Extrait de Royaume d’Espagne. «Le jugement met le feu à la Catalogne. Bilan d’une semaine de mobilisations»
Le texte original en espagnol La sentencia enciende Cataluña: balance de una semana de movilizaciones

Violence
La violence d’aujourd’hui n’a qu’un seul grand coupable: la répression policière. Environ 2000 policiers envoyés par le gouvernement espagnol, plus des milliers de «mossos» [police catalane], des attaques indiscriminées, l’utilisation de balles en caoutchouc (interdite en Catalogne) et de gaz lacrymogène. Plus de 200 personnes soignées dans les hôpitaux, des dizaines de journalistes battus, quatre personnes peuvent perdre un œil et une autre a perdu un testicule. Un dirigeant du PP (Parti populaire) catalan a été très clair: «L’action de la police n’est pas la violence mais l’usage légitime de la force».
Commençons par là: la brutalité policière et la provocation sont légales et permises, tout le reste, c’est l’enfer. Les télévisions ne montrent que les barricades incendiées, mais il existe de nombreux enregistrements de personnes anonymes au sujet d’accusations policières et de provocations, tant face à des groupes de manifestants qu’à des individus. Même Amnesty International a dû dénoncer des «cas de recours excessif à la force policière». Marie Struthers, directrice Europe d’Amnesty, a déclaré: «La manière dont le matériel antiémeute est utilisé est très préoccupante.»
Il semble y avoir autre chose. Les forces de police ont pu agir à leur guise, jouissant d’une grande autonomie par rapport aux gouvernements (central et catalan). Cela a été évident, par rapport au gouvernement, mais aussi par rapport au gouvernement espagnol. Les Mossos ont ignoré les protocoles d’action et nous avions déjà vu l’opération grossière de la Guardia Civil contre le CDR. Ces jours-ci nous avons vu que Sánchez et Marlaska (ministre de l’Intérieur), ainsi que Torra (président de la généralité de Catalogne) et Buch (ministre de l’Intérieur de Catalogne), ont été pris à contre-pied C’est un facteur de désordre très important. Vous ne pouvez pas gouverner un pays soumis à la police et aux juges.
Cette fois-ci, des milliers de jeunes, et moins jeunes, ont répondu aux provocations. Le caractère d’un mouvement de masse pacifique est évident, mais il y a une limite à tout. Lorsque le poids de la loi est perçu comme antidémocratique, lorsque la répression policière est utilisée sans discernement et qu’il n’y a aucune perspective de dialogue ou de propositions politiques, lorsque la crise et la précarité brisent toute perspective vitale, il n’est pas difficile d’y voir un terrain propice pour des groupes de jeunes pour affronter la police. Au lieu de les condamner et d’essayer de les isoler, il vaudrait mieux les écouter, les politiser et leur apprendre la stratégie politique, car le problème avec ces actions est de savoir si elles sont acceptées ou non par la masse mobilisée, si elles servent à renforcer ou à affaiblir le mouvement, et non des condamnations hypocrites de ceux qui sont pourtant prêts à les envoyer face à la police, nationale ou mossos.
Cela n’enlève rien au fait qu’il y a des policiers provocateurs (c’est habituel: ce ne serait pas la première fois) ou des aventuriers qui affrontent la police sans aucun objectif. El est évident que l’État et le gouvernement ont un énorme intérêt à présenter le mouvement national d’émancipation comme violent. En réalité, le jugement de la Cour suprême leur donne cette couverture, et ils l’utilisent pour écraser et écraser avec la même idée.
Le journaliste Javier Gallego d’El Diario a qualifié cette question de manière adéquate. Il dit: «Nous avons vu des conteneurs brûlés à Gamonal [révolte populaire à Burgos en 2014] et nous avons applaudi un combat de quartier contre la spéculation. Nous avons vu les adolescents lancer des projectiles sur la police et nous avons admiré le courage dont ils ont fait preuve pour défendre leur emploi et leur famille. Nous avons vu les Murciens (habitants de Murcie) couper la voie ferrée pour demander l’enfouissement du passage de l’AVE (train à grande vitesse) et nous avons célébré leur victoire. Nous avons célébré la façon dont les Équatoriens viennent de renverser les mesures néolibérales de leur gouvernement après une bataille rangée. Nous avons vu les 15M («les indignés», les marées, les marches de la dignité) affronter les coups de la police antiémeute et nous avons critiqué la violence policière et défendu la lutte sociale pour la démocratie. Maintenant, avec les Catalans indignés, je vais le faire aussi, bien que je ne sois pas d’accord avec l’indépendance.»
