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Billet de blog 29 août 2022

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FRANCE : BILAN  IDEOLÓGIQUE ET CULTUREL

Le bilan idéologique  et culturel est globalement négatif a cause de l'occupation progressive de l'espace idéologique et culturel par des courants qui ont adultéré l'histoire et enterré la pensée logique, rationnelle, humaniste et révolutionnaire.

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FRANCE : BILAN  IDEOLÓGIQUE ET CULTUREL 

Démantèlement délibérément programmé de l’école de la République 

ALEJANDRO TEITELBAUM

I . Le bilan idéologique  et culturel est globalement négatif comme  résultat d'un processus qui a commencé il y a presque un demi-siècle avec l'occupation progressive de l'espace idéologique et culturel par des courants qui ont adultéré l'histoire et enterré la pensée logique, rationnelle, humaniste et révolutionnaire, condensée dans  l'Encyclopédie, et portée au terrain des faits par  la Révolution de 1789.

Le passage progressif des Lumières aux ténèbres était bien résumé il y a  déjà 42 ans dans la couverture du numéro 392 de la revue Critique de janvier 1980: L'année politico philosophique - le comble du vide. Où, à la page 52, on peut  lire la phrase suivante du philosophe Jacques Bouveresse:

“Il y a eu une époque ou quelqu’un qui aurait utilisé a peu près exclusivement des catégories aussi relatives et subjectives que le plaisir ou l’ennui pour justifier ses adhésions et ses exclusions philosophiques aurait été  pris pour un  aimable plaisantin et invité poliment à s’occuper d’autre chose. Mais,  Dieu merci, nous ne sommes plus là depuis longtemps. Il faut, d’ailleurs, être juste envers Benoist et reconnaître qu’il n’a rien inventé dans ce domaine. Cela fait déjà un certain temps que les voix les plus autorisées et les plus influents nous expliquent que la philosophie n’a pas de pires ennemis que l’esprit de sérieux, le désir du vrai, la logique, le goût de la précision et la volonté ridicule  de justifier ce qu’on affirme par des véritables arguments… ».

Plus récemment, le neurobiologiste Jean Pierre Changeux revient sur le sujet dans son texte pour l'ouvrage L'homme neuronal , trente ans après (Editions Rue d'Ulm, Presses de l'Ecole Normal Supérieur, 2016) , où il cite à la page 127 le philosophe Louis  Althusser qui dans son ouvrage Philosophie et philosophie spontanée des savants (1967) parle de la pratique des « tables rondes » ou de multiples participants administratifs, politiques et "éventuellement" scientifiques sans accès aux véritables découvertes  "oscillent entre un vague spiritualisme et un positivisme technologique". Pour Changeux, en 2016, cela était  plus que jamais d'actualité. Encore plus en 2021/22, avec la pandémie, la campagne électorale et après.

On peut mentionner, parmi d’autres  « maîtres à penser » de ces courants idéologiques régressifs dominants,  à Michel Foucault, Bernard Henry Lévy, Alain Finkelkraut, André Gluksman et Alain Badiou[1]. Tous inspirés par  la philosophie heideggérienne.

Heidegger postula en  finir avec l'humanisme hérité de la philosophie grecque par les Encyclopédistes français et avec ses bases philosophiques rationalistes. En revanche, il ne propose pas un nouvel humanisme, mais plutôt de passer d'un «animal rationnel» à un être qui pense être «là où l'être est capable d'être une pensée». Cela signifie  un transit qui serait réservé à ceux qui sont capables de «penser l'être». En d'autres termes, les «purs aryens», à l'exclusion des «races inférieures»: juifs et autres.

Il y a donc une cohérence dans tout le travail de Heidegger, entre son irrationalisme aux connotations théologiques et mystiques et ses idées élitistes et racistes, prêchées depuis la chaire  du Recteur de l´Université de Freiburg en 1933/34, avec la carte du parti nazi en poche.

Un exemple en est le discours qu'il a prononcé lors de sa prise de fonction au rectorat de l'université de Fribourg le 27 mai 1933, intitulé "L'auto-affirmation de l'université allemande".

Dans un style épique qui fera école dans le Troisième Reich, il expose clairement ses idées. Et il annonce l'expulsion de la liberté académique de l'Université.

Il convient de rappeler que Heidegger a prononcé ce discours quatre mois après l'investiture d'Hitler - le 30 janvier 1933 - comme chancelier du Reich.

L'un des philosophes les plus critiques à l'égard de Heidegger a été  Jonas Cohn, un professeur d'orientation néo-kantienne, qui fut l'assistant d'Edmund Husserl à l'université de Fribourg à partir de 1916. Cohn écrit : "Cela semble très profond que le néant… [exerce une activité propre du néant] [2] que le temps temporise, mais la seule signification que l'on puisse y enfermer est que le néant et le temps doivent être pensés en acte, car étant abstraits, Heidegger lui-même ne prétendrait pas que le néant et le temps exercent des activités".

