Chiara Gardel est impeccable dans le rôle du président fantoche écrivant son discours sous le regard blasé de son conseiller « en éléments de langage » (Cédric Rampelberg) parce qu’on sent qu’elle se pose vraiment la question. Il y a d’une part en elle ce président un peu con, mais pas méchant, qui dans son énorme soif de pouvoir, devient un monstre absolu sous nos yeux de spectateurs abasourdis et d’autre part, cette femme superbe, entre deux âges, italienne, comédienne chevronnée qui d’un coup regarde dans le vague et avec l’angoisse et le culot des femmes de cet âge, s’interroge sincèrement tout haut sur une évidence évidente. Mais elle s’interroge vraiment, parce que ça fait tellement mal ce genre de question: Suis-je cynique ? Suis -je un salop ? Suis-je , moi qui ai vécue, l’objet d’une pensée délirante ? Suis-je, moi qui vis bien gentiment , un arracheur d’yeux des enfants ? Suis-je moi qui vieillie mais est-ce ma faute, un acheteur de rein ? Suis-je cynique ou suis-je conne? pour résumé... Et la comédienne impose un doute dans l’esprit de son public. Magistralement . Avec cette finesse dont seuls les immenses comédiennes sont capables.
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Le plus fort c’est qu’il n’y a pas qu’elle a être de ce niveau là dans la pièce dramatico- comique (comico-dramatique ?) mise en scène par Magali d’Authier et qui se jouait hier à Nation dans une petite salle fort belle, mais beaucoup trop petite pour la capacité de spectateurs que peut séduire ce spectacle. Il y avait le « fossoyeur » de Lampedusa ou de Lebos, où de n’importe quel endroit où l’on enterre les enfants trouvés morts, allongés sur la plage… Lui son problème c’est « Que faire de tous ces corps ? » et « C’est pas un boulot marrant d ‘enterrer des enfants à tour de bras ». On le comprend le gars, c’est vrai que ce n’est pas un boulot marrant. Alors il essaye de rendre le job plus humain en se racontant un peu des bobards « moi je pense que les morts qui sont pas orientés dans le bon sens , ils finissent par se tourner le corps vers l’endroit qui est important pour eux » puis, ça marche plus dans sa tête ce truc là, alors il accuse avec justese: « faudrait qu’on soit pas les seuls en Europe à vivre ce problème, là » et enfin il fait la chose la plus humaine de toute la pièce , enfin "la plus humaine" dans le sens que je juge moi…. Moi, mère de famille qui ne veut pas être « cynique ». Il va déposer toujours aux mêmes endroits les jouets , les vêtements enfin « ce qui reste parce que "niveau peau" il n’y a plus grand-chose avec l’eau » de tous ces gamins qu’il faut ramasser le matin. Ce matin là il est venu avec une vielle dame qui cherche ses deux enfants, qui est arrivée saine et sauve, elle après avoir sauté de ce putain de bateau avec les putains de passeurs pour cette putain d’Europe….. Elle, ça y est, elle y est dans ce putain de pays « d’accueil » . Mais il y a un bémol, un gros bémol si on considère qu’elle est mère de famille, un moyen bémol si on considère que tout le reste de sa famille est encore dans la misère de la guerre, de la bouffe ou des armes quelque part sur cette terre, et pas un bémol DU TOUT si l’on considère qu’elle est en vie elle et qu’elle va pas nous faire chier avec ça: des mômes...les femmes, ça peut en pondre…alors là il faut qu’elle s’y remette fissa fissa ma grande! parce que la peluche de son chieur de gamin qui ne devait pas savoir nager, elle vient de le trouver dans la chapelle ardente qu’à fait le fossoyeur... Un petit ourson marron tout moche et tout fripé, et je vous dis ça, je m’y connais en peluche, moi qui ait deux enfants, une petite peluche assez cheap à côté de ce qu’on trouve dans n’importe quel supermarché avec un vague rayon jouet qui croule sous les VRAIS cadeaux en cette période de fêtes de Noël, qui commence à nous saouler la tête alors qu’on est même pas rendu le 3 décembre…Enfin bref. Je voudrais pas déranger la critique avec mes problèmes personnels, sinon on va encore dire que j’emmerde le monde.
Donc je reprends… Cette pièce est incroyablement bien écrite et ses comédiens sont bouleversants de justesse, d’intelligence et de sensibilité.
D’ailleurs il s’est passé un truc marrant avec Clément Benard hier lors de la représentation parisienne. Clément Benard joue (comme tous) plusieurs rôles: un travelo halluciné, un négociateur déjanté et un joyeux entraineur de foule pour une société, enfin une boite quoi « qui vend des barbelés pour l’âme » (ce que c’est drôle comme idée !)..... A un moment donc, dans son rôle de bonimenteur/vendeur il va , c’est bien normal, serrer la main de quelques personnes du premier rang. Et là il y a une dame, très raide, très digne et pas comique du tout qui a refusé de lui serré la main. Elle avait l’air sure d’elle, la dame. Elle avait l’air très fâchée alors que ce n’était qu’un acteur qu’elle avait en face d’elle. Un « acteur du week-end », comme on dit quand on a un vrai métier à côté . Un acteur qui joue avec une troupe amateur semi-pro, mais ça ne gagne pas encore assez, pour être « pro » . La dame pas contente elle a refusé de lui serrer la main alors , il y a eu un moment de flottement dans le public, et puis le gars semi-pro qui est néanmoins un immense comédien a laissé un instant sa main en l’air, la regardé, a souri « sans trop savoir », puis a tendu avec vigueur sa belle main forte au spectateur d’à côté qui s’en est emparée avec rapidité, comme pour dissiper au plus vite, parce que ça brule quand même profond ce genre de connerie, un malheureux malentendu.
Courez voir cette pièce, volez applaudir ces comédiens généreux, marchez vers ce texte superbe, roulez vers la délicate mise en scène de Magali D’Authier mais ne ratez pas ce bijou là.
Tiens ! Allez-y donc à la nage! Faut ce qu'il faut, non?
« Migraaaants » pièce écrit par Matei Visniec mise en scène par Magali d’Authier avec Clément Benard, Chiara Gardel, Lucille Hervouët, Alice Liautaud, Virginie Marchand, Juliette Pourrat et Cédric Rampelberg. Bientôt en tournée dans toute la France.
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