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Billet de blog 30 mai 2022

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Le livre homophobe et transphobe de Marty, la critique culturelle et la psychanalyse

Quelques remarques complémentaires sur le livre Le Sexe des modernes, les fonctions sociales et culturelles des ouvrages réactionnaires, les offensives anti-trans et la psychanalyse.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai publié il y a quelques jours un court texte où je qualifiais Le Sexe des modernes d’Éric Marty (Éditions du Seuil) de livre réactionnaire, homophobe, transphobe et raciste, et où je m’étonnais des louanges décernées par Mediapart (reprenant un article d’En attendant Nadeau), Libération et Le Monde. J’y ajoute quelques compléments, suite à des questions reçues de France et de l’étranger, et suite à la publication d’une réponse de Marty.

1. Marty agite la menace d’une attaque en justice pour diffamation : je m’en moque. C’est de la pure intimidation, il est aussi mauvais juriste que lecteur de théorie queer ; cela fait longtemps que les tribunaux ont reconnu le droit à la critique, fût-elle polémique, condition de la vie intellectuelle, littéraire et culturelle. Je pourrais même éprouver un certain plaisir à l’idée que les droits d’auteurs gagnés sur les ventes de son livre rance soient dépensés en vains frais de justice.

2. Parallèlement, Marty me somme de répondre et de discuter. À la suite de la publication de mon texte, il m’a envoyé je ne sais combien de mails, notamment pour exiger une discussion – et même pour me signaler que quelqu’un avait qualifié mes livres de « superficiels », c’est dire si ça vole haut (je dois dire que c’est devenu une blague avec mon compagnon : nous nous demandons quand son prochain mail arrivera, nous rions de l’idée qu’un jour il puisse sonner à la porte en réclamant un débat). Mais discuter de quoi ? Je ne crois pas qu’il y ait à débattre de l’existence ou non d’un « colonialisme trans » ; à échanger pour savoir si le « gender » est bien une menace venue des campus américains ; à discuter du supposé caractère problématique de l’utilisation par des trans MtF de toilettes « féminines ».

3. Marty ne répond pas directement aux citations que j’ai relevées, sans doute car il n’y a rien à y répondre tant elles parlent d’elles-mêmes. Son livre dramatise une menace américaine du « gender », utilise la même rhétorique que celle de la Manif pour tous et des mouvements « anti-genre » ? Il répond : j’aime Andy Warhol et sa photo est sur la couverture de mon livre. Son livre comporte des passages véhémentement transphobes ? Il répond : j’ai de très bonnes relations avec mes étudiant(e)s trans (les pauvres!). Son livre attaque de manière vague un « discours LGBT » ? Il répond : j’étais ami avec Roland Barthes. Ou, pour justifier qu’il y aurait un discrédit anti-élitiste de la culture chez les LGBT, il cite un livre, en l’occurrence celui d’Isabelle Alfonsi (Pour une esthétique de l’émancipation), qui non seulement, à lui tout seul, ne suffit pas à caractériser un « discours LGBT », mais qui surtout, ouvrage d’histoire et de critique d’art, s’intéresse précisément à des artistes minoritaires sexuels – Michel Journiac, Claude Cahun, Marcel Moore, Felix Gonzalez-Torres, etc. – qui ont, par leur langage plastique et leur recherche artistique, travaillé les normes sociales et sexuelles, les représentations de genre (donc, pour faire simple : Marty cite un livre qui démontre l’exact contraire de ce qu’il affirme).

4. En vérité, je dois dire que le livre de Marty ne m’intéresse pas (je lui ai déjà consacré trop de temps et d’énergie) : il n’a aucune générosité, il n’ouvre pas de nouveaux questionnements, il ne fait pas apparaître de nouveaux problèmes ; c’est un livre de fermeture, qui vise à clore unilatéralement et autoritairement un espace de discussion, qui vise à brutalement empêcher des individus de trouver des voies d’émancipation. Il m’intéresse seulement comme symptôme. Ce qui est symptomatique, c’est l’état du champ culturel et intellectuel qui rend possible qu’un tel livre soit salué comme un événement par des journaux qui se veulent progressistes ou de gauche. Ce qui est symptomatique, c’est la manière dont des livres qui se présentent comme des contributions intellectuelles ont en fait pour fonction de permettre à leurs auteurs de déverser leurs obsessions réactionnaires – et la manière dont ce tour de passe-passe fonctionne sans rencontrer d'objection.

