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Billet de blog 24 septembre 2025

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Devons-nous à l'expérimentation animale plusieurs prix Nobel ?

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Les défenseurs de l’expérimentation animale affirment souvent que c’est grâce à cette pratique que les recherches de la quasi-totalité des lauréats du prix Nobel de physiologie ou médecine ont abouti. Cette affirmation résiste-t-elle à l'analyse des données historiques sur les processus ayant mené à ces découvertes ?

Cette tribune fait suite à la précédente, intitulée « Devons-nous à l'expérimentation animale nos soins médicaux ? » (1), dans laquelle nous rappelions : "Utiliser des animaux relève d'un choix laissé à la liberté de la recherche académique." Que des expériences sur des animaux aient eu lieu lors de la mise au point de certains soins médicaux, y compris certains de ceux qui ont valu un prix Nobel à leurs découvreurs, ne signifie pas que ces expériences aient joué un rôle déterminant ni que la découverte n'aurait pas pu se faire sans elles.

Il est nécessaire de creuser l’histoire de la médecine et de saluer les personnes ayant effectué un travail minutieux pour relever les faits, parfois méconnus ou omis durant le cursus médical universitaire, ce qui représente une lacune importante.

Depuis l’Antiquité, l’homme pratique l’expérimentation animale, à défaut de pouvoir étudier l'être humain. C’est pendant la Renaissance que les médecins et les anatomistes ont pu disséquer le corps humain avec l’approbation de l’église. Après être restées incontestées pendant des siècles, certaines des observations erronées de Galien (129 – 216 apr. J.-C.) sur la physiologie du système circulatoire (basées largement sur des dissections d’animaux) seront remises en question vers 1242, date à laquelle Ibn al-Nafis publia son ouvrage « Commentaire sur l'anatomie dans le Canon d'Avicenne », dans lequel il décrivait sa découverte de la circulation pulmonaire chez l’homme. Ses observations anatomiques furent ensuite détaillées par Andreas Vésale, avec des descriptions et des illustrations de dissections humaines publiées dans « De humani corporis fabrica ». Dans cet ouvrage, la théorie physiologique de Galien fut réinterprétée et corrigée à la lumière de ces nouvelles observations (2).

D'autres observations erronées émailleront les travaux de Claude Bernard, décrits surtout dans son chef d’œuvre publié en 1865 intitulé « Introduction à l'étude de la médecine expérimentale ». Les méthodes de Claude Bernard ancreront l’expérimentation animale en tant que moyen supposé de comprendre la physiologie humaine, paradigme encore en vigueur de nos jours (3).

Concrètement, suite à ce préambule, comment remettre en question l’affirmation que la quasi-totalité des lauréats du prix Nobel de physiologie ou médecine se sont appuyés sur l’expérimentation animale ?

  1. Il est assez logique que si la grande majorité des chercheurs pratiquent l’expérimentation animale (le paradigme de recherche biomédicale en vigueur) à l’exclusion de méthodes sans animaux, les découvertes ou les avancées médicales soient attribuées ipso facto à la recherche impliquant des animaux.
  2. Les découvertes accidentelles. Il arrive qu’une découverte majeure se révèle grâce à un « heureux accident » où, par exemple, un chirurgien est obligé de tenter une nouvelle technique pour sauver une vie humaine. Le chirurgien peut ensuite décrire sa découverte de façon anecdotique dans un journal scientifique, ce qui pourrait passer inaperçu par la communauté médicale. En revanche, si le chirurgien (ou d’autres scientifiques à la recherche de notoriété) répète la même manipulation en utilisant 10 chiens pour « valider » ce qui a déjà été réalisé avec succès chez l’homme, cela pourrait attirer beaucoup plus de critique favorable, puisque plus en conformité avec le paradigme du jour (ou du statu quo). Il s'ensuit que la découverte magistrale sera désormais attribuée à l’expérimentation animale plutôt qu’à un heureux accident.
  3. La découverte de l’insuline comme exemple de plagiat scientifique illustre le point précédent. En 1788, le médecin britannique Thomas Cawley faisait le lien entre les symptômes du diabète et un taux de sucre élevée dans les urines (4). À peu près un siècle plus tard, le biologiste allemand Paul Langerhans (5) découvre les cellules du pancréas qui produisent l'insuline par des études au microscope. Encore fallait-il isoler et purifier l’insuline afin de traiter les diabétiques. L’avancée majeure se produira grâce à une « heureuse observation ». En 1920, le Dr Banting lit un article du Dr Moses Baron décrivant le rapport d'autopsie d'un patient diabétique dont le canal pancréatique était obstrué par des calculs. Cet article a suggéré l'idée d'extraire une hormone pancréatique hypothétique (qui sera plus tard appelée insuline). Le Dr Banting et un collègue, le Dr Best, ont répliqué le blocage du canal pancréatique chez des chiens tout simplement en liguant le canal chez ces derniers. Pourquoi utiliser des chiens alors qu'il aurait été possible d'étudier des déchets chirurgicaux et autres données issues d'observations faites chez l'être humain ? Banting et Best ont dû attendre l’arrivée du biochimiste James Collip (6), capable de purifier l’insuline par la technologie disponible pour éviter les abcès chez les patients diabétiques. Les lecteurs sont invités à lire une tribune publiée sur le site « The Conversation » qui omet certaines personnalités à qui le prix Nobel aurait dû être décerné mais qui dévoile surtout une histoire « d'egos monstrueux et de rivalités toxiques » dans le monde scientifique (7).
  4. Il arrive que l’expérimentation animale freine le progrès médical. Un exemple en est l’élaboration du vaccin contre la polio. Des études menées avant 1910 sur des patients naturellement infectés par le virus de la poliomyélite ont démontré que le virus pénètre dans le corps humain par le système digestif. Pourtant, après avoir réussi à isoler le virus, la communauté scientifique a ignoré ces conclusions cruciales et s'est principalement concentrée sur les résultats d'études menées sur des singes, au cours desquelles Simon Flexner et son équipe avaient injecté le virus directement dans le cerveau ou la moelle épinière de macaques rhésus. Ces études ont renforcé l’hypothèse erronée que le virus se propageait par voie respiratoire plutôt que par la voie du système digestif. Il a fallu attendre 1949 pour que le trio de chercheurs Enders, Weller et Robbins arrivent à cultiver le virus sur des cellules (y compris des cellules d’origine humaine) afin d’élaborer un vaccin. Ils obtiennent le Prix Nobel en 1954 (8).
  5. Des prix Nobel de physiologie ou médecine, mais aussi de physique ou de chimie, ayant contribué de façon importante à la mise au point de nos thérapies modernes ont été décernés à des recherches sans expérimentation animale. Par exemple : la découverte de l’ADN (Watson, Crick, et Wilkins en 1962) ; les rayons X (Röntgen en 1901) ; la radioactivité spontanée et les phénomènes de radiation (Becquerel et les époux Curie en 1903) ; les groupes sanguins chez l’homme (Landsteiner en 1930) ; quasiment tout processus découvrable au niveau de la cellule, par exemple, le cycle de Krebs (prix Nobel en 1953) ; le co-enzyme A (Lipmann en 1953); le processus de l’autophagie (prix Nobel décerné en 2016 au Dr Yoshinori Ohsumi qui utilisa des levures et ensuite des cellules humaines pour démontrer le principe de l’autophagie) (9).

