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Billet de blog 17 juillet 2025

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Les 130 ans de la CGT, les syndicalistes et les « fouteurs de merde »

Entre expressions de solidarité et menace d’exfiltration forcée de la part du service d’ordre, notre opération de tractage à Montreuil a mis en lumière un paradoxe : face aux revendications de justice, certains responsables syndicaux se comportent comme des patrons, réprimant en interne les actions qu’ils prônent par ailleurs. Retour sur cette journée et ses enjeux, et annonce des actions à venir.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Alain Marshal

Comme annoncé dans un précédent article, je me suis rendu à Montreuil le 13 juin 2025 pour sensibiliser à ma situation les participants aux festivités organisées pour les 130 ans de la CGT : celle d’un syndicaliste franco-algérien exclu de la CGT Educ'action 63 pour avoir dénoncé, dans une lettre interne devenue publique, la validation des éléments de langage de l'armée israélienne dans les positions de la Confédération exprimées après le 7 octobre, préparant le terrain au génocide. De 8h15 à 10h15, devant le siège de la CGT, puis de 18h à 20h, sur le parvis de la Mairie de Montreuil, nous avons distribué ce tract reprenant le texte de la pétition demandant ma réintégration, forte de plus de 15 000 signatures. Le matin, j’étais accompagné de Pierre M., un camarade venu de Toulon exprès pour me soutenir, et le soir, Cham Baya, blogueur Mediapart de région parisienne, nous a rejoints. Je les remercie encore très chaleureusement de leur soutien : entre la pétition pour la Palestine et la lutte pour ma réintégration, j'ai fait la connaissance de nombreux camarades sincères, qui remplacent très avantageusement les apparatchiks qui m'ont exclu.

Pourquoi cette action ?

Ayant échoué à faire valoir mes droits en interne, tant au niveau de l’UNSEN-CGT, qui a confirmé mon exclusion en juin 2024 et refusé d’aller au fond de l’affaire (voir Quand la CGT Educ’action banalise les idées d’extrême droite), que de la Confédération, qui, en septembre, m’a promis un retour sans jamais donner suite, je n’ai d’autre choix que de continuer à dénoncer cette situation de répression interne doublée d’une mise en danger durable d’un syndicaliste élu, jusque sur son lieu de travail.

Car il ne s’agit en aucun cas d'une lutte pour ma carte d'adhérent : ma dignité et ma réputation sont en jeu, de même que ma sécurité personnelle et professionnelle, puisqu’une accusation calomnieuse collective m’a assimilé à un intégriste en m’attribuant des propos que je n’ai jamais tenus : avoir traité un camarade et collègue de « mécréant » durant une réunion de Bureau (voir De « terroriste » à « mécréant » : à la CGT, l'intimidation et la calomnie comme méthodes). Pour ne rien arranger, mon employeur en est très vraisemblablement informé. Certes, je dispose d’un enregistrement intégral de la réunion en question qui prouve mon innocence, mais qui peut croire que la hiérarchie ou la justice se plongeront dans les méandres du volumineux dossier que j’ai constitué, et se saisiront d’un fichier audio de deux heures pour l’analyser et le faire expertiser, afin de s’assurer qu’il n’a pas été manipulé ? Dans le climat actuel de chasse aux sorcières, l’amalgame crapuleux et expéditif entre engagement pro-palestinien et apologie du terrorisme suffit à ruiner une carrière, surtout quand on est enseignant, musulman, et issu de l’immigration. Le fait que l’accusation ait été portée et jamais démentie, conjugué à mon exclusion de la CGT, risque d’être amplement suffisant pour me discréditer et me faire condamner.

Il est donc difficile de surestimer les risques qu’ont délibérément fait peser sur moi mes « ex-camarades », dans le but de me faire craquer et de me forcer à me mettre en retrait (« Tu tiendras pas », m’avait affirmé David A., trésorier de la CGT Educ’ 63, le jour de la calomnie collective, au sujet de la pression judiciaire que celle-ci faisait peser sur moi, comme on l’entend clairement sur cet enregistrement). Mais tant que cette calomnie ne sera pas levée, ce qui est un objectif minimal raisonnable (car il ne nécessite pas ma réintégration), je continuerai à dénoncer cette injustice. Et si je devais un jour rendre compte de ces accusations devant mon employeur ou face aux juges, ma persistance à vouloir faire la lumière sur cette forfaiture plaidera en ma faveur.