Le philosophe et physicien Mario Bunge (1919-2020), professeur de philosophie à l'université McGill de Montréal (Canada),  donna son avis sur Heidegger dans une interview publié dans le journal espagnol El País du 4 avril 2008.

Par exemple, Heidegger a consacré un livre entier à Être et temps, et que dit-il de l'être ? "L'être est lui-même". Qu'est-ce que ça veut dire ? Rien ! Mais les gens, parce qu'ils ne le comprennent pas, pensent que ça doit être quelque chose de très profond. Voyez comment il définit le temps : "C'est la maturation de la temporalité". Qu'est-ce que ça veut dire ? Les phrases de Heidegger sont celles d'un schizophrène. Ça s'appelle schizophasie. C'est un trouble typique du schizophrène avancé. Q : Pensez-vous que Heidegger était un schizophrène ? Bunge : Non, c'était un sournois  qui a profité de la tradition académique allemande selon laquelle l'incompréhensible est profond. Et bien sûr, il a adopté l'irrationalisme et attaqué la science parce que plus les gens sont stupides, mieux ils peuvent être gérés d'en haut. C'est pourquoi Heidegger était  le philosophe d'Hitler, son protégé. Mais en même temps, sa pseudo-philosophie est si abstruse qu'elle ne pourrait pas être populaire. On donne donc au peuple une idéologie crasse, du sol, du tellurique, du sang, de la race. »...

Nous nous arrêterons en Michel Foucault, qui est un  personnage très représentatif et respecté des idéologues dominants en France.

Michel Foucault s'est déclaré héritier des idées d’Heidegger et de Nietzsche:

«Tout mon développement philosophique a été déterminé par ma lecture d’Heidegger. Mais je reconnais que c'est Nietzsche qui a prévalu »[3].

Foucault, était d'accord avec Heidegger dans le rejet de «l'humanisme bourgeois» qui, selon ce dernier, avec son anthropocentrisme et son rationalisme, restreint la liberté de «penser l'être».

John Weightman, qui était professeur de langue et de littérature françaises au Kings College de Londres et au Westfield College de l'Université de Londres, dans un livret intitulé Ne pas comprendre Michel Foucault, (en espagnol: http: //www.arcadiespada. es / wp-content / uploads / 2008/08 / fuco.doc) se concentre sur l'analyse du livre de Foucault  Les mots et les choses. Weightman écrit que dans la prose littéraire française et l'écriture savante, il était rare pour un penseur de se livrer à un manque de logique ou de obscurité dans la présentation de ses idées et que cette tradition a disparu avec des gens comme  Barthes,  Lacan,  Foucault et Derrida qui ont engendré un changement  qui a rapidement atteint leurs nombreux disciples. Et a influencé les orientations dominantes des sciences  sociales, de la philosophie,  de la culture  et même des sciences naturelles jusqu’au présent.

Dans certains domaines spéculatifs - écrit  Weightman- la clarté traditionnelle française a été  remplacée, à des degrés divers, par l'obliquité, la préciosité et l’hermétisme.

Ce «chaos expositif »  de Foucault, comme l'appelle Weightman, est cependant conforme à l'idée de liberté de Foucault, qui  consiste à libérer la pensée de tous les liens, y compris ceux imposés par le rationalisme et la pensée logique.

Howard Richards, professeur de recherche en philosophie à l’Earlham College, Richmond, États-Unis, dans une classe qu'il a donnée à l'Université de Chili le 23 octobre 2010 avec le titre Michel Foucault aujourd'hui [4], il en fit un portrait complet. Dans un passage, il a dit:…. "Tout lecteur de tout ouvrage de Foucault, à tout moment de sa vie, est surpris, ou devrait être surpris, par son indifférence totale à ce que nous appelons habituellement (avec une simplification vulgaire) la méthode scientifique… Cependant, le monde académique considère Foucault comme un expert sur les différents sujets qu'il a étudiés: la psychiatrie, la médicine, l'histoire de la science, le système pénal, divers aspects de la politique, la jurisprudence, l´histoire, l’économie; la sexualité et autres[5].  Les résultats sont pris au sérieux dans toutes les universités du monde ».

Cette imprégnation irrationnelle de la pensée se  manifeste aussi dans le domaine des sciences naturelles, qui exigent l'exclusion de tout  dogmatisme et des préjugés et la soumission des hypothèses à  la vérification et à l´examen rigoureux des faits.  Nous ne donnerons qu'un exemple en biologie moléculaire, une science que la pandémie a rendue d'actualité.

