Le matin du 28 septembre, on apprend la mort d’un jeune garçon irakien de 16 ans. Avant sa mort il a vomi du sang. Il avait tenté de franchir la frontière avec sa famille à plusieurs reprises. A chaque fois, ils se retrouvaient de nouveau repoussés au territoire biélorusse par les garde-frontières polonais.
Le jeune irakien est la cinquième victime du ping-pong humain cruel qui se déroule actuellement à la frontière entre la Pologne et la Bélarusse. Ou plutôt la cinquième victime connue – il y en a sûrement d’autres, quelque part dans la forêt.
Après la Méditerranée, la frontière entre la Pologne et la Biélorussie devient un cimetière de plus pour des migrant-e-s qui essaient d’entrer sur le territoire de l’UE. Repoussés par des autorités biélorusses d’un côté et polonaises d’autre, ils essaient de franchir la frontière à plusieurs reprises.
Les conditions sur le terrain frontalier sont extrêmement difficiles. Une forêt ancienne, vaste et dense, ou il est facile de se perdre ; les marais, marécages et animaux sauvages. Et surtout, dans cette période de l'année, des températures de plus en plus basses, qui dans la nuit tombent jusqu’à près de zéro degré.
Le 2 septembre la Pologne a introduit l’état d’urgence dans la zone frontalière. En résultat, les médias et les activistes ne peuvent plus travailler sur place. Raisons officielles : sécuriser de la frontière menacée par la guerre hybride avec la Biélorussie. Raisons dont les autorités ne parlent pas : la volonté de rendre invisible les crimes commis par des garde-frontières.
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Malgré les difficultés, les militants sont toujours présents près de la zone de non-entrée et essayent d’aider au moins quelques-uns.
Joanna Klimowicz, journaliste du journal Gazeta Wyborcza, décrit un groupe de plus de 20 personnes qui se sont retrouvés, lundi le 27 septembre, dans un poste de garde-frontières a Michałowo, petite ville polonaise près de la frontière. Ce sont majoritairement des Irakiens et Kurdes turques. La plupart des femmes et des enfants. Séparés par une clôture des activistes et journalistes, ils leur racontent :
« Quand nous allons en Biélorussie, ils nous battent, ils prennent notre argent et nous renvoient en Pologne. La police biélorusse nous expulse en Pologne. Ces enfants ne peuvent pas marcher, ils mourront tous en chemin, dans la forêt. Nous n'avons ni de la nourriture ni de l’eau. (…) Il y a des cadavres dans la forêt. »
Finalement, le groupe est mis dans un bus et transporté quelque part. Les voitures des militants et des journalistes qui essayent de les suivre se font arrêtées par la police pour une « inspection de routine ». Après que l’inspection est finie, le bus est déjà parti.
Les pires craintes sont confirmées plus tard dans la journée, quand Katarzyna Zdanowicz, porte-parole de l'Unité des gardes-frontières de la région, admet : « La procédure prévue par le règlement a été appliquée, c'est-à-dire qu'ils ont été amenés à la frontière ».
Le même jour, une situation pareille a lieu dans le village de Szymki. Avant qu’une famille de 7 personnes soit déportée dans un bus de garde-frontières, les militants apprennent leurs prénoms. Parmi eux, Aryas (8 ans), Arin (6 ans), Alas (4,5 ans), Almand (2,5 ans).
Mardi, un groupe de trois personnes a failli se noyer dans le marais près de Włodawa. Ils ont été transportés à l’hôpital avec des symptômes d'hypothermie.
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Pour justifier les actes des garde-frontières, les autorités polonaises mènent une campagne de peur et de menace. Lundi, le ministre de l’intérieur Mariusz Kamiński et le ministre de la défense Mariusz Błaszczak organisent une conférence de presse. Ils montrent des photos trouvées, comme ils l’affirment, dans les portables des migrants. Unes contiennent des contenus pédophiles et zoophiles, d’autres auraient prouvé des liens avec les organisations terroristes.
