La chaîne télévisuelle LCI se présente comme une chaîne d’information objective et pluraliste, ce qu’elle n’est nullement, étant donnée son orientation éditoriale de « droite » très marquée, comme bien d’autres chaînes. Elle se distingue néanmoins de beaucoup de ses consoeurs par la qualité de nombre de débats qu’elle diffuse, auxquels participent des « experts » (militaires, diplomates, reporters, etc.) souvent très compétents dans les domaines techniques qu’ils connaissent bien : la manière dont elle a rendu compte de la guerre d’Ukraine depuis 2022 et notamment de ses aspects militaires est à cet égard exemplaire. Selon Wikipedia, cette chaîne liée à TF1, créée en 1994 et d’accès gratuit depuis 2016 par le satellite, le câble et la TNT, bénéficie d’une part d’audience moindre que ses concurrents plus anciens BFM-TV et CNews mais plus élevée que France Info. Cette situation pourrait changer car en organisant le soir du 21 mai 2024 la « Grande Confrontation » entre les têtes d’affiches de 8 des 37 listes en lice pour les élections européennes du 9 juin, LCI a attiré la lumière sur elle et peut être tenue en fait comme le principal bénéficiaire de cette opération médiatique. Le débat lui-même n’a pas permis de découvrir beaucoup de nouveautés concernant les orientations de ces listes, et son « modérateur », qui a manifesté à plusieurs reprises de manière nette ses préférences idéologiques pour certaines orientations, s’est bien des fois laissé déborder par les intervenants, se révélant incapable de les empêcher de se couper la parole, de parler en même temps et de verser dans le dialogue agressif au lieu de participer à un débat collectif.
De nouveaux téléspectateurs se rendront donc certainement sur cette chaîne dans les jours qui viennent. Ils pourront juger sur pièce de l’orientation politique de celle-ci et du pluralisme des participants à ses « partis pris ». Ce n’est pas l’objet du présent billet, qui s’attache simplement à un aspect formel, « secondaire » pour beaucoup, à savoir le bombardement incessant et insupportable d’adverbes auxquels les auditeurs sont soumis en permanence sur cette chaîne. Il y a quelques mois <Franchement et voilà>, j’avais attiré l’attention sur une nouvelle « mode » devenue envahissante, consistant à commencer une phrase sur deux ou quelques-unes par l’adverbe creux « franchement », celui-ci ne portant pas plus de contenu que le « voilà » qui déjà depuis des années clôt beaucoup de phrases de nos contemporains, comme l’écoute de nombreuses radios permet très vite de le constater.
A cet égard, LCI se distingue de bien d’autres médias. Le « franchement » et le « voilà » n’y sont pas particulièrement prégnants, mais le mot-clef de cette chaîne est l’adverbe « évidemment », employé seul ou, bien souvent, dans la formule « bien évidemment ». Ne me remerciez pas d’attirer votre attention sur cette étrange idiosyncrasie de cette chaîne : à partir du moment où votre attention aura été attirée sur ces deux formules, vous ne pourrez manquer de constater avec déplaisir qu’il s’agit effectivement d’un ras de marée permanent. Vous pourrez si vous le souhaitez commencer à les noter dès qu’elles apparaissent et à compter leur nombre d’occurrences pendant une durée donnée (une demi-heure, une heure) : le résultat ne pourra manquer de vous éberluer. Cette particularité est vraie sur cette chaîne toute la journée, mais avec une prééminence hallucinante dans la tranche horaire de 15 à 18 heures, qui pourrait bien être la source de cette manie.
Or les termes « évidemment » et « bien évidemment » ne sont en aucune manière anodins. J’aurai bientôt 76 ans, et cela fera plus de 60 ans, avant même que je ne fasse de la science mon métier, que, grâce à mes professeurs de sciences et de philosophie au lycée, j’ai appris à me méfier de l’expression commune « c’est évident ». Pour qui prend une minute pour y réfléchir, rien n’est jamais évident. Aucune idée, constatation, opinion, ne peut être donnée d’emblée comme vraie sans examen critique. Toute formation intellectuelle, au moins dès l’adolescence, devrait commencer par une mise en garde contre l’emploi de cette formule. Le refus de cette précaution implique de considérer qu’il existe des idées ou opinions universelles, n’exigeant aucun examen critique, et de fait revient à livrer les individus pieds et poings liés à l’idéologie dominante de la société dans laquelle ils vivent, ou d’un groupe particulier au sein de cette société. Rien n’est plus susceptible de les désarmer face à toutes les formes de propagande et de manipulation auxquelles ils peuvent être soumis tout au long de leur existence.
Pour un média prétendant contribuer à l’information et à l’esprit critique de ses auditeurs ou spectateurs, il me paraît indispensable de les mettre en garde contre cette idée de l’évidence, et de ne pas passer ses journées à répandre des formules comme « évidemment » ou « bien évidemment ».
Alain Dubois
22 mai 2024