Il est frappant que, le jour même de la publication de mon texte, Mediapart ait publié une passionnante enquête sur les campagnes menées contre les mouvements et les revendications transgenres concernant les mineurs. C’est un singulier problème : le journal qui décrit précisément et justement une croisade transphobe et réactionnaire encense dans ses pages un livre qui participe du même mouvement. Comme s’il était possible de légitimer d’un côté des idées dont on dénonce les conséquences sociales par ailleurs. Car les deux fonctionnent évidemment ensemble : quand les uns mènent des actions précises (harceler les médecins, décourager les parents, infiltrer la DILCRAH), les autres leur apportent une légitimité intellectuelle, culturelle ou psychanalytique, par leurs attaques contre la théorie du genre et contre les courants intellectuels qui ont accompagné les mouvements trans, par leur haine déversée contre les trans. L’article en question de Mediapart, d’ailleurs, s’ouvre par la mention d’un entretien donné par une psychanalyste figure du mouvement anti-trans à la publication Lacan Quotidien, publication qui – par la voix de Jacques Alain-Miller – a également activement soutenu le livre de Marty (j’y reviendrai).

C’est un problème hélas classique : une autonomie prêtée à la vie culturelle, à la littérature, aux idées (mais qui fonctionne principalement pour les livres réactionnaires). Quand un livre est attaqué pour ce qu’il dit, la défense habituelle consiste à répliquer que c’est de la littérature, de la fiction… ou encore que c’est de la philosophie, de la pensée, de l’histoire des idées, etc. Didier Eribon a rappelé récemment comment Houellebecq n’avait cessé d’être encensé (et l’est encore), comment toute contestation de ses propos réactionnaires, racistes, misogynes, dans ses livres ou sur d’autres supports, était systématiquement neutralisée au motif qu’il s’agissait de littérature. Ce sont les mêmes procédés qui permettent à Finkielkraut de prospérer depuis des années, d’attaquer inlassablement la gauche et les mouvements minoritaires (LGBT, féministes, antiracistes, etc.) : ce ne serait pas un réactionnaire, mais un philosophe qui parlerait d’idées. Et ce sont les mêmes stratégies de soutien et de défense qui se sont mises en place autour du livre de Marty.

Dès que ces écrits ou ces déclarations sont attaqués pour ce qu’ils disent – et pour ce qu’ils disent explicitement, ouvertement – les critiques sont désamorcées au motif qu’il s’agit de pensée, de littérature, d’art. La revendication de la littérature ou de la philosophie a donc une fonction très précise : pouvoir tenir, en toute impunité, des propos réactionnaires en s’abritant derrière l’alibi de la culture, en pouvant se prémunir de toute contestation – voire s’alarmer d’une attaque supposément menée contre le « savoir » tout entier.

5. D’où l’importance de faire tomber les masques, de rappeler que ce livre n’a pas le commencement du sérieux d’une véritable histoire des idées. J’en ai déjà donné plusieurs exemples. Je peux en donner d’autres : prenons, par exemple, les pages que Marty consacre aux rapports entre Judith Bulter et Gayle Rubin

L’argument est simple : répétant que Butler est malhonnête, maligne et usurpatrice, Marty affirme également que Rubin, autrice d’un article pionnier en 1975 (« The Traffic in Women »), aurait été indûment détrônée par Butler au sein de la théorie du genre. Et, en même temps que Butler aurait évincé Rubin, elle aurait substitué une autre théorie du genre, plus fade et faible, « sociétale » et non « anthropologique » (p. 39). Il écrit : « Pourtant cette voie [celle de Rubin] – qui donc est pionnière –, par où la question du genre est pensée à partir de Marx et des instruments du structuralisme classique, n’est pas celle qui va s’imposer. L’archive historique de cette défaite est à ce titre fascinante. » (p. 40) Marty décrit un dialogue de 1994 entre Rubin et Butler comme une « cérémonie d’adoubement » de la seconde par la première, insiste sur ce qui est présenté comme une victoire de Butler sur Rubin, ou comme une défaite de Rubin face à Butler : « Gayle Rubin se rallie aux positions de Butler comme si elle avait oublié les siennes et, mieux encore, comme si elle ne comprenait plus le discours qu’elle avait si brillamment élaboré vingt ans plus tôt. » (p. 40-41). En l’occurrence, il s’agirait d’une renonciation de Rubin au « symbolique » (au sens lacanien), d’une renonciation à concilier matérialisme, anthropologie structurale et concepts psychanalytiques pour penser le genre, d’une renonciation résignée face au pouvoir de Butler. Ainsi : « il y a peut-être, de la part de Rubin, une force de renoncement maternel à penser face à l’éclat de la jeune “reine” Butler, mais il y a surtout qu’une épistémologie ne peut être soutenue longtemps par une voix isolée si elle reste sans relais ». Bref, Rubin « en per[d] son français ».

