En 2016, le Comité national néerlandais pour la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques (NCad) a publié une recommandation appelant à une réduction progressive et à une sortie planifiée de l'expérimentation animale avant 2025, notamment pour les essais exigés dans le cadre de la réglementation pour les produits chimiques, les denrées alimentaires, les pesticides, les médicaments et les vaccins.
Devenir le leader mondial de la recherche et de la toxicologie sans animaux de laboratoire avant 2025 était l'objectif du ministre néerlandais de l'Agriculture, Martijn van Dam, qui avait chargé le NCad de fixer un calendrier pour l'élimination progressive des procédures sur des animaux (1). Malheureusement cette proposition n’a pas abouti.
Cette tribune a pour but d’exposer les raisons de cet échec et de dévoiler l’inertie des industriels ainsi que le mépris institutionnel de certaines agences gouvernementales.
Cela fait 75 ans que l’industrie pharmaceutique, l’industrie chimique et les autorités de réglementation se fient aux données issues d'essais sur des animaux pour soi-disant protéger la santé humaine. Ce chiffre correspond au temps écoulé depuis le procès des Médecins qui a eu lieu à Nuremberg à la fin de la Seconde Guerre mondiale, suite auquel les essais sur des animaux ont été adoptés par l'industrie pharmaceutique comme préalable aux essais cliniques impliquant des volontaires sains et des patients.
Depuis, la science, la technologie et nos connaissances sur le fonctionnement du vivant ont avancé à très grands pas. Mais les essais sur des animaux restent ancrés dans les pratiques scientifiques et réglementaires. Comment l'expliquer ?
1. Le changement ne vient pas de ceux qui utilisent les animaux. Ce ne sont pas les industriels, mais les militants et la société civile - une fois informée – qui font changer les choses. Examinons le cas des produits cosmétiques. C’est grâce à une campagne massive dont le point d'orgue a été une pleine page du New York Times en 1980 ayant pour titre : « Combien de lapins Revlon rend-il aveugles pour la beauté ? » que les grands fabricants de produits cosmétiques s’investissent dans le développement de méthodes sans animaux pour tester leurs produits. Hélas, les associations et les militants ne se sont pas rendu compte à l’époque qu’ils étaient trompés par les industriels. Il aura fallu attendre plus de 30 ans (TRENTE ANS) pour que des essais sans animaux soient reconnus et que leur mise en œuvre soit exigée par la Commission européenne. Pire encore, les industriels ont réussi à faire croire que les essais requis par la loi avaient été largement remplacés par des méthodes substitutives, alors qu’en réalité, l’industrie n’avait remplacé qu'un petit nombre d'essais sur des animaux dans le cadre de la Directive concernant les cosmétiques.
La plupart des substances entrant dans la composition de produits cosmétiques sont des substances chimiques industrielles (lesquelles, en conformité avec le règlement REACH, sont normalement toutes testées sur des animaux). Ainsi, ces substances entrant dans deux catégories d’utilisation (cosmétique et industrielle) peuvent toujours être testées sur des animaux. En réalité, l’industrie cosmétique pratique des essais sur des animaux sous couvert d’une autre législation (2).
2. Les méthodes modernes ne sont pas acceptées rapidement. L’industrie pharmaceutique et l’industrie chimique ne sont pas pressées de remplacer les essais sur des animaux. La preuve, elles n’ont rien fait pendant 75 ans, malgré les progrès fulgurants de la science et de la technologie ! Ce sont les militants pour la cause du bien-être animal qui ont réussi, ne serait-ce que de façon partielle, à faire bouger les fabricants de produits cosmétiques. Dans le cas des médicaments, l’innovation arrive enfin grâce aux collaborations public-privé comme celle de l’Institut Wyss aux États-Unis, véritable pionnier de la bio-ingénierie et des « organes sur puces » d’origine humaine.
Le « foie-sur-puce » a déjà fait ses preuves sur le plan scientifique. Il est capable de révéler des effets indésirables de médicaments de façon beaucoup plus fiable que tous les autres indicateurs utilisés en stade préclinique, c’est-à-dire avant les essais sur les volontaires sains et les patients. Il est également important de noter que les essais sur des animaux (rongeurs, chiens et singes) pour révéler les effets indésirables des médicaments au niveau du foie ne sont pas plus fiables que de jouer à pile ou face (3). Qu’attend notre Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour inclure le foie-sur-puce dans la liste des essais à effectuer pour toute nouvelle demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) ?
3. Les élus ne sont pas entendus. Environ quatre millions d’animaux sont tués chaque année dans les laboratoires français (parmi les principaux utilisateurs en Europe), mais le gouvernement ne veut pas reconnaître l’importance et l’urgence d'examiner la (non)pertinence de l’expérimentation animale. Malgré plusieurs tentatives par certains élus, le gouvernement met un feu rouge à la proposition de créer une commission d’enquête ou une mission d’information sur ce sujet.
4. Le mépris institutionnel. Le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (MESR) est peu coopératif face aux demandes d'explications ou de justificatifs par des ONG comme Antidote Europe (Actions de lobbying - Antidote Europe), relatifs à l’utilisation massive d’animaux en tant qu’éprouvettes ou usines vivantes, à l’heure où les États membres de l’Union européenne ont remplacé la quasi-totalité de ces manipulations par des technologies et méthodes modernes sans animaux. Ce mépris ne concerne pas uniquement les citoyens et les ONG. Une question parlementaire au sujet de la recherche dite de « gain de fonction » (manipulations d’agents pathogènes) posée en 2024 par un sénateur est restée sans réponse ; elle a été redéposée en janvier 2025 et reste à ce jour sans réponse (4).
Revenons sur la proposition du ministre néerlandais de l'Agriculture en 2016 de remplacer une bonne partie des essais sur des animaux avant 2025. La technologie nous permet de concrétiser ce projet aujourd’hui, alors que les industriels et les agences de sécurité sanitaire repoussent la date butoir, évoquant 2035 ou encore 2045. Toutefois, il est fort possible que les démarches réalisées au sein de la FDA (la haute autorité de sécurité sanitaire aux États-Unis) feront basculer ce calendrier en faveur des ONG, des animaux, de la science moderne et de la santé humaine. En effet, le FDA Modernization Act 2.0 (acté en 2022) et le FDA Modernization Act 3.0 (en cours d’approbation) ouvrent la voie au remplacement systématique des essais sur des animaux par des méthodes modernes et pertinentes pour la santé humaine (5). Affaire à suivre.
Références bibliographiques
- The Netherlands sees 2025 as first year without Regulatory Animal Experiments
- Rétablir les faits au sujet des essais de cosmétiques - Antidote Europe
- L'industrie pharmaceutique face à un dilemme | Le Club
- Question de M. Arnaud Bazin au gouvernement, le 15 janvier 2025.
- Booker, Colleagues Reintroduce FDA Modernization Act 3.0