Jacques Monod, directeur de l'Institut Pasteur de 1971 à 1976 et lauréat du prix Nobel de biologie, a apporté d'importantes contributions à l'étude de la biologie moléculaire. Mais dans son livre Le Hasard et la Nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne (Seuil, 1970), a fait des affirmations  péremptoires et prétendument définitives sur l'interaction entre l'ADN et l'ARN (l'irréversibilité de la transmission de l'information de l'ADN à l'ARN, que Francis Crick appelait, déjà en 1958, "dogme central de la biologie moléculaire" mais qui –semble-t-il -se sont avérées fausses presque simultanément à leur formulation par Monod en 1970[6].

Francis Crick a précisé plus tard dans son autobiographie (What Mad Pursuit, 1988), qu'il avait utilisé le mot dogme parce qu'il voulait suggérer que ce mot  était plus central et plus puissante que le mot hypothèse (qu'il avait utilisé auparavant). Selon ses propres dires, il avait apparemment mal compris le sens du mot dogme (puisque le dogme peut être compris comme une croyance qui ne peut être remise en question).

 En d'autres termes, Crick a utilisé le mot dogme parce qu'il lui a attribué un sens qu'il n'a pas, pour désigner simplement une hypothèse qui, bien que plausible, n'avait que peu de support dans l'expérimentation directe.

A la page 145 de l'ouvrage de Monod Le Hasard et la Nécessité, on trouve la phrase : " Comme on le voit, ce système, par ses propriétés, par son fonctionnement d'horloge microscopique qui établit, entre l'ADN et la protéine, comme entre l'organisme et le milieu, des relations à sens unique, défie toute description " dialectique ". Elle est profondément cartésienne et non hégélienne : la cellule est indubitablement une machine".

Dans le même ouvrage, et de manière cohérente avec son approche dogmatique de la biologie, Monod se consacre à la critique de Marx, du matérialisme dialectique et de la Dialectique de la nature d'Engels. (Pages 51-59 de la même édition).

Rien ne pourrait être plus opposé à l'approche méthodologique véritablement scientifique de la biologie moléculaire et des sciences naturelles en général.

Nier cela dans le domaine de la biologie moléculaire revient à hiberner ou, au moins,  ralentir la recherche scientifique dans ce domaine[7]

Depuis des décennies, des chapelles conservatrices contrôlent l'enseignement supérieur et ont supprimé la liberté académique. Un exemple est ce qui s'est passé dans les sciences économiques.

…Reprenant une promesse de son prédécesseur Benoît Hamon, la ministre de l’éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem s’était engagée en décembre 2014 à créer à titre expérimental une seconde section d’économie au sein du Conseil national des universités (CNU), l’organisme qui gère la carrière des enseignants-chercheurs. Intitulée « Institutions, économie, territoire et société », celle-ci aurait pu devenir un refuge pour les économistes hétérodoxes, mal aimés des représentants du courant dominant. L’école dite « néoclassique », qui repose sur l’hypothèse de la perfection des marchés et de la rationalité des individus (voir Principaux courants et théories économiques), règne en effet depuis vingt ans sur l’actuelle section de sciences économiques, la « 05 ». Trois cents chercheurs hétérodoxes se préparaient donc à rejoindre une nouvelle section d’économie politique pluraliste, critique et ouverte aux autres sciences sociales.

C’était sans compter le tir de barrage des « orthodoxes », bien décidés à tuer dans l’œuf toute possibilité d’une autre pensée économique. A peine avaient-ils eu vent du projet ministériel que le président de la « 05 », Alain Ayong Le Kama, envoyait un courrier au gouvernement, brandissant la menace d’une « démission collective » de la section. Mais l’offensive la plus décisive a été celle de Jean Tirole, lauréat en 2014 du prix de la banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel (abusivement qualifié de « prix Nobel d’économie »). Il a adressé une lettre à Mme Vallaud-Belkacem pour empêcher une « catastrophe ». Mission accomplie : le projet a aussitôt été enterré.[8].