Sauf que cette lecture ne tient pas la route. Elle ne tient pas la route un seul instant : elle est même totalement fausse. Si, dans Trouble dans le genre, Butler exprime certes ses désaccords avec les vues de Rubin (sur une naturalisation du sexe), pour autant, dans le dialogue entre les deux théoriciennes (publié en anglais, traduit en français) que Marty n’a visiblement pas lu en entier, ou alors qu’il cite comme cela l’arrange, Rubin, loin de s’incliner face à des forces plus puissantes dans un combat qu’elle a perdu, explique très bien ses raisons d’avoir renoncé à la psychanalyse peu de temps après la publication de son article fondateur, dès la fin des années 1970. C’est Rubin qui a elle-même choisi d’emprunter d’autres voies, comme elle l’explique très clairement :

« De fait, je ne voulais pas rester prisonnière du piège lacanien. Il me semblait, avec tout le respect que je dois à ceux qui ont le talent de déjouer ou de manipuler les pièges, que l’œuvre de Lacan avait tendance à creuser un profond fossé dont il serait dur de sortir. J’ai passé mon temps à chercher les moyens de ne pas me laisser attraper par les exigences de certains systèmes : la psychanalyse lacanienne, à la fois, dispose de cette puissance et fait mine de lancer de nouveaux défis. La psychanalyse lacanienne est très utile pour traiter du genre et du désir, mais on en paye le prix. » (Marché au sexe, p. 18)

C’est donc Rubin qui, entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980, constatant une limite de la psychanalyse lacanienne, a choisi d’y renoncer. Encore une fois, donc, la dramatisation guerrière (« défaite ») construite par Marty est tout bonnement fausse. Rubin précise bien : « J’étais gênée par la tendance de Lacan à la totalisation, et par son concept de “symbolique”, dont les spécifications mettent de côté la dimension sociale. » (p. 18)

Quelle lecture fait Marty de ce dialogue ? C’est une « logique amnésique, amnésie de la possibilité de penser le social à partir du symbolique, et de dévoiler le mode du production du genre comme déterminé par la grande loi du tabou de l’inceste qui le constitue comme un ordre particulier » (p. 41) Non, tout simplement non. C’est un choix, conscient, politique et théorique de Rubin. Qui se rappelle très bien de son usage du symbolique (au sens lacanien) et des raisons qui l’ont fait renoncer (à un moment, faut-il le préciser, où Butler n’avait pas écrit Trouble dans le genre, et ne pesait d’aucun poids face à Rubin…).

Rubin se montre d’ailleurs sans équivoque sur son choix de renoncer au lacanisme (de même que ses textes ultérieurs, des années 1980 et 1990, sont sans équivoque : Lacan n’y est pas cité) :

« Il y a quelque chose d’intrinsèquement problématique dans toute notion qui, en quelque sorte, comme le langage lui-même, ou la capacité de l’acquérir, exige la différenciation sexuelle comme différenciation primaire. Si les humaines étaient hermaphrodites, ou conçus hors sexe, je suppose qu’ils seraient quand même capables de parler. Une relation symbolique spécifique, qui précède toute forme de vie sociale, cela me pose problème. Un de mes problèmes avec Lacan, c’est que son système ne semble pas donner assez de latitude à la structuration sociale du symbolique. » (p. 20)

