« Bombardements à Damas, au moins 30 à 50 morts pour l'instant. » La vie, la mort, c’est une phrase qui tombe un jour, un « sms », un morceau de papier mal scotché sur le rabat de toile, à l’entrée d’une tente… Une catastrophe silencieuse… Il faut se donner le temps de bien comprendre la sentence, pour en apprécier la dureté.
Damas, c'est la capitale de la Syrie, ce pays ou l'ignoble guerre commença il y a 6 ans , jour pour kur, c'est à dire hier merdredi, il y a 6 ans. Date anniversaire, si importante chez les nantis (et donc chez les tueurs)
Poser une bombe est un acte assez rapide, fait generalement par un pauvre, ou par un "convaincu" car il risque d'y laisser sa peau.. Ensuite, viennent les heures de queue devant l'endroit qui a sauté (c'est long devant le souk principal d'une ville), le cochage sur une liste à la morgue et, enfin, les dons de sang ou de lit (à l'hopital)…
Donc, pour reprendre la nouvelle qui vient de tomber sans faire grand bruit sur nos écrans d'ordinateur, dans nos salons bien chauffés, des Syriens deplacés, d'où qu’ils soient (la liste des deplacés est si longue que j'ai honte de redire les villes "ou l'on ne peut plus vivre en Syrie), sont morts à Damas hier; des damascènes sont orts chez eux eux hier, des humains sont motys sur la planète hier car aux Nations Unies, organisme hypocrite mis au point pour "soulager l'universel malheur humain", on considère que "c'est une mission trop compliqué" j'imagine....Point.
« La guerre n’a pas de cœur : le grand y mange le petit. » ; c’est la façon la plus élégante qu’Abed a trouvée pour commenter l’information qui le frappe de plein fouet.
Quand on connait l’histoire récente de ma tribu, on comprend combien « le petit » a quelques raisons d’être inquiet : il ne pourra pas avant longtemps retourner à la vie ou même dans la capitale de son pays,de la Syrie.
Un triste jour, les extrémistes sont venus et ont demandé à sa tribu de dégager, de s’en aller, de déplacer à Dams ou ailleurs.... Ceux qui furent trop lents à se déplacer, comme le grand-père, ils ont été tués, par balle. Les contestataires aussi.
Alors, les autres, ils sont partis, en tracteur (qu’ils avaient pris soin de cacher dans le sein du désert), trainant derrière eux des remorques plates où se sont entassés le plus possible des leurs : femmes, enfants, vieillards (rapides) et jeunes (silencieux).
Maintenant, Abed a appris que ce qui était sa terre, ce qui est devenu la terre du Califat et où la Charia est imposée.
Il faut comprendre que, pour Abed, qui est sunnite, musulman, comme tous les Bédouins, cela s’apparente à un délire macabre : qui sont ces gens qui, au nom du Prophète, berger comme Abed, lui retirent le droit de subsister et faire le commerce de ses moutons ?
Il a eu le temps d’y penser, tout au long du chemin qui l’a conduit en Jordanie, une route qui fut longue, en tracteur ; et, comme il habitait à 100 km d’Hama, il a fait le lien avec ceux qui faisaient déjà, en 1982, sauter les bus… Pourtant Hafez al-Assad, le président, avait tout de suite riposté.
À ses yeux, donc, le gouvernement syrien actuel, qui a laissé cette vermine reprendre le pouvoir, est donc coupable de traîtrise. Le pire arrive maintenant, sous la forme du Daesh qui le spolie de ses terres et le rend donc dépendant de… eh bien… du PAM… qui s’est imposé dans sa vie, sous la forme d’une aide salutaire… et puis, maintenant ….de Dieu.
Aucun espoir de retour, car les Bédouins sentent bien que personne n’est vraiment ferme, en face de ce Daesh, de l’enfer… Les Bédouins redécouvrent avec douleur que, sans terre, ils ne sont plus rien, n’ont plus d’emploi ; et plus rien à se mettre sous la dent…
Pour lutter contre cette tragédie, ils se sont fédérés en un « Conseil des Tribus et des Clans syriens de Jordanie », ou ils sont allés dormir dans la rue "à Damas ou ailleurs"
Un grain de sable, qui espère attirer l’œil de quelques généreux donataires qui se souviendraient, par exemple, qu’ils ont aussi « du sang bédouin ».