Fragment d’un article publié dans le journal Libération :

Dans cette lettre rédigée en décembre, que le site de Marianne a publié dans son intégralité, Tirole agite carrément le spectre d'«une catastrophe pour la visibilité et l'avenir de la recherche en sciences économiques dans notre pays». A ses yeux, la «communauté des enseignants-chercheurs et chercheurs en économie» doit faire l'objet d'un «standard unique d'évaluation scientifique». Une séparation des écoles favoriserait le «relativisme des connaissances, antichambre de l'obscurantisme». Rien que ça… Au fond, c'est cela qui se joue aussi : des économistes ayant promu la dérégulation des marchés, qui a conduit à la crise de 2008, font encore aujourd'hui figure de référence. Ils continuent d'être invités dans les médias, sans même que soient dits leurs rapports avec des banques et des entreprises qui ont tout intérêt à voir leurs théories appliquées. Dans un article publié sur Mediapart au lendemain de l'attribution du Nobel à Jean Tirole, le journaliste Laurent Mauduit soulignait que l'Ecole d'économie de Toulouse (Toulouse School of Economics pour les initiés), fondée par Tirole, avait été largement financée par Axa, BNP Paribas, le Crédit agricole ou encore Total. Autant d'entreprises qui n'ont que modérément intérêt à voir une pensée économiste de tradition marxiste faire son chemin jusque dans les têtes.[9].

Ce n'est pas seulement en économie que l'enseignement et la recherche scientifiques sont torpillés, mais aussi dans l'enseignement et la recherche d'autres disciplines. En octobre 2021, ce problème a été mis en évidence dans une déclaration commune de quinze membres de l’Académie des sciences :

« Pour arrêter le déclin de la recherche française, il est urgent de réagir ».  Chacun s’accorde à reconnaître que la recherche est une priorité, source de développement pour une nation comme la nôtre. Or, il faut bien admettre que la France recule régulièrement dans la hiérarchie internationale dans de nombreuses disciplines, tant dans la recherche fondamentale que dans la recherche finalisée. Ce déclin s’est aggravé au cours de ces quinze dernières années, en partie faute d’un soutien suffisant de l’Etat, en dépit d’effets d’annonce, mais aussi en raison de choix inappropriés dans l’organisation de la recherche.

« La crise sanitaire déclenchée par le coronavirus SARS-CoV-2 a mis en évidence les faiblesses de la recherche et de l’innovation en santé en France. Le pays de Pasteur est resté en retrait dans la course pour la mise au point d’un vaccin au moment même où les vaccins à ARN, après quinze ans de recherche, démontraient brillamment leur efficacité…

Les signataires, qui finalisent  avec sept propositions pour renverser la tendance, sont: Yves Agid, Jean-François Bach, Catherine Bréchignac, Sébastien Candel, Jean-Pierre Changeux, Pierre Corvol, Laurent Degos, Jean-Marc Egly, Anne Fagot-Largeault, Denis Jérome, Henri Korn, Odile Macchi, Ghislain de Marsily, Bernard Meunier, Jean Salençon..

Jean-Marc Egly, [10] dans un entretien  récent (Figarovox, 17/8/22) répondant a la question : La France ne compte que quatre établissements dans le top 100 du classement de Shanghai, publié le 15 août. Le gouvernement s'en est félicité. Le bilan est-il positif ?

Non c'est très négatif et il ne faut pas s'en réjouir. Évidemment le classement de Shanghai est le résultat d'un travail difficile, les critères des universités sont très différents, mais ce classement est n'est pas réellement contestable.

Le premier constat est que nous avons reculé. C'est la suite logique de ce que nous constatons depuis deux ou trois ans. Il y a eu les mauvais résultats de notre pays au Conseil européen pour les grands contrats mais aussi le fait que la France ne cesse de briller par absence lors des congrès internationaux. De la même manière, il est navrant de voir un français basé à l'Université de Genève recevoir la médaille Fields. Basé à Genève car, précisément, la France ne lui offrait pas les conditions de travail nécessaires.

La pandémie du Covid a fonctionné comme un révélateur: nous n'avons pas été capables de produire un vaccin.

La situation n'est pas meilleure au niveau primaire et secondaire de l’éducation.

Jean-Paul Brighelli revient au chevet de l'École et la trouve plus mal en point que jamais. L'École de la transmission des savoirs et de la formation des citoyens est à l'agonie. Elle accomplit aujourd'hui ce pour quoi on l'a programmée voici un demi-siècle : adaptée aux nécessités du marché, elle fabrique à la chaîne une masse de consommateurs semi-illettrés et satisfaits d'eux-mêmes. Soucieuse d'élaborer enfin l'égalité promise par la République en nivelant par le bas, elle a réussi à détruire ce que la France avait mis deux cents ans à élaborer.
(Ecouter : https://www.youtube.com/watch?v=ybJ43OZwvZE . Remarquable).

Il s'agit non seulement d'un manque de ressources humaines et matérielles, mais aussi d'un déficit qui se creuse depuis des années dans les méthodes d'enseignement et de recherche, en raison des tendances obscurantistes qui dominent dans les sciences sociales et même dans certaines des sciences dites "dures", comme indiqué dans les paragraphes précédents.