On m’a parfois reproché une forme d’inconséquence, à savoir dénoncer les travers structurels de la CGT tout en réclamant ma réintégration. D’une part, il s’agit avant tout de la défense de mes droits de salarié et de citoyen, sciemment compromis par la CGT Educ'action 63 puis l'UNSEN-CGT. D’autre part, même en ce qui concerne la revendication de réintégration, ceux qui estiment qu’en cas de désaccord interne, de discriminations et d’injustices, la solution est de prendre la porte, ne sont pas loin du raisonnement « La France, tu l’aimes ou tu la quittes », remplaçant simplement « France » par « CGT ». Bien au contraire, quand les actes sont contraires aux valeurs, quand l’appareil syndical sert non plus des principes mais des intérêts particuliers, quand les moyens collectifs octroyés par les subventions publiques (l’argent du contribuable) et les cotisations des adhérents sont utilisés pour bafouer des droits et non pour les défendre, il est du devoir de chacun de s’insurger, soit pour mettre fin à toutes les pratiques douteuses, soit pour démasquer les imposteurs et impostures. Ce n'est qu'en faisant le ménage dans nos rangs qu'on pourra véritablement faire avancer les causes qu'on défend, au lieu de les laisser entre les mains de sycophantes pour qui les luttes ne sont qu'un fonds de commerce, et qui sont pétris des préjugés et coutumiers des abus qu'ils prétendent combattre.

La véritable incohérence est de se plaindre du discrédit croissant des syndicats tout en perpétuant les raisons mêmes de ce discrédit. En luttant pour mes droits, je lutte contre toutes les discriminations, qui ne sont certes pas l’apanage de la droite ou de l'extrême-droite ; je lutte contre la banalisation en interne des dérives que la CGT prétend combattre en externe, et contre le dévoiement bureaucratique du syndicat. Face à un appareil qui manque à ses devoirs, il ne s’agit pas de démissionner mais de lutter pour des pratiques à la hauteur des valeurs proclamées, contre ceux qui en trahissent les principes, l’histoire et la vocation première. Ce n’est pas « détruire la CGT » ou lui faire perdre des adhérents, comme on m’en a accusé, mais œuvrer à sa sauvegarde. Mais c'est bien la défense de mes propres intérêts matériels et moraux qui prime dans mon combat.

Voilà pour le rationnel de ma démarche.

Des échanges révélateurs

Dès 8h15, nous étions donc postés devant le siège de la CGT, où 500 secrétaires généraux et autant de jeunes syndiqués étaient attendus pour une journée de travail de 10h à 17h. Il était à mes yeux important qu’un maximum de ceux qui, en interne, n’avaient pas encore connaissance de mon affaire puissent en être informés. Comme souvent lors de telles actions, la plupart des gens prenaient le tract sans engager la conversation. Mais un temps de latence entre l’appel à l’interphone et l’ouverture des portes a facilité les échanges. Rapidement, la CGT a identifié cette faille et laissé l’entrée grande ouverte, y postant un vigile, comme on le voit sur la photo ci-dessous. Notre premier mérite fut donc logistique : fluidifier l’accès aux somptueux locaux du 263 rue de Paris.

Illustration 1

Salah L. (Alain Marshal) et Pierre M., de la CGT des Travailleurs Précaires et Privés d'Emploi de Toulon et ses environs, qui a parcouru plus de 1 500 km (aller-retour) pour soutenir Salah. Pierre M. dénonce lui-même de la répression au sein de la CGT pour ses positions pro-palestiniennes, en particulier des pressions et une tentative de censure en 2023 lors d’un Congrès de l’UD CGT du Var, suite à sa prise de parole anti-impérialiste lors d’un débat intitulé « Peut-on vendre des armes et défendre la paix ? ». 

