Le président de la République et ses suppôts tentent de jouer sur les deux tableaux dans l'affaire Bettencourt-Woerth-Sarkozy. Ils se posent d'abord en martyrs de la presse, pour susciter la compassion du public, qui se souvient des chasses à l'homme d'Outreau et de Toulouse, au cours desquelles tant d'innocents furent injustement persécutés. Nous avons montré, ici, ce qu'a de répugnant une telle course à la victimisation de la part d'un pouvoir non pas offert en sacrifice aux racontars, mais bien surpris, pour des faits avérés, au cœur d'un scandale politico-financier qu'une enquête menée par des journalistes indépendants dévoile comme l'un des plus fâcheux de la Ve République.
Non contents de prétendre à la palme des opprimés sous un acharnement médiatique immérité, Nicolas Sarkozy et ses agents utilisent sans vergogne les méthodes qui permirent de clouer au pilori des boucs émissaires lors, par exemple, de l'affaire Alègre: le tri retors des procès verbaux d'auditions. À Toulouse, au printemps 2003, seuls des extraits soigneusement expurgés étaient communiqués aux journalistes par le biais des gendarmes, des avocats, des magistrats. L'ancien maire de la ville et l'ancien substitut du procureur apparurent alors comme des monstres, tandis qu'une lecture in extenso des accusations délirantes de leurs dénonciatrices indiquait, dans l'instant et à coup sûr, l'inanité de leurs folles médisances.
Inversement, dans le cas de l'affaire Bettencourt-Woerth-Sarkozy, la sélection opérée sur un plateau pour des journalistes dûment «tuyautés» par le parquet voire le ministère de l'Intérieur à la manœuvre, consiste à ne retenir, dans la déposition de Claire Thibout, l'ancienne comptable de la famille Bettencourt, que des bribes de déclarations à décharge, qui donnent l'impression, au cours d'un interrogatoire mené en ce sens, d'exonérer les hommes politiques de l'UMP.
Le montage à peine transmis aux journaux qui le publient comme une rétractation de la comptable, l'Élysée se fend d'un communiqué s'auto-disculpant: Claire Thibout aurait été instrumentalisée par Mediapart, circulez, il n'y a plus rien à lire!
Retournement de situation? Une lecture exhaustive de l'interrogatoire subi par ce témoin permet de mesurer, au contraire, à quel point il y a confirmation davantage qu'infirmation de ses dires sur le financement occulte de la droite française par le clan Bettencourt. C'est précisément ce document, dans sa longueur, ses méandres et ses répétitions, que publie Mediapart. Chacun peut ainsi apprécier le tour de passe-passe tenté par le pouvoir, qui utilise à outrance les services de l'État pour protéger sa faction.
L'étranglement des moyens d'information n'a pu être (encore?) échafaudé comme en 2003, à Toulouse, lors de l'affaire Alègre. Un quotidien local qui donnait le la, un ténor du barreau et ses affidés, des gendarmes monomaniaques et une partie du palais de justice avide de vengeance, avaient alors asphyxié l'ensemble des journalistes, obligés de reprendre à leur compte une mystification fondée sur des PV tronqués.
Voilà pourquoi, malgré une complétude rébarbative, il faut lire ce que nous avons la chance d'avoir à disposition intégralement. Nous voici au cœur d'un paradoxe: le journalisme consiste à choisir honnêtement; la manipulation se fonde sur des fragments déloyaux. Internet, qui se joue des formats, n'empêche pas l'écrémage propre à l'information, tout en permettant l'offre de preuves complète terrassant la désinformation. Voilà tout l'enjeu de cette folle journée, non pas des dupes comme l'espérait Nicolas Sarkozy, mais des avisés...
Billet de blog 8 juillet 2010