La disparition, jeudi 17 avril, d'Aimé Césaire a suscité de nombreuses réactions sur le Club de Mediapart. Qu'il s'agisse de saluer le poète ou d'honorer l'homme de conviction, les témoignages se sont multipliés sur les blogs. Retour sur l'hommage du Club au « nègre fondamental ».
L'une des richesses du Club est sans doute la diversité des membres qui le compose. Une multiplicité de voix, touchées par la disparition d'Aimé Césaire, qui chacune à leur façon lui rendent hommage. Il y a d'abord, Patrice Louis, journaliste en Martinique, qui raconte ses derniers instants auprès du poète : « Aimé Césaire a un programme régulier. Chaque matin, un chauffeur passe le prendre et, vers 9 h 30, sa voiture entre dans la cour de l’ancien hôtel de ville qui abrite le théâtre municipal, où le grand homme modeste a conservé un bureau. Un discret coup de klaxon prévient Joëlle, la collaboratrice qui veille sur lui bien au-delà de sa fonction de secrétaire, descend du premier étage où il est attendu. Elle l’aide à sortir de l’auto et, bras dessus-bras dessous, tous deux montent l’escalier à pas comptés. » A 94 ans, l'homme n'avait rien perdu de son aura. « Chacun veut entendre de sa bouche des épisodes qui relèvent à présent de l’Histoire. L’esprit vif, la mémoire alerte et le verbe choisi opèrent magistralement. Césaire parle, on l’écoute. »
Il y a aussi Achille Mbembe, historien et grand théoricien du post-colonialisme, pour qui la mort du poète doit être une invitation à se replonger dans les écrits de Césaire : « Et c’est donc à le reprendre, chaque fois en des termes nouveaux, sans jamais donner à ses affirmations un sens trop facile, trop frivole, que la présence nue de sa mort désormais nous convie », écrit Achille Mbembe, dans une analyse passionnante de la pensée de Césaire. « Chez Césaire, le terme "nègre" signifie donc quelque chose d’essentiel, qui ne relève absolument pas du racisme noir ou de l’idolâtrie de race. Parce qu’il est chargé de tant d’épreuves (que Césaire tient absolument à ne jamais oublier) et parce qu’il constitue la métaphore par excellence de la "mise à part", ce nom exprime le mieux, et a contrario, la quête de ce qu’il appelle une "plus large fraternité", ou encore un "humanisme à la mesure du monde". »
C'est également sur Mediapart qu'Edouard Glissant, autre grande figure martiniquaise des lettres, rend hommage à Aimé Césaire : « La mort des poètes a des allures que des malheurs plus accablants ou terrifiants ne revêtent pourtant pas. C'est parce que nous savons qu'un grand poète, là parmi nous, entre déjà dans une solitude que nous ne pouvons pas vaincre. Et au moment même où il s'en est allé, nous savons que même si nous le suivions à l'instant dans les ombres infinies, à jamais nous ne pourrions plus le voir, ni le toucher. »
A ces grandes signatures, se mêlent les hommages de Fred Oberson « au poète, à l'écrivain, à sa vie tout entière consacrée à l'affirmation et à la défense de la négritude », deSamuel Dixneuf, professeur de littérature, qui cite Prophétie : « je la regarde en îles britanniques en îlots / en rochers déchiquetés se fondre / peu à peu dans la mer lucide de l'air / où baignent prophétiques / ma gueule / ma révolte / mon nom ». Ou encore celui de Claire Vassé qui cite ABCésaire, « Le poète est cet être très vieux et très neuf, très complexe et très simple, qui aux confins vécus du rêve et du réel, du jour et de la nuit, entre absence et présence, cherche et reçoit, dans le déclenchement soudain des cataclysmes intérieurs, le mot de passe de la connivence et de la puissance. »
Les témoignages se succèdent, inspirant Patrice Beray : « la disparition d'Aimé Césaire a des accents immémoriaux, hugoliens, qu'atténue à peine la "distance" de l'outre-mer. Des accents inouïs, au sens propre du terme : de souvenir de poète, de souvenir tout court, on peine à ouïr, à trouver comparatif qui vaille ».
Et la mort d'Aimé Césaire de faire souffler sur Mediapart un vent de poésie...
Mais le « nègre fondamental » était aussi un homme de conviction, un homme politique. Mathilde Mathieu le rappelle en publiant des extraits de ses plus grands discours à l'assemblée nationale, où il évoque notamment « le sourd grondement de peuples avides de justice ». Des combats toujours d'actualité comme l'écrit Sara pour qui l'hommage de Nicolas Sarkozy à Aimé Césaire, à un « goût d'imposture ».
Tous ces témoignages auront au moins permis à ceux qui connaissaient peu ou mal l'œuvre du poète martiniquais de le découvrir. D'aller à la rencontre de ces vers magnifiques, tirés de Moi, laminaire, l'ultime recueil d'Aimé Césaire, cités ici par Antoine Perraud :
« J'habite une blessure sacrée
j'habite des ancêtres imaginaires
j'habite un vouloir obscur
j'habite un long silence
j'habite une soif irrémédiable... »
Pour appronfondir sa connaissance de l'œuvre d'Aimé Césaire, voir aussi la note de veille de Vincent Truffy : Découvrir ou redécouvrir « le nègre fondamental »