Les échanges que nous avons eus allaient, le plus souvent, dans le sens d’une solidarité exprimée avec chaleur, parfois teintée de consternation mais rarement de surprise : la majorité des camarades se disaient choqués, mais peu étonnés. Même sans connaître mon cas personnel, plusieurs faisaient état de situations comparables de discriminations ou de répression interne, voire d’abandon syndical face aux prises de position pro-palestiniennes, telle l’affaire d’Alex, suspendu de son travail, poursuivi pour apologie du terrorisme, et lâché de manière ignominieuse par son syndicat, la CGT Éduc’action 69.

Certains nous ont demandé plusieurs exemplaires du tract pour les diffuser eux-mêmes ; d’autres sont revenus nous confier en avoir déposé à la vue de tous, près de la machine à café ; d’autres encore ont promis de faire connaître l'affaire et/ou d’interpeller leur propre structure pour tenter de faire pression sur la direction confédérale. Des échanges de coordonnées ont eu lieu, des perspectives se sont ouvertes. Autant de marques de soutien sincères et spontanées qui faisaient chaud au cœur, et qui, au fond, n’étaient guère surprenantes dans les rangs d’une organisation internationaliste, attachée à un fonctionnement démocratique et au respect des libertés fondamentales. Ces gestes de fraternité faisaient écho au succès de la pétition exigeant un soutien réel de la CGT à la cause palestinienne, loin de la propagande israélienne malheureusement cautionnée par de nombreux communiqués confédéraux suite au 7 octobre : elle a été signée par sept syndicats CGT, ainsi que par des centaines d’adhérents, responsables et sympathisants, alors même qu’elle avait été initiée par un parfait inconnu. 

Mais tout le monde n’était pas de cet avis. Car même si elles étaient bien moins nombreuses que les marques de soutien, quelques réactions hostiles se sont manifestées : refus ostentatoire du tract, qui a même été une fois déchiré en mille morceaux jetés au sol à l’intérieur de l’enceinte de la CGT (ce qui nous a dispensés de l’obligation légale de les ramasser). Reproches allant du soupçon d’affabulation (sans aucun argument à l’appui) à l’accusation d’« entrisme », par un camarade apparemment influencé par le rapport récent commandité par Darmanin, qui affirmait en substance que tout musulman est, potentiellement, un agent des Frères musulmans cherchant à infiltrer toutes les sphères de la société pour y imposer la charia.

Un autre camarade m’a reproché ma divulgation de réunions internes, sans me laisser le temps de répondre que je ne l'ai fait qu'en dernier recours, et que la CGT défend, dans les entreprises, l’usage d’enregistrements illicites pour prouver un harcèlement moral, s’appuyant notamment sur un jugement de la Cour de cassation. Ce qui est prôné et accepté pour les salariés serait donc inacceptable pour se prémunir d’abus subis au sein du syndicat, même lorsque ce procédé « déloyal » démontre des imputations diffamatoires, neutralise des menaces de poursuites judiciaires, me protège personnellement et professionnellement et établit sans l’ombre d’un doute que mes prises de position sur la Palestine étaient bel et bien le « point saillant » et le grief « le plus grave » motivant mon éviction (voir tous les extraits surlignés en vert dans cette retranscription intégrale de la réunion du 10 novembre 2023).

Enfin, un camarade m’a même reproché non pas l’action de tractage elle-même, mais sa localisation, à savoir les locaux de la CGT, comme s'ils devaient jouir d'une forme d'immunité (ou de sacralité). Peut-être aurait-il mieux valu aller le faire devant mon ministère de tutelle, pourtant totalement étranger à cette affaire ? Ou devant la préfecture de police, pour me faire coffrer directement ? Ce genre de remarques absurdes révèle bien l’inconfort de ceux qui, en réalité, ne sont que des gardiens du dogme, redoutant que les murs du siège confédéral résonnent d’autres voix que celles autorisées, même quand celles-ci ne font que rappeler les valeurs fondatrices du syndicat.

