite pas aux règles en matière de financement– d'associations qui, si elles sont légitimes, ne peuvent faire confondre autorité charismatique et autorité rationnelle, pour reprendre une distinction célèbre. Il apparaît toujours plus urgent de sauvegarder un semblant de dimension collective à l'action politique, et le droit doit y contribuer.

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