Avec "L'avenir en commun, Le programme de la France insoumise et son candidat Jean-Luc Mélenchon", nous avons relevé, dans notre précédente chronique (I - Jean-Luc Mélenchon et les immigré-es/migrant-e), la rupture qui était opérée avec ce qu'en 2012 le programme du même Mélenchon défendait dans son programme de candidat à la présidentielle, appelé alors "L'Humain d'abord" : il n'est désormais plus question de liberté de circulation ni d'installation, exit la notion de régularisation de tous /toutes les sans-papier-es : la question particulière du droit d'asile y est réduite à une bien laconique, et en fait politiquement régressive, revendication d'hébergement "le temps de l'analyse des demandes d'asile". Façon de s'inscrire implicitement dans un refus d'automaticité du droit à la circulation et à l'installation.
Ce virage par rapport à 2012, signant une entrée, se voulant certes généreuse, humaine, etc., dans une logique intrinsèquement dommageable pour les populations concernées par les migrations, cherche à déplacer la problématique de "L'Humain d'abord" vers l'amont des processus de migrations. Le "d'abord", c'est désormais l'amont, l'avant, l'intervention sur les causes pour en annuler les effets, c'est-à-dire les migrations proprement dites. Le titre du point 59 du programme de la France insoumise est on ne peut plus explicite : "Lutter contre les causes des migrations" et nous lisons dans la brève introduction ce qui est la "philosophie causaliste" du mélenchonisme nouveau, résumée en ces mots "La première tâche est de permettre à chacun de vivre chez soi". Suit la mention de la nécessité, à cet effet, d'arrêter les guerres, les accords commerciaux qui détruisent les économies locales, d'affronter le changement climatique.
En somme, en opposition à ce qu'induit comme effet instantané, pour les migrant-es et autres immigré-es, la mise en oeuvre d'une liberté de circulation et d'installation, nous avons un catalogue de généralités assez passe-partout dont rien de concret ne vient asseoir la moindre crédibilité. Pas même ce que nous lisons au point 62 du programme, assez pompeusement énoncé "Construire des coopérations altermondialistes et internationalistes". Tout au plus trouvons-nous un peu explicite appel à "la mise en oeuvre d'un mécanisme de restructuration des dettes souveraines dans le cadre de l'ONU sur la base de la résolution votée en 2015 sur proposition de l'Argentine". Or le CADTM (Comité pour l'annulation des dettes illégitimes), tout en se félicitant de la résolution onusienne, en pointait les insuffisances en proposant "d’ajouter trois principes aux 9 qui ont été adoptés ", principes tournant autour des mots clés "audit", "moratoire" et "non transfert des dettes privées au public" (lire ici). Même si, dans ces contre-propositions le CADTM n'explicite pas, comme au demeurant signifie la mention "pour l'abolition des dettes illégitimes" associée à son sigle, qu'il faille envisager le "non-remboursement" des dettes dites "illégitimes", il rappelle ailleurs qu'en rester, comme fait ici le programme de Jean-Luc Mélenchon, à l'idée de "restructurer" les dettes, dans l’écrasante majorité des cas, bute sur le fait, rappelé par le rapporteur lui-même de l'ONU, que "les restructurations de dettes ont, dans les faits, presque toujours été pilotées par les créanciers afin de servir leurs propres intérêts." (cliquer ici).
On voit donc bien que, dans l'attente que Jean-Luc Mélenchon nous décrive comment il pourrait déjouer cette conception capitaliste de la restructuration des dettes, si tant est que restructurer ne soit pas en soi rester prisonnier de la logique capitaliste, le programme de la France Insoumise n'a pas d'autre solution immédiate à la situation des migrant-es et des immigrés que de ... soumettre leur droit à l'asile, ou à toute autre régularisation pour installation, à examen. Donc à des critères de conditionnalité négateurs de fait du droit à régularisation automatique défendu en 2012 par "L'Humain d'abord" ! A ce titre le nouveau programme du mélenchonisme signifie un recul politique d'autant plus grave qu'il a lieu dans le contexte humainement effroyable d'une chasse démultipliée aux migrant-es qui cherche, par tous les moyens, à ne pas dire son nom !
Pour revenir à la clé de voûte du positionnement de la France Insoumise sur la question dont nous parlons ici, "permettre à chacun de vivre chez soi", on lira avec profit ce que l'ouvrage court mais incisif "Migrants et Réfugiés (réponses aux indécis, aux inquiets et aux réticents)" (La Découverte) écrit en son chapitre 22 : "Ne devrait-on pas plutôt les aider à rester chez eux ?"
Alors où, chez qui, trouve-t-on toujours la revendication que défendait "L'Humain d'abord" en 2012 ? Et que lui-même défendait à cette occasion ?