Sans se limiter au domaine des prix Nobel, de nombreuses découvertes médicales ne doivent rien à l'expérimentation animale : le lien entre le tabagisme et le cancer du poumon chez l’homme ; la cathétérisation cardiaque (en 1929, le Dr Werner Forssmann pratiqua cette intervention sur lui-même) ; l’anesthésie générale (l’éther et le gaz hilarant). Parmi les meilleurs exemples, citons plus en détail la plupart des premiers médicaments psychotropes, qui ont été découverts par hasard, plutôt que grâce à des expériences sur des « modèles animaux ». L'isoniazide, initialement utilisée pour traiter la tuberculose, a été identifiée comme possédant des propriétés modifiant l'humeur et a été commercialisée comme le premier antidépresseur en 1957 (10, 11). La chlorpromazine, initialement utilisée comme adjuvant en anesthésie dans un hôpital parisien en 1952, a été découverte en tant que psychotrope par un chirurgien militaire plus tard la même année (12). De même, les phénothiazines sont issues de la recherche de meilleurs agents préanesthésiques. Contrairement aux découvertes obtenues par observation fortuite, de nouveaux médicaments psychotropes, tels que les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), ont été mis au point grâce à un processus de conception rationnelle de médicaments. Cinq ISRS (citalopram, fluvoxamine, fluoxétine, paroxétine, sertraline) ont été développés indépendamment par cinq entreprises différentes (13). La conception rationnelle de médicaments, s'appuyant sur plusieurs disciplines ayant connu un grand essor dans les dernières décennies (biochimie, génomique, modélisation informatique, etc.), est aujourd'hui le principal moteur du développement des médicaments psychiatriques (et autres) modernes.

Bref, souvent l’histoire confond le fait d’avoir utilisé des animaux au cours d’une découverte ou avancée majeure avec le processus scientifique de la découverte. Il existe plusieurs étapes critiques à franchir pour aboutir à une avancée médicale majeure. Certes, les animaux dans les laboratoires figurent souvent parmi ces étapes, mais il faut se poser la question : l’expérimentation animale a-t-elle joué un rôle clé dans le processus ou s’agit-il d’un acte médiatique pour « mieux convaincre » le grand public et les agences de subventions de la recherche biomédicale ?

Si le présent annonce le futur, il est à prévoir que les outils technologiques du 21ème siècle éclipseront totalement l’expérimentation animale. La bioingénierie, fusion fascinante de la biologie et de l’ingénierie, transforme radicalement notre monde. Dans le cadre de l’innovation médicale, elle s’est imposée comme un outil puissant pour le développement de nouvelles approches thérapeutiques et pour l’élaboration de tissus et organes bioartificiels. Le génie biomédical a ouvert la voie à une multitude de possibilités pour mieux traiter les maladies humaines.

Références bibliographiques

  1. Devons-nous à l'expérimentation animale nos soins médicaux ? | Le Club
  2. Galen - Wikipedia
  3. Claude Bernard — Wikipédia
  4. A Singular Case of Diabetes, Consisting Entirely in the Quality of the Urine; with an Inquiry into the Different Theories of That Disease - PMC
  5. Paul Langerhans (médecin) — Wikipédia
  6. James Collip - Wikipedia
  7. La découverte de l'insuline : une histoire d'egos monstrueux et de rivalités toxiques
  8. John Franklin Enders - Wikipedia
  9. Yoshinori Ohsumi wins Nobel prize in medicine for work on autophagy | Nobel prizes | The Guardian
  10. Waterstradt K. A transitory psychosis occurring twice after isoniazid therapy [in German]. Dtsch Med Wochenschr.1957;82:1138.
  11. Jackson SL. Psychosis due to isoniazid. Br Med J. 1957;2:743-746.
  12. Charpentier P, Gailliot P, Jacob R, et al. Recherches sur les dimé-thylaminopropyl-N phénothiazines substituées. Comptes rendus de l’Académie des sciences (Paris). 1952;235:59-60.
  13. Preskorn SH. CNS drug development. Part II: advances from the 1960s to the 1990s. J Psychiatr Pract.2010;16:413-415.

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