La formation pédagogique est minimale ou considérée comme superflu. Plusieurs  nouveaux enseignants contractuels se retrouvent  en poste, en charge d’une classe, devant des élèves, sans avoir été formés au métier d’enseignant. Ce système est appelé « job dating». En anglais bien sûr[11].

Le démantèlement de l'enseignement, délibérément programmé par les classes dominantes et leurs valets politiques, compromet profondément l'éducation des jeunes générations et en fait des instruments soumis et malléables de la dictature du grand capital.

On parle tout le temps de "l'école de la République". On peut se demander si elle existe vraiment. Parce qu'une école de la République doit disposer d'enseignants bien rémunérés, motivés, ayant une bonne formation pédagogique et de solides connaissances dans leurs matières respectives, capables d'intéresser les élèves à l'apprentissage de l'histoire, de la logique et des mathématiques, des sciences sociales et naturelles. Afin qu'ils acquièrent une bonne éducation et un esprit critique, notamment face aux croyances et fanatismes raciaux et religieux, et qu'ils apprennent, entre autres, que tous les êtres humains sont égaux, sans distinction de sexe, de couleur, de race ou de religion. Et puissent contribuer à renverser le déclin de la Nation.

Comme le souligne Alain Accardo (Notre servitude involontaire, Edit. Agone, France, 2001, pag. 50 y ss.) cette hégémonie idéologique-culturelle est également maintenue et consolidée de manière plus subtile et moins visible à travers toutes les activités humaines, sociales, culturelles, idéologiques et même scientifiques, en formatant la conscience de la grande majorité des gens. 

Cela a contribué à faire perdre du terrain à la pensée logique et rationnelle. La  conséquence a  été la progression de l'irrationalisme, l'abandon de la réflexion et la perte de l'esprit critique. A quoi contribuent efficacement la surconsommation de téléphones portables et autres appareils électroniques et la twitterisation du langage.

Le neurologue Michel Desmurget fournit des statistiques sur les effets extrêmement néfastes de la télévision, de  la surconsommation et l'usage du langage twitter sur les enfants et adolescents français[12]. Le temps d'écran récréatif retarde la maturation anatomique et fonctionnelle du cerveau. Plusieurs études ont montré que lorsque l'utilisation de la télévision ou des jeux vidéo augmente, le QI et le développement cognitif diminuent. Les principaux fondements de notre intelligence sont affectés : le langage, la concentration, la mémoire, la culture (définie comme un ensemble de connaissances qui nous aident à organiser et à comprendre le monde).

Un autre facteur qui altère les facultés cognitives des personnes est la consommation de drogues et d'alcool, en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes. Elle peut également les conduire à la délinquance en surmontant leurs inhibitions. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime a signalé qu’en 2018, environ 192 millions de personnes âgées de 15 à 64 ans dans le monde consommaient du cannabis à des fins récréatives. Les jeunes adultes sont particulièrement enthousiastes, avec 35% des personnes âgées de 18 à 25 ans qui l’utilisent, alors que seulement 10% des personnes de plus de 26 ans l’utilisent.

Cela indique que les principaux utilisateurs sont les adolescents et les jeunes adultes, dont le cerveau est encore en développement. Ils peuvent donc être particulièrement vulnérables aux effets de la consommation de cannabis sur le cerveau à long terme[13].

Ainsi la boucle est bouclée, et tout ce qui appauvrit les majorités, matériellement, spirituellement, moralement, enrichit énormément une infime minorité. Qu'il s'agisse de l'exploitation du travail humain, de la spéculation financière, du trafic d'armes, d'êtres humains et de drogues, du désastre environnemental, des medias monopolisés par des milliardaires, etc., tous ont un socle commun qui en profite : le capital financier.

Ce climat idéologique et culturel délétère a créé les conditions d'une détérioration politique d'une énorme ampleur dans laquelle plus d'un tiers des citoyens préfèrent s'abstenir dans les élections et sur les presque deux tiers restants, une majorité semble être pour le maintien du système dominant de plus en plus antisocial, postulé par  l'ensemble des partis de droite et une partie de cette majorité approuve le verbiage zemourien,  d'inspiration clairement nazie-fasciste,  démagogique, irrationnel et raciste.

Cela est ainsi parce qu'à chaque époque les idées dominantes sont les idées des classes dominantes, qui ont à leur disposition les mécanismes appropriés pour le faire.