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"La riposte populaire massive aux condamnations, initialement impulsée par Tsunami Democràtic, mais par la suite prise en charge surtout par les CDR, met en porte-à-faux l'indépendantisme majoritaire qui était déjà très divisé avant le prononcé des sentences contre les prisonniers politiques. Le débat sur violence/non violence finit de déstabiliser et fracturer plus encore cette représentation politique de l'indépendantisme : tout un secteur de la jeunesse est en rupture avec le pari de la modération et des manoeuvres institutionnalistes qui la caractérise. Résultat : Madrid déstabilisé par la massivité et, pour une partie non-négligeable quoique très minoritaire, la radicalité de la protestation populaire a le pouvoir, voire la tentation, d’accentuer la répression en assumant de donner de l’écho aux « radicaux ». Cela, dans une logique délibérée de politique du pire visant à accentuer les contradictions et les divisions d’un indépendantisme institutionnel désarçonné et divisé sur la stratégie à adopter comme par cette émergence de la violence populaire qu’il condamne. Reste à voir si des entités comme l'ANC, Omnium, Tsunami Democràtic ou les CDR ont la capacité politique de contribuer à résoudre cette complexe situation de crise sans décevoir une mobilisation populaire où les non-violents et les « violents » coexistent, pour l’instant, sans se gêner. Mais sans qu’il soit interdit de penser que le vide politique du côté des partis indépendantistes légalistes et/ou des provocations de Madrid fassent pencher une partie des premiers vers les seconds, une autre partie assumant que la complémentarité des deux ait, tout compte fait, sa raison d’être. " Tiré de Catalogne. La grève générale et les marches pour la liberté...
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Elle appelle aussi le Gouvernement espagnol à jouer la carte de la désescalade et à garantir le droit de réunion pacifique.
AI souligne "la nature pacifique des mobilisations en Catalogne et précise que, si des actes violents se produisent et mettent en danger des personnes, les forces de sécurité doivent agir avec modération et de façon proportionnée devant ces possibles poussées de violence. Nous sommes conscients des défis que doivent affronter les forces de sécurité mais l'usage de la force et l'utilisation de matériel antiémeutes par une partie des forces de police ne peut jamais être justifié."
Une équipe d'AI a été présente sur le terrain pendant les manifestations du 14 octobre et a pu noter plusieurs cas d'usage excessif de la force à l'encontre de personnes qui ne présentaient aucun danger, y compris des journalistes et des personnes qui avaient déjà été mises en état d'arrestation par des policiers.
Pour AI, la priorité dans ces cas est que la tension baisse et que tout le monde puisse exprimer en toute sécurité son opinion.
Or il est attesté que des balles en caoutchouc et des flash-balls ont été utilisées à très faible distance pour disperser des foules ou dans des lieux semi-fermés, tels des parkings ou les alentours de l'aéroport de Barcelone. Il en est résulté que des personnes ont été gravement blessées ce 14 octobre à l'aéroport de El Prat.
Selon les standards internationaux régulant l'usage des balles en caoutchouc ou des flash-balls, ceux-ci ne doivent pas être utilisés contre des manifestants pacifiques ni dans des situations où des personnes étrangères aux manifestations risquent d'être blessées.
AI a aussi constaté sur le terrain l'usage d'une pratique policière familièrement appelée "carroussel" consistant à faire avancer des fourgons de police vers un rassemblement pour le disperser.
Ces manoeuvres présentent un niveau élevé de dangerosité pour les manifestants. Lire en espagnol

« La police fait son travail, ça crève les yeux ! » Le slogan si souvent entendu dans les manifestations des gilets jaunes en France va-t-il passer les Pyrénées ? En tout cas, depuis l’annonce à de lourdes condamnations des leaders indépendantistes, quatre personnes ont perdu un œil au cours des manifestations qui ont lieu quotidiennement en Catalogne depuis le 14 octobre. Comme en France, les forces de l’ordre espagnoles, police ou « Guardia civil », sont équipées de flashball ou de lanceurs de balles de défense. Par contre, ces armes sont interdites à la police catalane depuis 2014 et l’énucléation d’un manifestant en 2012 par un tir des Mossos d’Esquadra. Cliquer ici

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