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Billet de blog 6 août 2024

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Le défi pour les tribunaux de saisir la complexité de la biologie

Vu la pertinence et la fiabilité de technologies disponibles aujourd'hui, la société civile pourrait invoquer la non-assistance à personne en danger pour inciter les agences de sécurité sanitaire à réaliser une réévaluation pour la santé humaine de tous les produits phytosanitaires ayant obtenu une AMM s’appuyant principalement sur des essais sur des animaux.

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Le 25 juillet 2024, les médias australiens annonçaient le rejet d'un recours collectif majeur, la Cour fédérale jugeant insuffisantes les preuves que le désherbant Roundup cause le cancer. Le Roundup est la formulation de glyphosate la plus répandue au monde.

Le juge Lee a reconnu que les opinions étaient partagées au sein de la communauté scientifique quant aux risques du Roundup et a déclaré que des recherches supplémentaires pourraient fournir une réponse plus concluante.

Néanmoins, le juge termina le procès en déclarant qu'aucune des études scientifiques présentées ne l'avait amené à conclure qu'il existait des preuves « claires et convaincantes » que le glyphosate provoquait le cancer chez les mammifères.

C’est surtout cette dernière phrase qui a inspiré le titre de cette tribune. Le juge considère-t-il que tous les mammifères réagissent de la même façon à une même substance ? Que ce qui est observé sur une espèce animale est vrai pour les autres espèces ?

Posons-nous les bonnes questions quant aux possibles effets cancérigènes du glyphosate. S’agit-il de cancer chez les humains ou de cancer chez des animaux confinés dans des laboratoires ? La majorité des cancers chez l’homme sont des carcinomes tandis que la majorité des cancers chez les animaux sont des sarcomes, donc très différents dans leurs mécanismes et leurs évolutions.

Intéressons-nous à la santé humaine. Le glyphosate est en vente depuis 1974. Nous avons donc été exposés à ce produit (les agriculteurs en particulier) pendant 50 ans, ce qui aurait dû fournir d'abondantes données concernant son impact sur la santé humaine. Mais hélas, nous observons d'immenses lacunes dans les rapports des différentes agences responsables de la sécurité sanitaire. Par exemple, il existe très peu d’études épidémiologiques impliquant des agriculteurs et des consommateurs sur les niveaux d'exposition réels au glyphosate.

Comment l'expliquer ? De façon scandaleuse vu les moyens scientifiques et technologiques dont nous disposons de nos jours, les informations requises par les agences de réglementation pour délivrer une autorisation de mise sur le marché d’un produit phytosanitaire reposent principalement sur des études impliquant des rongeurs, notamment des rats. Cette réglementation date de 75 ans et est loin d’être en cohérence avec nos connaissances du 21ème siècle en matière de fonctionnement du vivant.

Pour nos médicaments, il existe un système de « pharmacovigilance » qui a pour objet la surveillance de leurs effets indésirables. Cette pharmacovigilance est en place dès lors que le médicament a été autorisé à la vente et qu'il est prescrit aux patients ; elle fournit donc des données sur les effets lors de l'utilisation du médicament en conditions réelles (après les essais cliniques réalisés en conditions contrôlées sur des groupes de patients). Pour les produits phytosanitaires, la surveillance n’est que symbolique et repose surtout sur des cas anecdotiques et des études menées par des chercheurs universitaires ayant de l'intérêt pour le sujet, mais n’ayant pas forcément les moyens de réaliser les études qui confirmeraient leurs soupçons d’effets indésirables de tel ou tel produit phytosanitaire.

Que faire ? D'abord, remplacer sans délai les essais sur des animaux requis par la réglementation par des méthodes dignes du 21ème siècle, impliquant du matériel humain (cultures cellulaires en 3D, cellules souches, organe-sur-puce, etc.). Il faudrait également instaurer l’équivalent d’une pharmacovigilance pour les produits phytosanitaires (une « phytovigilance » ?) afin de recueillir des données épidémiologiques précieuses, ce dont les autorités se sont bien gardées depuis presque 50 ans.

Toute dernière actualité. Le 6 août 2024, le New York Times annonce que l'Agence états-unienne de protection de l'environnement (EPA) a ordonné le retrait immédiat de l'herbicide DCPA en raison de risques graves pour la santé des bébés à naître, ceci après 40 ans d'utilisation.

 Aussi, vu la pertinence et la fiabilité de technologies très performantes telles que les « organes humains sur puce » disponibles aujourd'hui, la société civile pourrait invoquer la non-assistance à personne en danger pour inciter les agences de sécurité sanitaire à réaliser une réévaluation pour la santé humaine de tous les produits phytosanitaires ayant obtenu une AMM s’appuyant principalement sur des essais sur des animaux.

Références bibliographiques

Major class action thrown out as Federal Court finds insufficient evidence to prove weedkiller Roundup causes cancer - ABC News

Glyphosate : cancérigène, ou pas... | Le Club (mediapart.fr)

https://www.nytimes.com/2024/08/06/climate/epa-dacthal-dimethyl-tetrachloroterephthalate-ban.html 

Dimethyl tetrachloroterephthalate - Wikipedia

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