Menaces du service d’ordre de la CGT

Le tractage du matin s’est déroulé sans incident. Celui du soir, en revanche, fut plus tendu. Dès 18h, nous étions sur le parvis de la Mairie de Montreuil, où la CGT organisait une fête ouverte au public, tractant chacun de notre côté pour pouvoir toucher plus de monde. Les échanges ont été plus longs et substantiels, car le lieu était plus propice et le timing moins contraint, et leur teneur était sensiblement la même que pour le matin. Mais vers 19h, alors que je continuais à distribuer mes tracts dans le calme et sans aucun esclandre, un membre du service d’ordre au physique dissuasif (que nous appellerons « le gorille », et qui agissait forcément à l'instigation des organisateurs) m’a interpellé : soit je rangeais mes tracts pour « profiter de la fête » comme tout le monde, soit je quittais les lieux. En cas de refus, m’a-t-il averti, je serais exfiltré par le service d’ordre. Selon lui, ma présence avait été tolérée le matin (comme si le droit de tracter sur la voie publique ne relevait pas de la loi, mais d’une quelconque faveur de la CGT), mais ce soir, c’était « la fête de la CGT », et les « fouteurs de merde » comme moi n’y étaient pas les bienvenus.

J’ai souligné qu’il s’agissait d’une menace de violence, même s’il a rétorqué qu’aucune « violence » ne serait nécessaire. Mais la nuance entre contrainte physique et violence est fallacieuse : j’étais sur l’espace public, exerçant une action citoyenne dans mon droit le plus strict et aucunement disposé à céder à un abus de pouvoir. Et puisqu’il ne serait pas possible de me faire quitter les lieux par l’intimidation, la force serait la seule solution, et je n’allais certainement pas leur faciliter la tâche. Ce serait alors à la CGT d’assumer le scandale qu’elle aurait créé de toutes pièces, car une telle scène violente ne manquerait pas d’attirer l’attention, bien plus que notre simple tractage, courtois, discret et irréprochable, n’aurait pu le faire. En somme, c'eût été l’effet Streisand garanti.

Ce qui me paraît intéressant, et que j’ai souligné, c’est que l’expression « fouteur de merde » avait déjà été utilisée contre moi le 10 novembre 2023 par Sophie B., co-secrétaire de la CGT Éduc’action 63, pour tenter de me faire démissionner dans un flot d’injures (« C’est ce que tu cherches en vrai, c’est ce que tu cherches, tu aimes bien foutre ta merde. En vrai t’es un fouteur de merde ! Ferme ta gueule ! »). Ces invectives suivaient la tentative malheureuse de Frédéric C., secrétaire académique et gros-bras de l'équipe, qui m’a vainement menacé d’en venir aux mains. Sophie m’avait même accusé d’être responsable de la « perte de contrôle » apparente de Frédéric, qu’on peut entendre vociférer et me menacer ici (par ses cris et ses gesticulations, il méritait lui aussi le qualificatif de « gorille », au sens propre et non au sens figuré ; pour juger de sa carrure, voir ci-dessous). A ma question « Tu fais quoi, tu vas me frapper ou quoi ? »,  réitérée deux fois, Frédéric avait répondu à chaque fois, d'un ton très menaçant, « Je sais pas ». Ainsi, sans s’être concertés, sans même se connaître, des militants de branches différentes de la CGT, séparés de plusieurs centaines de kilomètres, utilisent le même vocabulaire, les mêmes méthodes pour parvenir à leurs fins. Cet élément (et bien d’autres) contribue à démontrer que je ne suis pas victime d’écarts particuliers, mais d’un véritable système de répression intra-syndical, relevant d’une culture d’intimidation tacite mais bien rodée. Au lieu de vouloir annexer l’espace public à des réflexes internes de non-droit, la CGT ferait bien de soumettre ses pratiques à la loi.

Illustration 2

Quand Frédéric C. (poing contracté, à gauche) aperçoit au loin un élu « minoritaire » qui refuse de démissionner, il enclenche le mode « Terminator », de manière parfaitement préméditée... Son cirque du 10 novembre 2023 visant à me forcer à démissionner n'avait rien de spontané, à l'image du fameux « good cop / bad cop » (faute de comédiens assez doués, il avait incarné les deux rôles, alternativement).

Je précise tout de suite, à décharge du « gorille » de Montreuil, que contrairement à Frédéric C., il n’a ni haussé le ton, ni eu le moindre geste déplacé. Ses propos étaient calmes et mesurés. Ce n’était pas son attitude, mais bien la combinaison de ses menaces et de sa carrure qui auraient pu m'intimider. Face à ma détermination calme et argumentée, il n’a pas insisté et a fait demi-tour. Je salue son « professionnalisme », car je sais qu’il lira ces lignes, et nous avons de toute façon vocation à nous revoir à l'occasion de prochains événements.

