Dans les murs de Radio France depuis vingt-trois ans, ce journaliste de Mediapart voudrait éclairer le différend qui opposa vendredi 15 mai, sur les ondes de France Inter, ses deux PDG: Edwy Plenel et Jean-Luc Hees.
La Maison ronde a très mal vécu certaines évictions. Celles en cours, qui touchent RFI (Radio France Internationale), en partie démantelée par une nouvelle organisation de l’audiovisuel extérieur. Celles qui privèrent l’an dernier les auditeurs de France Musique de producteurs chevronnés comme Dominique Jameux ou Alain Gerber. Celle de Jean-Luc Hees, en 2004, menée par Jean-Paul Cluzel, qui venait de RFI, où il avait déjà congédié un excellent journaliste, Jérôme Bouvier, justifiant ainsi sa brutalité: «C’est la vie, un jour on s’aime, un jour on ne s’aime plus.»
Dans de telles conditions, le retour aux affaires de Jean-Luc Hees prend valeur de parabole. Un limogeage inique ne conduit pas irrémédiablement aux enfers. Celui qui saura garder, malgré l’épreuve, son expertise et sa force de caractère, aura peut-être un jour l’occasion de virer son vireur. Il y a là quelque chose de profondément moral. D’autant que Jean-Luc Hees, réfutant la moindre vendetta dans son premier discours adressé au personnel de Radio France le 12 mai, s’est inscrit en faux contre toute dérive carnassière dans la gestion des ressources humaines.
À l’extérieur, d’aucuns préfèrent cependant distinguer, dans son arrivée, le nec plus ultra de la perversité sarkozyenne sur fond de darwinisme social. Nous verrons bien…
Revenons à l’échange de vendredi matin, peu avant 9h, sur France Inter, quand Jean-Luc Hees est venu en studio répondre à Edwy Plenel.
Jadis, sur France Musique, Claude Maupomé produisait une émission intitulée «Comment l’entendez-vous ?» L’échange de vendredi peut s’entendre ainsi: Jean-Luc Hees, à l’instar de Nicolas Sarkozy, passant par dessus les corps intermédiaires, impose sa présence et partant sa loi pour établir un rapport de force entre quatre yeux.
Les syndicats étaient dans leur rôle en protestant contre une intrusion effrénée, tout en reconnaissant dans leur communiqué la valeur professionnelle de Jean-Luc Hees; tout en prenant acte que le PDG a derechef promis qu’il renoncerait à ses pulsions microphages et qu’il n’y aurait donc pas de bis.
Parce qu’enfin une autre interprétation de l’impromptu de France Inter saute à l’ouïe. Dans une sorte de décontraction fonceuse, «à l’américaine» comme dit le facteur de Jour de fête, Jean-Luc Hees vient voir Edwy Plenel pour lui faire comprendre qu’ils sont de la même farine: deux hauts responsables naguère victimes de violences managériales, s’étant reconstruits avec le désir de n’avoir pas à faire subir ce qu’ils eurent à éprouver.
Hees, qui doit une telle occasion à l’Élysée, se porte garant, devant Plenel, que les conditions de sa nomination n’entacheront pas son mandat. Il en répond en direct: peu lui chaut qui l’a fait président, il sera l’arbitre du pluralisme. N’y a-t-il pas là une sorte de saut qualitatif, de serment démocratique, d’équivalent du passage d’un droit du sang à un droit du sol?
En définitive, ce dialogue au pied levé apparaît comme un moment de média participatif, et donc comme un hommage de Radio France à Mediapart…
Dans L’Impromptu de Versailles (1663), Molière campait une répétition théâtrale deux heures avant la venue du souverain et se plaisait à proclamer, dans le secret espoir que nous parviendrions à le démentir un jour: «Les rois n'aiment rien tant qu'une prompte obéissance, et ne se plaisent point du tout à trouver des obstacles. Les choses ne sont bonnes que dans le temps qu'ils les souhaitent; et leur en vouloir reculer le divertissement, est en ôter pour eux toute la grâce. Ils veulent des plaisirs qui ne se fassent point attendre; et les moins préparés leur sont toujours les plus agréables. Nous ne devons jamais nous regarder que dans ce qu'ils désirent de nous: nous ne sommes que pour leur plaire; et lorsqu'ils nous ordonnent quelque chose, c'est à nous à profiter vite de l'envie où ils sont. Il vaut mieux s'acquitter mal de ce qu'ils nous demandent, que de ne s'en acquitter pas assez tôt; et si l'on a la honte de n'avoir pas bien réussi, on a toujours la gloire d'avoir obéi vite à leurs commandements.»
346 ans plus tard, il est temps, chacun de son côté ou tous ensemble, de remiser cet axiome au rayon des vieilleries d’Ancien Régime…