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Billet de blog 16 janvier 2025

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Dépakine : la partie émergée de l'iceberg

L’affaire de la Dépakine souligne à nouveau le besoin urgent de mettre à jour la réglementation par rapport aux connaissances actuelles en matière de fonctionnement du vivant.

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Le 14 janvier 2025, Le Figaro publie une tribune intitulée « Dépakine : la justice confirme que l'État est en partie responsable ». L'auteur écrit : « La cour administrative d'appel de Paris a confirmé ce mardi que l'État avait une part de responsabilité dans l’ « insuffisance d'information» donnée aux patients et aux médecins sur les risques de l'antiépileptique Dépakine pris pendant la grossesse ».

De son côté, le fabricant Sanofi affirme que « depuis la fin des années 80, le laboratoire n’a eu de cesse de solliciter des modifications des documents d’information, qui n’ont pas été acceptées par l’autorité sanitaire ».

Cette affaire représente une tragédie qui aurait pu être potentiellement évitable pour les enfants et les familles impactés par ce lapsus bureaucratique au niveau des agences de sécurité sanitaire (et notamment l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament, l’ANSM anciennement AFSSAPS). Or, hélas, elle ne révèle que la pointe de l’iceberg quant au dysfonctionnement de notre système de sécurité sanitaire dans la délivrance des autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments.

Dans les années 60, la catastrophe concernant la thalidomide a marqué les esprits. Cette molécule a provoqué de nombreuses malformations graves, dont  des phocomélies (absence ou sous-développement sévère des membres, souvent avec une fixation des mains et des pieds près du tronc). Actuellement, il existe sur le marché de nombreux médicaments considérés comme tératogènes (provoquant des malformations du fœtus), la Dépakine en faisant partie.

Comment savoir si un médicament prescrit à une femme enceinte est capable de provoquer des malformations de l'enfant qu'elle porte ? Les tests requis par la réglementation pour répondre à cette question consistent principalement en des expériences sur des rongeurs et des lapins. Cette exigence réglementaire remonte au moins aux années 60. Cependant, les agences de sécurité sanitaire reconnaissent qu’il n’est pas évident de transposer les résultats observés chez les animaux à l’être humain. Citons l’Agence européenne des médicaments : « La pertinence de ces résultats pour l’homme n’est pas claire, en particulier parce que les différences de sensibilité des humains aux malformations congénitales majeures induites par le valproate (nom générique de la Dépakine) par rapport aux souris sont inconnues et que la pharmacocinétique du valproate chez la souris est significativement différente de celle des humains ».

Ajoutons que chez l'homme, la phase embryonnaire constitue 20 % de la période de gestation totale et la phase fœtale 80 %, alors que chez la souris et le rat on constate exactement le contraire.

Un autre élément à prendre en considération lorsqu'on utilise des animaux pour détecter de possibles effets tératogènes des substances chimiques est la loi de Karnofsky, qui stipule que toute substance peut être tératogène si elle est donnée à la bonne espèce animale, à la bonne dose et au bon moment au cours de la gestation. Selon une étude publiée par l'Université Johns Hopkins aux États-Unis, sur 1500 substances qui ont provoqué des malformations congénitales sur des animaux de laboratoire, seules 40 avaient des corrélatives humaines, soit une valeur prédictive positive (PPV) de ces essais sur des animaux de 3 %.

L’affaire de la Dépakine souligne à nouveau le besoin urgent de mettre à jour la réglementation par rapport aux connaissances actuelles en matière de fonctionnement du vivant. Il s’agit d’appliquer les technologies du 21ème siècle désormais disponibles, comme les « organes sur puce », qui fournissent des données beaucoup plus fiables et pertinentes pour la santé humaine que les essais sur des animaux.

Le plus grand obstacle n’est plus la technologie mais l’inertie des agences de sécurité sanitaire, d'où un manque de pression sur l’industrie pharmaceutique qu'elle abandonne ses méthodes obsolètes. Cette tribune est censée contribuer à mieux informer le grand public ainsi que nos élus et les actionnaires de l’industrie pharmaceutique pour promouvoir une transition vers un système de santé plus sûr et plus efficace.

Références bibliographiques

Dépakine: la justice confirme que l'État est en partie responsable

Médicaments tératogènes au cours de la grossesse‎: Dépakine® et Isotrétinoïne

Valproate Art. 31 - Assessment report for publication

https://antidote-europe.eu/public/Medleg&bioethFR.pdf

L'industrie pharmaceutique face à un dilemme | Le Club

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