Le même jour, la Cour européenne des droits de l'homme ordonne aux autorités polonaises d'admettre les avocats aux réfugiés dans le village d’Usnarz Górny, où le groupe de 32 Afghans se trouve coincé depuis presque deux mois, dans le même endroit à la frontière (j’ai décrit leur histoire ici). Le lendemain matin trois avocats se rendent sur place mais les garde-frontières ne les laissent pas entrer.
Avant que l’état d’urgence soit proclamé le 3 septembre, les militants présents sur place ont réussi à obtenir quelques informations sur les membres du groupe d’Usnarz.
Il y a parmi eux Mohammad, 20 ans, tailleur de 20 ans originaire de Kaboul. « Je vais vous faire de beaux manteaux à vous tous quand enfin vous nous sortez d’ici », promet-il aux activistes.
Abdul Baset, 31 ans, ingénieur électricien de Kaboul.
Mohsen, 22 ans, forgeron.
Mohammad, 27 ans, il s'occupe du tissage de tapis et de kilims afghans.
Sayed, cuisinier : « Je cuisinerai du qaboli [riz traditionnel aux carottes, raisins secs et épices] pour vous tous dès que je sors d'ici. »
Avec eux, Mariam, Hajera, Nasratullah, Mortaza, Sayed, Suresh, Mohammad, Rohullah, Mushtaq, Jan, Omidullah, Mahram, Gul Chera, Mursal, Faisal, Nargis, Masoud, Batur, Rabyullah, Abdul, Hafiz, Alisina, Mohammad Reza, Naveed, Haroon, Mahdi, Tamim, Abdul Ali, Muhammad.
Après l’introduction de l’état d’urgence, l’association Ocalenie reste en contact téléphonique avec le groupe. Le 21 septembre ils publient des extraits des conversations.
Abdul Hafiz dit que les réfugiés ont essayé de chanter ensemble pour se remonter le moral. Cependant, ils sont tous si faibles qu'ils ne peuvent se souvenir des paroles d'aucune chanson.
« Si nous restons ici et nous mourons, prendrez-vous soin de nos cadavres ? » - demande Masoud.
« On vous en prie, sauvez-nous de la mort ! Si vous ne voulez pas nous donner la protection, au moins sauvez-nous de la mort. » - supplie Gul.
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Le 19 septembre à Varsovie a eu lieu la Marche nationale pour la vie et la famille. Cet évènement a une dimension homophobe et anti-avortement. Les organisateurs sont invités par le président Andrzej Duda à une réunion au palais présidentiel.
Le même jour on apprend la mort des trois premières victimes de la politique meurtrière de la Pologne, cet état qui se veut « protecteur de vie ».
Cette semaine, le parlement polonais va probablement prolonger l’état d’urgence de 60 jours.
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Si vous voulez être au courant de la situation sur place, suivez les réseaux sociaux des associations suivantes :
Ocalenie:
https://twitter.com/FundOcalenie
https://www.facebook.com/FundacjaOcalenie
Grupa Granica:
https://twitter.com/GrupaGranica
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Pour aider les associations à la frontière polonaise, vous pouvez faire un don à une collecte de fonds :
A. Grupa Granica [Groupe Frontière] - collectif d'associations de droits de l'homme qui sauvent des vies des migrant-e-s à la frontière
https://zrzutka.pl/kk4yh2
B. Medycy na granicy [Medecins à la frontiere] - initiative informelle des médecins qui soignent des migrant-e-s à la frontière, souvent dans un état critique
https://pomagam.pl/medycynagranicy
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Sources utilisées dans ce texte :
- Les informations publiées par des associations Ocalenie, Grupa Granica ;
- Les informations publiées par Testigo Documentary: https://www.facebook.com/testigodoc/ ;
- Joanna Klimowicz, Uchodźcy na granicy. Skandują: "Europa, Polska!", błagając o niewyrzucanie ich na Białoruś [WIDEO], Gazeta Wyborcza, 27 septembre 2021, https://bialystok.wyborcza.pl/bialystok/7,35241,27621550,uchodzcy-na-granicy-skanduja-europa-polska-blagajac-o.html