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Petitesse d’esprit, c’est le mot qui m’est finalement venu à l’esprit pour résumer cette intolérance, ce rejet viscéral de ceux qui ne sont pas comme nous, ce racisme mesquin qui suinte comme la lave visqueuse d’une lente éruption fissurale et qui veut absolument brûler les pentes fertiles du volcan, juste parce qu’il faut bien que cette bave exulte. Et cette petitesse d’esprit déborde et contamine sans cesse plus de terres jadis mieux cultivées. Elle jaillit d’un abcès qui s’infecte un peu plus chaque jour. Avouer que l’autre n’est pas le bienvenu chez nous juste parce qu’il n’est pas « de souche » ou n’a pas l’air de l’être n’est bien sûr pas de mise. Il faut alors s’inventer de bonnes raisons de vouloir le chasser, des raisons irréfutables assises sur de douteuses statistiques, que l’on multipliera et claironnera à l’envi jusqu’à soi-même y croire. Il nous prend nos emplois, il viole nos filles et nos femmes, il vole, il tue, bref c’est un délinquant qu’il faut d’urgence bouter hors de notre hexagone. Les trompettes hertziennes le crient matin et soir et l’eau bouillonne chaque jour un peu plus sous un couvercle dont on ne se demande plus s’il va sauter un jour, mais quand il va sauter.
J’ai pourtant relevé le défi de ces encore moins que rien (car les riens, même trois fois, pour peu qu’ils sortent de « nos rangs », sont déjà quelque chose) et, seul mouton blanc dans un troupeau sombre et compact, je suis monté un jour dans ces premiers transports que personne ne prend dans le monde d’en haut, bien avant le lever du soleil. Et j’y ai rencontré un peuple silencieux d’esclaves résignés qui allaient vider nos poubelles, trier nos colis et nettoyer bureaux et chambres, soigner à domicile les parents dont nous n’avons plus le temps de nous occuper, faire marcher pour nous ce monde dont nous exigeons tout. Je leur ai parlé (je le raconte ici) et aucun d’eux ne m’a bassiné avec ses problèmes, aucun ne s’est plaint d’être discriminé, pas un n’a essayé de m’attirer à la mosquée, chacun m’a juste raconté à sa façon que la vie était dure, mais qu’il valait mieux trimer ici pour envoyer de quoi manger là-bas que simplement crever là-bas avec les siens. Ils n’auront ni retraite, ni chômage, ni congés et un jour, fatigués, ils rentreront chez eux espérant qu’un plus jeune, à son tour, leur enverra de quoi manger. Ce n’est pas ce qu’ils disent bien sûr, car ils rêvent d’amasser un petit pécule pour pouvoir retourner au pays et y monter une petite affaire, une boutique, un atelier, une petite ferme, et c’est pour ça qu’ils triment, et c’est pour ça qu’ils s’entasse le matin dans ces bétaillères que nous ne voyons pas.
Et nous, nous ne les aimons pas, nous ne les voyons pas comme nos frères et nos sœurs. Parce qu’on ne nous apprend pas qu’il faut les aimer comme des frères et des sœurs. On nous apprend seulement que s’ils ne s’habillent pas comme nous, n’ont pas notre couleur, ne pensent pas comme nous, ne prient pas comme nous, c’est forcément qu’ils sont mauvais et dangereux, et qu’ils doivent partir, même s’ils ne nous ont rien fait, même s’ils ne font que faire marcher pour nous ce monde dont nous exigeons tout en vidant nos poubelles, en triant nos colis, en nettoyant nos chambres et nos bureaux ou en soignant les parents dont nous ne voulons plus et qui, eux aussi, feraient mieux de partir, car tout devient si cher.
Cette petitesse d’esprit, c’est notre mode de non-vie.
Amitiés fraternelles.