J’ai donc poursuivi le tractage jusqu’à 20h, non sans une certaine appréhension. Je redoutais une altercation physique, ou pire, une interpellation policière (sur la base de nouvelles calomnies, pourquoi pas), qui aurait pu me valoir une garde à vue injustifiée et m’empêcher de regagner Clermont-Ferrand le soir-même, où j’avais des obligations familiales le lendemain matin. J’avais de toute façon prévu de quitter les lieux à 20h pour participer à une interview avec Nexus, qui m’a permis de toucher une audience bien plus large que celle présente sur le parvis (et je les remercie encore de m'avoir accueilli à l'antenne). Mais cette menace, bien qu'elle n'ait pas été mise à exécution, m’a probablement dissuadé de refaire un dernier passage sur les lieux après l’interview. Avec le recul, retourner à la fête n’aurait pas été prudent : plus la soirée avançait, plus les risques d’incident augmentaient, notamment parce que l’événement était arrosé d’alcool. 

Nexus Refait l'Actu #42 : Gaza, Pep Guardiola, 25 ans de Nexus + Une Surprise ! © Magazine Nexus

Mon intervention sur Nexus le 13 juin

Les contradictions du cégétisme

Le point le plus intéressant à mes yeux est ce que dit cet incident du syndicalisme CGT. J’ai fait remarquer au « gorille » que par ses menaces d’intervention musclée en l'absence totale de trouble à l'ordre public, dans une seule volonté de censure, il se mettait sur le même plan que les nervis des forces de l’ordre ou du patronat. Pour ma part, je ne faisais rien d’autre que ce que j’avais fait au sein de la CGT : par exemple, 2 ans plus tôt, le 1er juillet 2023 précisément, je me trouvais justement à un événement festif, affublé du chasuble de la CGT, pour alerter sur la présence d’amiante et ses dangers,  les travaux d'un site ayant été effectués sans respecter les règles liées au désamiantage. Les responsables politiques concernés avaient invité tout le gratin local à l’inauguration du parc Hubert Carrerias à Aubière, dans la banlieue de Clermont-Ferrand (Brice Hortefeux, notamment, était présent, comme le rapporte le journal local). Que faisions-nous avec nos banderoles ? Etait-ce une action légitime d'information et de sensibilisation, ou une action de perturbateurs qui n'étaient là que pour « gâcher la fête » ? Etions-nous des militants respectables agissant dans l'intérêt public, ou simplement des « fouteurs de merde » ? Si les organisateurs et/ou invités de l’inauguration pensaient comme le gorille de Montreuil, ils ont eu la décence de ne pas nous le dire, et personne n’est venu entraver notre droit de tracter et de manifester ni nous menacer d’exfiltration forcée. 

Illustration 4

A Aubière, les « fouteurs de merde » de la CGT gâchaient-ils la fête ? (Source : Facebook)

Même chose le 13 juillet 2023, lors du passage du Tour de France à Clermont-Ferrand, durant une manifestation contre la présence de l’équipe Israël Premier Tech, où j’étais le seul représentant de mon syndicat. Avais-je agi en syndicaliste solidaire du peuple palestinien, ou égoïstement « gâché la fête » des Clermontois, des mots employés par Sophie Binet elle-même pour justifier la participation de la CGT à une trêve politique durant les Jeux olympiques, sacre personnel pour Macron (« la CGT ne va pas s’amuser à gâcher la fête des Français ») ? Si l’on suit la logique de ces syndicalistes-flics, alors tout le syndicalisme n’est qu’un vaste « foutage de merde  » : droit de grève, distribution de tracts, occupation des locaux, blocage des dépôts... Autant d’actes de nuisance qui, selon ces critères, devraient être condamnés, pour autant que l'exigence de cohérence soit de rigueur. Car si ce qui est vertu à l’extérieur du syndicat devient faute impardonnable à l’intérieur, une hypocrisie monumentale est à l'œuvre. Quoi qu’il en soit, ces contradictions sont révélatrices du fait que le syndicat prône et mène des actions de sensibilisation et de protestation en externe dont il tire sa légitimité (et sur lesquelles il n’y a évidemment rien à redire, bien au contraire), mais lorsqu’elles sont reproduites en interne, il les considère non pas comme légitimes et salutaires, mais comme intolérables, un véritable sacrilège contre l'infaillibilité alléguée du syndicat. 

