Emmanuel Macron est venu deux fois à Mediapart, au début et à la fin de la campagne présidentielle. Jean-Luc Mélenchon, lui, n'est pas venu. Il a été invité, mais a décliné, nous dit la rédaction. Entendu. Edwy Plenel ajoute même, dans le récent tchat sur les élections « Sans doute y a-t-il eu un mélange de respect (pour notre travail et la place qu'occupe désormais Mediapart dans la vie publique) et d'intelligence (se livrer à l'interpellation libre d'un média jeune, numérique, participatif) dans l'acceptation par Macron de venir chez nous. D'autres candidats ont fait le choix inverse, notamment Mélenchon, et de ce point de vue (qui n'est que le nôtre bien sûr ;-)), je crois qu'ils ont eu tort. » Admirons au passage la formule du président de Mediapart qui associe confusément le journal à sa personne. J'entends qu'on puisse valoriser la curiosité du candidat qui vient à plusieurs reprises « se livrer à l'interpellation libre d'un média jeune, numérique, participatif » et critiquer l'autre qui refuse de venir. Ce que je ne comprends pas, c'est que ces deux réactions opposées des candidats à la présidence de la république Macron et Mélenchon ne soient pas source de questionnement pour Mediapart.
Car chaque candidat a assurément un service de communication que j'imagine performant pour le conseiller. Comment se fait-il que les conseillers de Macron l'encouragent à aller se faire interviewer par la rédaction de Mediapart, y voyant peut-être un plus en termes d'image, alors que ceux de Mélenchon lui déconseillent visiblement d'y aller, y voyant probablement au contraire du négatif pour le candidat de la France insoumise ? L'argument de la modernité de Macron et de Mediapart ne tient pas vraiment quand on sait comment et avec quelle pertinence Mélenchon a investi la sphère internet durant cette campagne. On a pu voir aussi de quelle manière Macron a déroulé, dès le départ de son interview du 5 mai, une partition particulièrement tranquille en compagnie des journalistes de Mediapart. Alors j'imagine et je souhaite cette question à l'œuvre dans la rédaction du journal : pourquoi une interview à Mediapart serait-elle considérée comme bénéfique par Macron et négative par Mélenchon ?
Question complexe, certainement, à laquelle je proposerais bien un commencement de réponse assez simple : Mediapart, particulièrement par la voix de son directeur Edwy Plenel, a appelé à voter Macron et a fait campagne contre la France insoumise.
Edwy Plenel a appelé à voter Macron après le premier tour des présidentielles. Il ne fut pas le seul à Mediapart, et ces appels furent régulièrement accompagnés de propos méprisants vis-à-vis du positionnement de Mélenchon et de la France insoumise. Edwy Plenel appela à voter Macron d'une manière qui tenait davantage de l'injonction moraliste que de la réflexion démocratique, accueillant ainsi l'impétrant président à Mediapart : « Nous recevons celui qui va rassembler les voix de ceux qui évidemment le soutiennent, mais aussi les voix de tous ceux qui veulent dire non, non à l'extrême-droite, non aux héritiers du fascisme, non aux tenants de la haine et des peurs, donc qui veulent voter contre le front national. Bonsoir Emmanuel Macron. » Cette affirmation que le vote Macron serait le seul moyen de lutter contre le fascisme est une négation de la pensée de toutes celles et tous ceux, qui depuis Pasolini1 par exemple, pensent différemment tout en étant résolument adversaires du fascisme – et peut-être bien plus sérieusement que la masse de celles et ceux qui hurlent à la sauvegarde de la démocratie chaque fois qu'un fasciste arrive au second tour d'une élection, pour s'en retourner dans leur sommeil, émotivement repus, l'accident démocratique évité. Cela dure depuis trente ans. Cette injonction à voter Macron fut portée par la rédaction de Mediapart qui organisa un pseudo-débat, questionnant surtout en creux la déontologie de celles et ceux qui l'avaient organisé, Voter ou ne pas voter Macron, quand on est de gauche, table ronde réunissant quatre invités appelant, chacune et chacun à sa manière, à voter Macron. Il est difficile d'imaginer pouvoir signifier de manière plus claire à celles et ceux qui pensaient différemment qu'ils n'avaient, à Mediapart, pas droit à la parole.
