Si tout était jadis plus clair avec un pays parfaitement bipolarisé et une démocratie poisson rouge qui ne respirait que par sa branchie gauche ou par sa branchie droite, les extrêmes ne sont aujourd’hui plus des quantités négligeables et la diversification des courants politiques, dont on ne peut que se réjouir, réduit sans cesse le sacro-saint « seuil d’accession au second tour ». Encore situé légèrement au-dessus des 20 pour cent à la présidentielle de 2017, il menace aujourd’hui de passer sous cette barre, déjà révélatrice du caractère obsolète et antidémocratique du scrutin majoritaire à deux tours. Il suffira donc peut-être au prochain président ou la prochaine présidente d’avoir rassemblé au premier tour les suffrages de 8 des 48 millions de votants derrière son nom pour avoir le privilège de pouvoir d’imposer « son programme » aux 40 millions d’électeurs qui n’en voulaient pourtant pas mais qui n’ont eu de choix qu’entre la peste ou le choléra. Ce malaise a été vaguement évoqué ce weekend par deux polémistes rémunérés sur LCI (Luc Ferry et Daniel Cohn-Bendit) qui ont comme à leur habitude fait semblant de se disputer en parlant des capacités des candidats à faire ou non des « compromis », mais se sont bien gardés de mettre sur la table la question du scrutin.
Cette philosophie de la « stratégie gagnante » à adopter pour « battre » les autres en « volant » des voix ici ou là semble être la doxa de tous les candidats. « Gagner pour régner sans partage », le plus souvent aux prix de promesses dont chacun sait depuis longtemps qu’elles ne sont que mensonges, telle est la devise. Le fait que ce mécanisme de l’élimination à deux tours se retrouve également au niveau des partis pratiquant la « primaire » n’a rien de rassurant et aggrave même le constat qui précède. Il en va en effet au sein des partis comme au sein du pays : the winner takes it all, comme chantait ABBA, celui qui gagne remporte toute la mise et impose « son programme », car il y a au sein d’un même parti politique autant de programmes que de candidats à la primaire. Yannick Jadot gagne et s’assied sur les idées de Sandrine Rousseau, Valérie Pécresse gagne et « trace sa ligne » au grand dam de Ciotti. Imaginons que cette dernière arrive à être présidente et elle imposera à la France entière un programme qui n’avait en fait séduit qu’un quart des militants de son parti, soit environ 25 000 personnes.
Avec de telles perspectives, difficile d’imaginer que la paix revienne un jour au sein d’une population que l'on s’emploie ainsi à découper en lambeaux pour mieux les opposer, porter les uns aux nues, jeter l’opprobre sur les autres.
Il suffit pourtant de regarder autour de nous pour constater que la France est le seul pays de l’Union Européenne à ne pas tenir compte de la diversité des opinions qui pourraient faire respirer à pleins poumons la démocratie dans l’hexagone en acceptant que le pouvoir soit issu d’une élection parlementaire à la proportionnelle (voir Démocratie et pensée binaire). Pourquoi s’entêter par ailleurs à vouloir élire un président au suffrage universel et lui laisser tant de pouvoirs, dont il peut si aisément abuser ? Est-ce un hasard si nous avons pour mascotte le coq ? La démocratie est une fête orchestrée par un chef qui a pour nom le compromis non une guerre dont le peuple vaincu paiera tous les dommages.