 En effet, dans les médias culturels, idéologiques, politiques, scientifiques et «communicationnels», il y a une sorte de sélection ou de hiérarchisation - entre spontanée et provoquée - du prestige ou de la renommée de certaines personnes, où elles occupent presque toujours les premières positions - et bénéficient  d’une «discrimination positive» en termes de couverture médiatique, d’emplois, de subventions et de récompenses – ceux  qui ont en commun de ne pas remettre en cause le système capitaliste actuel et de le considérer comme immuable et inhérent à la société humaine: il n'y a pas d'alternative  (le thatchérien TINA). Et d'évaluer comme le meilleur le système politique élitiste faussement appelé «démocratie » qui est maintenant dans un état de décomposition avancée[14]. En France, les porteurs de ces idées ont profité de leur position dominante pour écarter du milieu dans lequel ils agissent (universitaires et autres) la méthode d'investigation des phénomènes sociaux, qui consiste en l'étude sans préjugés des  structures socio-économiques, génératrices de classes antagonistes d'exploiteurs et exploités et d'imposer le quasi monopole de leurs idéologies irrationnelles et conservatrices. 

II. Mais il arrive aussi souvent que certains idées postulant diverses formes de transition prolongée consensuel interclassiste au sein de l’État bourgeois [15] vers un système social plus juste et égalitaire influencent et contaminent la gauche - ou la gauche autoproclamée – et ses porte-parole,  qui contribuent ainsi à la production de consensus d’une partie de la population à l'égard du système actuel et à une plus grande confusion idéologique à gauche.

L’influence de ces  idées a conduit aussi à évaluer de manière erronée certains gouvernements "progressistes", qui ont été évincés par la réaction conservatrice ou ont fini pour restaurer le capitalisme sous des noms d’emprunt tels que « socialisme de marché »  ou « socialisme du 21ème. siècle »[16].

La réponse à ces théories surréalistes était déjà donnée par Marx en 1847 dans les derniers paragraphes de la Misère de la philosophie: "L'émancipation de la classe opprimée implique donc nécessairement la création d'une nouvelle société. Pour que la classe opprimée puisse se libérer, il est nécessaire que les forces productives déjà acquises et les relations sociales existantes ne puissent plus coexister. De tous les instruments de production, la plus grande force productive est la classe révolutionnaire elle-même. L'organisation des éléments révolutionnaires en tant que classe présuppose l'existence de toutes les forces productives qui pouvaient être générées au sein de l'ancienne société. Cela signifie-t-il qu'après le renversement de l'ancienne société, une nouvelle domination de classe, se traduisant par un nouveau pouvoir politique, suivra ? Non. La condition de l'émancipation de la classe ouvrière est l'abolition de toutes les classes..." [17].

Il est indispensable l’analyse rigoureuse des faits qui consiste à étudier soigneusement la structure économique et les conditions politiques, sociales et culturelles d'une société donnée, ainsi que sa dynamique et ses tendances, y compris le rapport de forces des classes sociales présentes.

C'est la méthode préconisée par Marx au point 3 (La méthode de l'économie politique) de son Introduction à la critique de l'économie politique.

Les faits ont montré que l'idée d'une transition consensuel interclassiste  et prolongée du système capitaliste vers une société plus juste est une utopie irréalisable. Les clases privilégiés défendent leurs privilèges  pour  tous les moyens. A sang et feu. Cela a toujours été le cas et maintenant cela devient plus clair que jamais.

C'est une chose d'assumer le gouvernement et une autre de détenir le pouvoir. Pour cela, il  faut - si on arrive a gouverner - agir rapidement en enlevant au grand capital les bases matérielles du pouvoir, en nationalisant les services fondamentaux et les industries de base qui doivent être soumis au contrôle de ceux qui y travaillent, de leurs usagers et de l'État démocratiquement reconstruit dans toutes ses institutions.

L'élément fédérateur d'un bloc politique[18] qui entend apporter des changements fondamentaux à la société ne peut pas se fonder uniquement sur une liste de projets, mais- pour renforcer  sa cohésion- doit également reposer sur une vision du monde basée sur un système de valeurs universelles. Ce système de valeurs  doit être explicite : indiquer une voie pour que les êtres humains reprennent conscience d'eux-mêmes et entreprennent de changer complètement le système actuel afin d'atteindre l'objectif d'une humanité libérée de l'exploitation et de l'oppression physique et morale, disposant  d’une alimentation saine et suffisante, de soins de santé, d’un logement décente, d'exercer sans entrave les droits de s’informer librement[19], a  la liberté d'opinion et d'expression, a faire des études, a avoir accès a la culture et aux arts[20], a disposer  du temps libre pour l'épanouissement personnel. Et le droit des peuples  et nations à l’auto-détermination et a disposer de leurs  ressources naturelles  et d’avoir gouvernements authentiquement représentatifs de la volonté du peuple.

Dans le but de bâtir une société où règnent la liberté, la fraternité et la justice sociale. --------

NOTES

[1] A. Badiou, ancien maoïste et présumé ultra-gauchiste, qui affirme sans hésitation dans son livre Heidegger: Nazisme, femmes et politique, que «Heidegger est le plus grand philosophe du XXe siècle».