Illustration 5

Salah (à droite) s’amuse-t-il à gâcher le Tour de France des Clermontois ?

Tout au long de la procédure d’exclusion, tant à Clermont-Ferrand qu’à Montreuil, je n’ai cessé d’entendre ressasser la nécessité de « défendre le syndicat ». La défense des « valeurs », souvent brandie en guise de justification, n'est qu'un prétexte spécieux. Car que signifie au juste « défendre le syndicat » ? En réalité, il s’agit surtout de la défense des « copains », d’un entre-soi où l’esprit de corps l’emporte sur les principes. Cela ne revient pas à nier l’existence de militants sincères, engagés et désintéressés, y compris à des postes de responsabilité. Mais force est de constater que les différends internes sont le plus souvent réglés par le simple rapport de force, sans considération pour le bon droit, et qu'il y a beaucoup trop de syndicalistes qui se servent de causes nobles comme d’un paravent, en instrumentalisant les luttes pour asseoir leur pouvoir personnel, préserver leurs intérêts et profiter des largesses du système. C’est la distinction classique de Bourdieu entre « militants liés par le seul dévouement à la cause » et « prébendiers, sortes de clients, durablement liés à l’appareil par les bénéfices et les profits qu'il leur assure » : budget mirobolant géré discrétionnairement par quelques membres du Bureau, heures de décharge permettant, sans perte de salaire, de s'absenter régulièrement (voire de manière permanente) du travail au profit du militantisme (ou de l’oisiveté), prestige associé à la fonction, etc. Depuis les années 1980, les choses n’ont fait que s’aggraver, peut-être à un degré irrécupérable.

C’est ce que remarquait un commentateur éclairé au sujet de mon exclusion : « Les décisions de mises à l'écart, d'exclusion, de rejet, sont à l'instar des maladies auto-immunes les réponses de l'organisme contre ses propres constituants sains qui risquent de mettre en péril, aux yeux de l'organisation, en raison même des valeurs de l'organisation dont ils se réclament, l'organisation elle-même. (...) Comment penser alors la viabilité d'une réintégration qui serait justice dans un milieu sans changer ledit milieu donc contredire, annuler la décision prise et mettre en péril l'organisation elle-même par effet domino ? » Telle est l’une des lois fondamentales de toute structure interlope : imposer l’omerta, châtier sévèrement ceux qui la brisent, et protéger les siens coûte que coûte. Une instance locale, si injuste soit-elle, si documentés soient ses abus, ne sera presque jamais désavouée par l’échelon national, surtout lorsqu’il n'y a qu'une victime isolée à déplorer. Même une condamnation judiciaire — et ce n'est pas ce qui manque, même si elles font rarement les titres de l'actualité — reste moins dommageable, aux yeux des dirigeants, qu’un viol de la loi du silence par les « parrains » qui sont censés en être les garants. D’autant que ce type de condamnation n’intervient qu’au terme d’un processus judiciaire de plusieurs années, une fois que les faits ont été oubliés et que les responsables concernés ont quitté leur poste.

Un autre commentateur ajoutait lucidement que mon affaire « montre que ces événements [le 7 octobre et le génocide à Gaza] vont laisser dans les organisations à gauche des plaies béantes. Elle montre une aliénation profonde des collectifs, qui sont trop perméables au vent bourgeois. A trop se confondre dans les rituels bourgeois et même, leur vision du monde, alors, on en finit par en épouser la violence, la radicalité, jusqu'à l'affolement. » Je ne saurais mieux dire. La lutte des places a bel et bien supplanté la lutte des classes, et la soumission au discours dominant reste un impératif absolu, comme le montre l'exemple de l'implosion du MJCF, principal vivier du PCF, dont la CGT semble épouser les renoncements et la dégénérescence. La scission des Jeunesses communistes du 92 fait justement suite à une purge politique visant à réprimer le soutien à la résistance palestinienne et la lutte contre le racisme (voir ce communiqué). Et à propos d’affolement, je reviendrai dans un prochain article sur une action de tractage que j’ai effectuée le 5 juillet à Clermont-Ferrand, à l’issue d’une manifestation organisée par l’AFPS 63, et sur la réaction sidérante de la CGT Educ’action 63, qui est sortie de son mutisme en me surexposant encore à la révocation et à l’inculpation pour « apologie du terrorisme », démontrant une nouvelle fois son absence totale de scrupules.

