Plus de 2 300 médecins et scientifiques ont récemment interpellé le Premier ministre Sébastien Lecornu sur la déréglementation des pesticides en cours au niveau européen et français. Dans une lettre ouverte datée du 8 décembre 2025, les signataires dénoncent une "mise à l’écart des données scientifiques" et demandent à être reçus par le Premier ministre. (1)
Ces médecins et scientifiques s'opposent au projet de la Commission européenne (CE) de "suppression des renouvellements d’autorisations, donc des réévaluations, pour la grande majorité des pesticides". "Cela diminuerait de fait la capacité des agences à encadrer la mise sur le marché des pesticides et à surveiller leurs effets environnementaux et sanitaires", dénonce la lettre ouverte qui craint "un retour plus de 30 années en arrière".
En effet, supprimer les renouvellements d'autorisations signifierait supprimer les réévaluations. Or, c'est lors des réévaluations que les données scientifiques concernant le produit peuvent être prises en compte. Pour un pesticide qui est sur le marché depuis un certain nombre d'années, on peut commencer à avoir du recul sur sa toxicité potentielle puisque des utilisateurs y ont été exposés. La CE entend-elle passer sous silence les rapports d'effets toxiques constatés publiés dans la littérature scientifique ?
Le docteur Pierre-Michel Perinaud, l'un des porte-paroles de ce collectif et président de l’association Alerte des médecins sur les pesticides dénonce un projet "scandaleux".
Cela tombe au moment où la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) estime que la CE a commis une "erreur de droit" en réautorisant le glyphosate jusqu’en 2033, par une décision rendue fin novembre 2023. Selon la CJUE, la CE aurait d’abord dû envisager de renouveler l’autorisation de l’herbicide pour un an, comme prévu dans la réglementation, plutôt que pour dix ans (2). La CJUE avait été saisie en 2024 par plusieurs ONG, notamment le collectif Pesticide Action Network (PAN) Europe, ainsi qu’une organisation française Pollinis et une allemande, l’Aurelia Stiftung. Ces arrêts de la CJUE rendus le 20 novembre 2025 peuvent faire l’objet d’un recours dans un délai de deux mois.
En parallèle, d’autres collectifs et associations ont saisi le Tribunal de l'Union européenne (TPIUE) à Luxembourg au même sujet. Parmi ceux-ci, l’ONG Antidote Europe, qui attend une audience au TPIUE au mois de mars 2026.
Malgré des jugements rendus par plusieurs tribunaux américains très médiatisés où des plaignants, tels que des travailleurs agricoles, ont reçu d'importantes compensations financières du fabricant, le glyphosate reste en vente dans le monde entier, mais avec des restrictions dans certains pays.
Ce qui sème la confusion est le fait que les organismes de réglementation ont adopté des positions diverses concernant le glyphosate. Par exemple, l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) a déclaré le glyphosate sans danger lorsqu'il est utilisé conformément aux instructions, tandis que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui fait partie de l'Organisation mondiale de la santé, l'a classé comme « probablement cancérogène pour l'homme ». (3)
Pour l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), le glyphosate ne serait pas cancérigène. Sur quelles données scientifiques se basent ces différentes appréciations ? Sont-elles toutes exemptes de conflits d'intérêts ? Lorsque des études faites sur des animaux sont prises en compte, alors que l'on sait qu'une même substance peut avoir des effets différents sur différentes espèces animales, en quoi ces études sont-elles pertinentes pour évaluer le risque pour la santé humaine ?
Cerise sur le gâteau : une étude publiée en 2000 qui concluait à la sûreté du célèbre herbicide, largement citée depuis lors, vient d’être officiellement désavouée par la revue qui l’avait publiée. Les scientifiques signataires sont suspectés d’avoir endossé un texte préparé par des cadres de Monsanto. (4)
Affaire à suivre …
Pour information, voici la différence entre ces deux institutions de justice :
La CJUE est l'autorité judiciaire de l'UE responsable de l'interprétation et de l'application du droit de l'Union. Elle veille au respect du droit européen et peut être saisie par des juges nationaux pour des litiges entre États membres ou institutions de l'UE.
Le TPIUE, anciennement connu sous le nom de Tribunal de première instance des Communautés européennes, est un juge de droit commun pour les affaires qui nécessitent un recours en annulation. Il a été créé pour répondre à l'augmentation de l'activité de la CJUE et est composé de deux juges par État membre.
Références bibliographiques
- https://www.franceinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/pesticides-plus-de-2-300-medecins-et-scientifiques-interpellent-sebastien-lecornu-sur-la-dereglementation-en-cours-au-niveau-europeen-et-francais_7665592.html
- La Commission européenne a commis une «erreur de droit» en réautorisant le glyphosate jusqu’en 2033, selon la justice - Le Temps
- Glyphosate : cancérigène, ou pas... | Le Club
- https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/12/03/glyphosate-l-une-des-plus-influentes-etudes-garantes-de-la-surete-de-l-herbicide-retractee-vingt-cinq-ans-apres-sa-publication_6655817_3244.html