[2] Quelques traducteurs  traduisent  de l’originel allemand das Nichts nichtet comme  néantir (Nichten), néantissement (Nichtung). Heidegger emploi d’autres expressions comme : le langage parle (die Sprache spricht).  J'ai utilisé une périphrase parce que je n’ai pas pu  trouver une phrase  en français qui traduisait le sens de das Nichts nichtet.

En espagnol  on utilise  la nada nadea.

[3] Foucault, Dits et  Écrits, Gallimard, Paris 1994, pág. 1522. Cité por Aymeric Monville, Misère du nietzschéisme de gauche, de  Georges Bataille  à Michel OnfrayLes Editions Aden, Brussels 2007, pág. 66.

[4] http://agitandolasneuronas. blogspot. fr/2011/01/howard-richards-michel-foucault-hoy. html

[5] Il a été même consulté pour la Commission de révision du Code Pénal français. https://lundi.am/Michel-Foucault-devant-la-commission-de-revision-du-code-penal

[6] La même année que la publication du livre de Monod, plusieurs chercheurs ont découvert l'existence d'une enzyme, la transcriptase inverse. Les américains Harold Temin et David Baltimore, dans les rétrovirus, et le français Mirko Beljanski, dans les bactéries. Les chercheurs ont annoncé l'existence de cette enzyme lors du 6ème symposium de biologie moléculaire qui s'est tenu à Baltimore (USA) en juin 1972. Trois ans plus tard, Temin et Baltimore ont reçu le prix Nobel pour leur découverte.

[7] Il se peut que le fait que la France a pris de retard pour produire un vaccin contre le COVID soit en partie dû à la persistance des approches de Monod et de ses disciples dans ce domaine. Je laisse aux spécialistes dans la matière, rigoureux, objectifs et sans préjugés, le soin de vérifier ou pas cette hypothèse. Mais il ne fait aucun doute que l'une des causes de ce retard est la gestion exécrable de Sanofi, administrée selon la règle du coût/bénéfice et contaminée par des intérêts subalternes, comme l'explique très bien François Ruffin (https://blogs.mediapart.fr/ruffin-francois/blog/120121/scandale-pourquoi-la-france-n-pas-son-vaccin-0)

[8] Fragment  de l’article Police de la pensée économique à l’Université, publié dans Le Monde Diplomatique en Juillet 2015, pages 16 et 17.

 [9]  https://www.liberation.fr/societe/2015/02/02/bataille-d-influence-chez-les-economistes-francais_1193967/?redirected=1. Voir aussi : Teitelbaum, Le fondamentalisme capitaliste de la   droite française.

https://blogs.mediapart.fr/aleteitelbaum/blog/220722/le-fondamentalisme-capitaliste-de-la-droite-francaise

[10] Jean-Marc Egly, membre de l'Académie des sciences, est directeur de recherche à l'Inserm et professeur à l'Université nationale de Taïwan. Il a été président du conseil scientifique du Centre national de séquençage (Génoscope, Évry). Il est également lauréat du grand prix de la recherche médicale de l'Inserm (2004) et de la Fondation pour la recherche médicale (2012).

[11] Rentrée scolaire : pour Sophie Vénétitay (SNES-FSU), les contractuels sont jetés "dans le grand bain avec une bouée percée"

La secrétaire générale du SNES-FSU estime qu'il est "illusoire" de penser que la formation de "quelques jours" destinés aux contractuels recrutés pour pallier aux postes de professeurs non pourvus suffira pour faire face à une classe… https://www.francetvinfo.fr/france/rentree/rentree-scolaire-pour-sophie-venetitay-snes-fsu-les-contractuels-sont-jetes-dans-le-grand-bain-avec-une-bouee-percee_5320345.html

[12]-DesmurgetTV Lobotomie, la vérité scientifique sur les effets de la télévisionEdit J'Ai Lu, Paris, réédition septembre 2013 et Michel Desmurget, La fabrique du crétin digital. 2019.

[13] -The Conversation, Cannabis : comment il affecte notre cognition et notre psychologie – nouvelle recherche

Publié: 13 avril 2022) 

-Alejandro Teitelbaum, Delincuencia juvenil: evitar respuestas simples a un problema grave y complejo, 2017. -Delincuencia%20juvenil_%20evitar%20respuestas%20simples%20a%20un%20problema%20grave%20y%20complejo%20_%20ALAI.html).