Avoir du sang bédouin… C’est donc leur seul espoir pour mes beaux frères, au milieu des quelques millions de deplacés qui se demandent comment, ou s'ils vont pouvoir vivre maintenant, quand ils ont l'immense bonheur d'être encore en vie.
Rappeler la grandeur d’âme bédouine, en espérant que ceux qui sont enivrés de pétrole auront une pensée pour ceux qui sont morts
Un drame mille fois conté, qui fait espérer aux Chrétiens d’Orient que « les Chrétiens du monde » vont leur venir en aide ; qui a fait espérer aux minorités que « leurs frères », ceux de l’ailleurs, plus riches, mieux lotis… vont baisser leurs yeux pour ne pas laisser dans la détresse ceux avec qui ils ont de si puissants points communs.
Éviter qu’ils crèvent comme des chiens ou vivent dans la misère des grandes villes syriennes aussi asphyxiées que douloureuses.
On appelle cela comme on veut : de la « solidarité », de la « politique bien menée », de la « basse stratégie »… Là n’est pas le point.
Le point, aujourd’hui, pour Abed, c’est que, mis à part son appartenance bédouine, à brandir au vent comme un keffieh rouge transformé en drapeau, appel à l’aide jeté dans un océan de sable et d’indifférence mondiale, il est n'est pas mort, lui (quoi que je n'en sache rien, mais son frère, l'est.
Rentrons sous notre tente, et pleurons avec les humains et surtout les femmes.
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Ceci est mon neuvième papier de la rubrique "Bedouins"
Bedouins (1) est ici: https://blogs.mediapart.fr/adeline-chenon-ramlat/blog/180117/la-couleur-du-keffieh-reflexion-sur-le-sang-monde-bedouin-1
Bedouins (2) est ici:https://blogs.mediapart.fr/adeline-chenon-ramlat/blog/250117/du-metier-de-berger-bedouin-reflexion-sur-l-islam-et-la-femme-bedouins-2
Bedouins (3) est ici: https://blogs.mediapart.fr/adeline-chenon-ramlat/blog/020217/les-tribus-bedouines-avaient-pourtant-choisi-leur-camp-elles-bedouins-3
Bedouins (4) est ici: https://blogs.mediapart.fr/adeline-chenon-ramlat/blog/070217/l-occident-et-sa-legere-incomprehension-bedouine-bedoins-4
Bedouin (5) est ici: https://blogs.mediapart.fr/adeline-chenon-ramlat/blog/140217/victimes-ou-resistants-de-lombre-face-letat-islamiquebedouins-5
Bedouins (6) est ici: https://blogs.mediapart.fr/adeline-chenon-ramlat/blog/210217/la-dechirure-bedouine-face-l-etat-islamiquebedouins-6
Bedouins (7) est ici: https://blogs.mediapart.fr/adeline-chenon-ramlat/blog/280217/palmyre-parlons-ruines-puisque-nous-en-sommes-labedouins-7
Bedouins (8) est ici:https://blogs.mediapart.fr/adeline-chenon-ramlat/blog/070317/une-femme-comme-etendard-de-la-lutte-contre-l-extremisme-bedouins-8
A suivre, helas...
N'hesitez pas à me suivre sur FB sous le même nom.
Et par ailleurs j'ai ecrit un livre sur le monde bedouin. Lien ici:http://www.elpediteur.com/auteurs/chenonramlat_ad/2016_syrie.html (à paraitre en arabe en octobre 2017)
J'écris ce blog sur la Syrie depuis 6 ans et demi et mon premier papier est en cliquant là, (après suivez les liens).
Et j'ai entamé samedi dernier une nouvelle rubrique totalement differente puisque "froide", bilingue au moins et syrienne (100 fois helas!):