La scène est violente. Filmée, elle est immédiatement virale sur les réseaux locaux.
Vers 14 h 30, à quelques mètres de son domicile avenue du Président Wilson à Saint-Denis, non loin du local associatif « le Pont Commun», installé dans l’ancienne gare RER, Salim à peine sorti de chez lui pour aller chercher son frère, est maîtrisé, mis à terre, menotté et embarqué au commissariat central.
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Un harcèlement ciblé
Salim Dabo a 26 ans. La Plaine Saint-Denis qui l’a vu grandir est encore son port d’attache. Son hyperactivité ne lui a pas rendu son enfance facile. Il y puise aujourd’hui une énergie au service des autres. Un concert organisé en septembre 2021, Streetparty One, pour respirer après le COVID le rend très vite populaire.
Son association Univers Project fondée en 2022, se donne comme ambition de créer « des opportunités pour les jeunes de banlieue en organisant des événements culturels, sportifs et solidaires » : organisation d’événements culturels, maraudes solidaires, programmes éducatifs et sportifs
En 2024, il investit à sa façon le choc des JO pour les familles et les jeunes du territoire soudain à la fois assigné.e.s à résidence par le zonage sécuritaire et le prix des transports et confronté.e.s à un maillage policier sans précédent. Il a même les honneurs du Monde
Est-ce pour cela que le 9 novembre, à la sortie d’une des activités éducatives de son programme Bel Air, avec d’autres jeunes, il fait l’objet d’un contrôle aussi musclé qu’inexpliqué ?
Victime de techniques d’immobilisation illégales, il est arrêté et mis en garde à vue durant 24 heures puis relâché sans explication. Salim réclame alors une enquête rapide et transparente » et « exige des autorités compétentes qu’elles prennent des mesures concrètes pour garantir le respect des droits fondamentaux des habitants de Saint-Denis » car « la sécurité, loin d’être une justification pour de telles dérives, doit se bâtir dans le respect de la dignité humaine et de la légalité. »
Ce 25 janvier, alors qu’il préparait une maraude solidaire, Salim est encore tabassé. Cinq heures après son arrestation, il est toujours en garde à vue et n’a vu ni médecin, ni avocat quand Éric Coquerel, député de la Plaine, parvient à le voir.
Il est finalement transféré à l’hôpital et vu par un médecin. Des examens sont prescrits et la garde à vue est suspendue le temps de l’hospitalisation. Sa libération intervient le lendemain vers 15 heures. Aucune charge n’est retenue contre lui.
Le harcèlement contre sa famille n’est pas nouveau. Contrôles et arrestations se succèdent depuis des années dans un contexte récurrent d’acharnement raciste contre les jeunes.
Un cap a été franchi
Pourtant, aujourd’hui, le sentiment domine qu’un cap a été franchi. Pour les militantes et militants des associations, collectifs et organisations, qui connaissent toutes et tous Salim, cette arrestation arbitraire est hélas exemplaire du climat que fait régner sur une ville populaire, les priorités politiques du pouvoir et de son incontournable Ministre de l’Intérieur.
Ce genre de situation se multiplie de façon inquiétante à Saint-Denis : le harcèlement semble politiquement ciblé. On ne sait pas encore pourquoi, le vendredi 24 au soir, devant le café La table ronde en centre-ville, policiers en civil sont intervenus violemment sans brassards d’identification au milieu d’un groupe de jeunes et ont ensuite lancé une grenade lacrymogène.
Mais on imagine comprendre pourquoi, il y a déjà quelque temps, un groupe qui rentrait à La Plaine a été contrôlé et interpellé sur la passerelle enjambant le canal et (quatre mineurs ont été embarqués). Ces jeunes sortaient d’une réunion qui avait rassemblé 120 personnes aux Francs Moisins pour apaiser les violences opposants des jeunes des deux quartiers (La Plaine et Francs Moisins).
La cible du commissariat est à l’évidence la capacité l’auto-organisation de cette jeunesse dans laquelle Salim Dabo joue, avec d’autres, un rôle de premier plan.
Ce harcèlement est directement politique. Sans filtre, puisque ce sont ses mauvaises fréquentations communistes et insoumises qui lui sont explicitement reprochées lors de ses gardes à vues.
Comme une sorte de laboratoire du pire.
L’expérience vécue par la population d’une des villes les plus pauvres de la France métropolitaine, mais aussi de la ville qui a le plus voté pour le Nouveau Front Populaire dès le premier tour des législatives, est celle d’une sorte de laboratoire du pire.
Depuis 2020, la ville est déjà confrontée à une équipe municipale menée par un maire officiellement socialiste, qui s’applique à défaire les services publics locaux qui avaient fait de Saint-Denis une ville de solidarité et de partage. Les antennes jeunesses sont laissées à l’abandon, des ludothèques ferment, les bus n’assurent plus la liaison entre les cités et le centre-ville, les habitants sinistrés sont laissés à leur sort après un incendie comme les femmes isolées avec leur enfants sans abri, les centres de loisir sont sous encadrés, les écoles grelottent, les personnels sont réprimés, la police municipale multiplie les dérapages….
Syndicats, associations, collectifs font front, se concertent, échangent leur expérience, s’organisent ensemble. Cette mise en réseau des mobilisations est un des objectifs que s’est donné le Comité local du Nouveau Front Populaire qui a organisé un forum le 7 décembre malgré le refus de la mairie de lui accorder une salle.
En juin 2024, cette ville s’est mobilisée contre la menace du Rassemblement National. Mais chacune et chacun le sait : les gouvernements Barnier et Bayrou réactualisent cette menace au quotidien : la présence de Bruno Retailleau dans les deux gouvernements successifs de la droite extrémisée n’est pas un simple effet d’affichage. Le clin d’œil appuyé au RN ne se résume pas à des déclarations « provocatrices ». On ne négocie rien avec un tel personnage !
Son « chantier » concernant la lutte contre « l'immigration illégale mais aussi légale » annoncé dès son intervention à l’Assemblée nationale le 2 octobre 2024 a d’ores et déjà des effets dévastateurs.
A Saint-Denis, la sous-préfecture ne se contente pas de recevoir les demandeuses et demandeurs de cartes de séjour et de renouvellement dans des conditions indignes. Elle est devenue une fabrique systématique de sans-papiers. Des titulaires de carte de séjour de 10 ans sont piégés par des délais interminables qui les mettent hors la loi, hors de l’emploi et de toute protection sociale. Des rendez-vous (qui font déjà l’objet d’un marché noir) sont annulés du jour au lendemain. Des familles sont systématiquement précarisées.
A cette dévastation, le pouvoir ne veut admettre aucune résistance organisée, surtout pas par les victimes elles-mêmes. Surtout pas en montrant la capacité d’intelligence collective, de solidarité que portent des figures populaires comme Salim et d’autres.
Ici, des femmes et des hommes sont confronté.e.s dans leur vie quotidienne, dans leur survie à la vérité des tentations de plus en plus extrêmes des classes dirigeantes et à l’abandon d’une partie de la gauche.
Ici, la guerre à la vie populaire semble déclarée. Comme un avant-goût du "jour d’après " tant redouté : celui de la victoire officielle du RN.
Ici, qui peut comprendre qu’on ne censure pas sans condition un tel gouvernement ?
Ici, la résistance a commencé, à la fois comme protection immédiate des personnes et comme construction d’un commun solidaire, d’un autre lendemain possible.