© Jeunes Communistes • 92

Bilan et actions à venir

Environ un millier de tracts ont été distribués au total par les 3 personnes qui ont participé à l’action du 13 juin à Montreuil. La pétition pour ma réintégration n’a pas encore atteint les 16 000 signatures, mais à ce stade, l’important est de persuader les instances CGT que je ne renoncerai pas à lutter pour défendre mes droits, et de faire connaître l’affaire de plus en plus, même si cela ne se reflète pas directement au niveau de la pétition. De toute façon, si 15 000 signatures n’ont pas suffi à faire intervenir directement la Confédération, 30 000 ne changeraient probablement rien à l’affaire. Il faudrait atteindre les 50 000 voire 100 000 pour que le rapport de forces puisse changer de manière significative, un chiffre qui ne peut être atteint qu’en donnant un retentissement vraiment national à mon dossier, via des actions assez spectaculaires pour attirer l’attention des médias dominants. Si, en 2016, j’ai pu faire en sorte que pas moins de 4 articles du Parisien (123 et 4 ) me soient consacrés en l'espace de deux mois, j’espère pouvoir rééditer l’exploit quand une occasion favorable se présentera, toujours par des actions parfaitement légales et honorables bien entendu. En attendant, j’appelle toute personne susceptible de participer avec moi à de nouvelles actions de tractage, à Clermont-Ferrand, en région parisienne ou ailleurs (en particulier pour le prochain Congrès de la CGT, à Tours, et de la CGT Educ'action 63, à Clermont-Ferrand, qui se tiendront en juin 2026), à prendre contact avec moi par e-mail (alainmarshal2@gmail.com).

Sur le plan financier, mon appel aux dons m’a permis de couvrir 25 % des frais engagés pour cette action, qui représente forcément un poids sur un budget modeste : mais la lutte pour les droits a toujours un prix, et le sacrifice financier en est le moindre. L’impact psychologique, social, familial voire professionnel de tels combats contre un appareil résolu à vous broyer est autrement plus considérable. Comme disait un camarade, « Certains donnent sans compter, et d'autres comptent sans donner. » Mais que le petit cœur sensible de mes « ex-camarades » se rassure, les frais engagés ne m’empêcheront pas de partir en vacances en famille cet été. 

Pour conclure, je me rends bien compte que cette affaire dérange. Certains voudraient y voir un simple malentendu ayant dégénéré, un conflit local sans intérêt. Mais il ne s’agit ni d’un banal différend personnel, ni d’une querelle d’ego. Il s’agit d’une affaire éminemment révélatrice du fait que la CGT n’est plus capable d’entendre une voix dissonante sans chercher à la neutraliser. Surtout quand cette voix porte, avec constance et sans compromission, des principes que le syndicat prétend encore défendre : la justice sociale, la dénonciation du racisme et de l’islamophobie, la solidarité internationale. Et ce de manière authentique, loin des simples postures et des slogans sans lendemain. Les enjeux sont donc loin d'être triviaux. C’est pourquoi je continuerai à dénoncer cette situation, aussi longtemps qu’il le faudra. Même si ce combat doit durer des années.

***

Pour me soutenir dans mon travail et mon combat, vous pouvez signer cette pétition demandant un soutien authentique à la Palestine, bannissant les éléments de langage de l'armée israélienne, et cette autre qui dénonce les discriminations et la répression des voix pro-palestiniennes. Vous pouvez également faire un don et vous abonner à mon blog par e-mail afin de recevoir automatiquement mes nouvelles publications. Suivez-moi également sur Twitter et Bluesky

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