Mediapart, toujours par la voix de son directeur Edwy Plenel, a fait campagne contre la France insoumise. On peut se souvenir, parmi d'autres propos, de ce parti pris : « Comme en miroir de la volonté hégémonique de La République en marche, portée par le fait présidentiel, la gauche, dans sa diversité, est aujourd’hui confrontée au désir hégémonique de La France insoumise, portée par le score de Jean-Luc Mélenchon au premier tour. (…) Allié objectif du césarisme présidentiel, ce sectarisme populiste risque fort d’amplifier la défaite de la gauche après qu’elle a été éjectée du second tour de la présidentielle. » Il dénonçait particulièrement la présence de candidats de la France insoumise face à Caroline de Haas, « militante associative qui fut à la pointe du combat contre la loi sur le travail », à Paris et Barbara Romagnan, « frondeuse socialiste entêtée », à Besançon.
Edwy Plenel ira même physiquement soutenir ces deux candidates en lutte contre la France insoumise. On peut le voir ici en duo avec Barabara Romagnan, à 10 jours du premier tour des législatives. La candidate socialiste remercie ainsi le directeur de Mediapart pour son soutien : « À propos de la part de chacun, je voulais inviter, s'il y avait des gens parmi vous qui n'étaient pas encore abonnés à Mediapart, à défaut de le faire, en tout cas d'y réfléchir. » (3'18" dans la vidéo.)
À propos de ce soutien effectif à des candidates aux législatives, les opinion divergent, y compris même apparemment au sein de la rédaction. Edwy Plenel s'en défendra ainsi dans un commentaire à mon billet sur le sujet « A chaque fois, j'ai bien précisé que j'étais libre de ma parole, que je ne venais pas soutenir une étiquette ou une personne mais que, en cohérence avec la pratique participative de Mediapart qui n'est pas hors de la société, de ses débats et de sa diversité, je venais accompagner des dynamiques citoyennes rassembleuses, capables de porter sans sectarisme ni exclusive la pluralité dont nous avons besoin afin d'accentuer le renouveau démocratique dont notre pays a besoin. » tandis que le directeur éditorial François Bonnet dira dans le tchat précédemment cité « Qu'Edwy Plenel, en tant que citoyen, fasse un certain nombre de choix ne me dérange pas. » dans une tentative en forme de clin d'œil à la récente défense d'un ministre, d'affirmer que la venue d'Edwy Plenel à Besançon n'engageait pas le journal.
On peut voir dans ce désaccord qui se fait jour au sein de la rédaction du journal un signe encourageant pour la défense de l'indépendance de Mediapart. Car c'est bien de cela dont il est question aujourd'hui. Comment notre journal peut-il faire progresser la réflexion démocratique en toute indépendance par rapport aux politiques, si son président-fondateur s'autorise régulièrement à prendre la parole ici et là, engageant le journal qu'il a créé dans des campagnes électorales ? Mediapart doit peut-être aujourd'hui surtout gagner son indépendance par rapport à son créateur Edwy Plenel lorsque celui-ci semble affirmer dans ce glissement de langage relevé en début de billet, Mediapart c'est moi.
Vous avez dit césarisme ?
1 Pasolini écrivait en 1974 : « Il existe aujourd’hui une forme d’antifascisme archéologique qui est en somme un bon prétexte pour se voir décerner un brevet d’antifascisme réel. Il s’agit d’un antifascisme facile, qui a pour objet et objectif un fascisme archaïque qui n’existe plus et n’existera plus jamais. (…) une bonne partie de l’antifascisme d’aujourd’hui, ou, du moins, de ce que l’on appelle antifascisme, est, soit naïf et stupide, soit prétextuel et de mauvaise foi ; en effet, elle combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique, qui ne peut plus faire peur à personne. (…) pour moi, la véritable intolérance est celle de la société de consommation, de la permissivité concédée d’en haut, qui est la vraie, la pire, la plus sournoise, la plus froide et impitoyable forme d’intolérance. Parce que c’est une intolérance masquée de tolérance. Parce qu’elle n’est pas vraie. Parce qu’elle est révocable chaque fois que le pouvoir en sent le besoin. Parce que c’est le vrai fascisme d’où découle l’antifascisme de manière : inutile, hypocrite, et, au fond, apprécié par le régime. »