-Journal Le Monde, La cocaïne, star de la mondialisation et drogue phare du XXIᵉ siècle

La%20cocaïne,%20star%20de%20la%20mondialisation%20et%20drogue%20phare%20du%20XXIᵉ%20siècle.html

[14] Teitelbaumhttps://blogs.mediapart.fr/aleteitelbaum/blog/210621/la-democracia-representativa-en-estado-de-descomposicion-avanzada. (Espagnol)

En anglais : https://www.jussemper.org/Resources/Democracy%20Best%20Practices/representativedemocr.

[15] Théoriciens  néo-marxismes, post-marxismes, etc., qui formulent des théories et proposent des interprétations purement spéculatives, indémontrables et invérifiables des faits,  en prétendant avoir dépassé la méthodologie matérialiste, historique et dialectique formulée par Marx pour l'étude de l'être humain, de la société et de sa interrelation avec la nature. Parmi d’autres :  Holloway ( Changing the world without taking power); les « populistes de gauche » Chantal Mouffe et Laclau et  Nicos Poulantzas, qui voit l'État capitaliste comme un "rapport social", non pas comme l'appareil de domination du grand capital exercé aux niveaux économique, politique, social, juridique, culturel, idéologique et répressif, comme il l'est dans la réalité,  (Voir : Antoine Artous, A_propos_du_livre_de_Nicos_Poulantzas  https://www.academia.edu/11229051/; A. Teitelbaum,  Sur un document d'Álvaro García Linera [vice-président d'Evo Morales et adhérent aux idées de Poulantzas] sur "l'État, la démocratie et le socialisme "htpps://www.alainet.org/es/articulo/168506#main-content : (en espagnol).

[16] Dans presque tous les cas, l'intervention extérieure, en particulier celle des États-Unis, sous forme de pressions économiques, de coups d'État, d'invasions, d'assassinats de dirigeants  etc., ont contribué de manière décisive à la frustration de ces processus.

[17] Ernesto Che Guevara a soutenu dans les années 1960 une approche semblable  à ce de Marx, lors d'un débat à Cuba qui l'opposait aux ministres du Commerce extérieur et des Finances et au Président de la Banque nationale. (Voir : Teresa Machado Hernández. Université centrale de Las Villas. CGLV. Cuba. La controverse autour de la loi de la valeur et sa manifestation dans la pensée marxiste cubaine. Document présenté à la IVe Conférence internationale L'œuvre de Karl Marx et les défis du XXIe siècle. La Havane, 5-8 mai 2008).    Avec le départ définitif de Guevara de Cuba en 1965, prévalurent les orientations opposées à celles prônées par le Che, qui ajoutés à l’énorme  pression de l'embargo imposé par les yankees,  ont déclenché le début du compte à rebours du projet socialiste.

[18] Bloc politique organisée de manière à préfigurer les nouvelles institutions politiques envisagés pour l'État : élections périodiques  d'une direction collective  incluant les différents courants, rotation des dirigeants, large délibération préalable aux prises de décisions, etc.

[19] Dans la transmission de l'information par les médias, il existe au moins deux niveaux de filtrage. Le premier consiste en la sélection et la hiérarchisation des informations : le communicateur décide d'abord quels faits sont des nouvelles et doivent être communiqués, puis lesquels sont importants et lesquels ne le sont pas, c'est-à-dire le lieu ou le moment attribué à chaque nouvelle dans les médias. Le deuxième niveau de filtrage est l'interprétation de chaque nouvelle : le communicateur imprègne le fait de sa version. Ainsi, le droit d'être informé est médiatisé par la subjectivité (ou plus précisément par l'idéologie) du communicateur. Mais il peut aussi arriver que l'information soit complètement occultée ou déformée lorsqu'elle va à l'encontre des intérêts de ceux qui ont le contrôle économique et/ou politique direct ou indirect des médias.

[20]  L'art et l'imagination créatrice en général, peuvent, non seulement être critiques du système, mais également être une forme du processus de la connaissance. Des œuvres littéraires qui nous aident à connaître les archétypes humains, parfois mieux qu'un traité de psychologie ou qui peuvent servir pour mieux comprendre une période historique ; les  tableaux,  qui nous donnent une autre vision de la nature et des êtres humains et la musique, qui peut également jouer un rôle dans le processus cognitif, renforcé lorsqu'elle est accompagnée de paroles. Par exemple, la 9ème symphonie de Beethoven, dans laquelle l'Ode à la joie (poème de Friedrich Schiller) contient la phrase "Tous les humains deviendront frères", une prédiction remplie d'espoir de l’auteur qui était néanmoins conscient de sa difficile réalisation, car il avait écrit : "contre la stupidité, les dieux eux-mêmes luttent en vain"(La Pucelle d'Orléans) et "les grands arrêteront de dominer quand les petits arrêteront de ramper".

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