Marty écrit : « Ce que Gayle Rubin comprend, c’est que le lien extrêmement profond entre l’ordre social et l’ordre symbolique passe par leur spécificité relative. » Or, explique Rubin, c’est justement avec cela qu’elle a voulu rompre : « C’était mon intention : je ne voulais pas m’empêtrer dans un symbolique dont on ne pourrait pas, d’une façon ou d’une autre, se saisir dans le social. »

On mesure donc à quel point l’opposition que tente d’installer Marty ne tient pas, et à quel point il tente de figer la position de 1975 de Rubin, alors qu’elle explique très précisément pourquoi elle s’est éloignée de cette position. Rubin, encore : « Dans Marché, je voulais mettre le genre et la sexualité dans un cadre social. Je ne voulais pas aller complètement dans la direction du symbolique lacanien, et me trouver prise dans une catégorie primaire de la différence de genre qui serait aussi bien gravée dans la pierre. » (p. 21)

Dans la suite du dialogue, Rubin explique le rôle précis qu’a eu la traduction en anglais de La Volonté de savoir de Foucault, livre éminemment anti-psychanalytique, en 1978 (ainsi que d’autres travaux pionniers sur la sexualité) – et en particulier le rôle dans la remise en cause de certaines conceptions qu’elle avait déployées dans son article de 1975, notamment autour de la parenté. Alors que Butler lui demande « et Foucault ? Je suppose qu’il vous a offert une alternative à la psychanalyse. C’est à peu près à cette époque que vous avez lu le premier volume de l’Histoire de la sexualité », Rubin répond : « Oui. Ce fut publié en anglais en 1978. Tout de suite, j’en fus comme aimanté. » (p. 37) Rubin détaille ce qui l’a intéressé chez Foucault, notamment la manière dont sa lecture lui a permis de réviser l’importance de la parenté : « Je soutenais plutôt qu’existaient d’autres systèmes que celui de la parenté, qui fonctionnaient dans une sorte d’autonomie relative et qu’on ne pouvait pas réduire à la parenté, au moins au sens lévi-straussien du terme. Quand j’écrivais cela, j’avais en tête cette section de l’Histoire de la sexualité […] Ce que Foucault avançait m’aidait à tracer les contours d’un autre système à la dynamique, la topographie, aux lignes de force différentes. Dans toute cette section du livre de Foucault, on peut entendre les résonances de ses conversations avec Lévi-Strauss et Lacan. Et moi, je percevais ce que ses hypothèses sur ces relations avaient d’original, de perspicace et d’approprié ». (p. 42-43)

Reprenons. Marty affirme donc que les conceptions pionnières de Rubin sur le genre (et sur les « systèmes de parenté »), faisant une large place à Marx, à Lévi-Strauss et à Lacan, ont été évincées par Butler prenant le pouvoir, forçant Rubin à abdiquer. Qu’explique Rubin (dans le texte que prétend citer Marty!) ? Qu’elle a renoncé, dès la fin des années 1970, à ses conceptions, du fait, notamment, de sa lecture de Foucault. Exit, donc, la malignité supposée de Butler, cette véritable impérialiste qui, ne se contentant pas de conquérir l’Europe, ferait table rase des théoriciennes qui l’ont précédé, les obligerait à se flageller et à se renier.

Que Marty aime ce texte de Rubin de 1975, c’est après tout son droit. Mais qu’il constitue ce texte comme un horizon indépassable de l’histoire du « gender », en effaçant la manière dont les vues de son autrice se sont transformées à la lecture d’autres textes, à la rencontre d’autres préoccupations politiques et intellectuelles, est tout simplement faux au titre de l’histoire des idées, en plus de témoigner d’une solide incompétence à lire des textes en entier, ou alors d’une non moins solide malhonnêteté. (Il n’est pas besoin d’être un chercheur hors pair pour s’en rendre compte : il suffit de lire les textes qui sont sous nos yeux!)

(Dans une attitude qui use du soupçon pour semer le doute sur tout un champ, Marty souligne que la traduction en français du titre de l’article de Rubin – « L’économie politique du sexe : transactions sur les femmes et systèmes de sexe/genre » – « ajoute opportunément le mot “genre” absent de l’original » (p. 38). Les traductrices (ou les éditrices) l’ont certes ajouté… mais il omet cependant qu’une version antérieure du texte de Rubin a été précisément publiée sous le titre « A Contribution to the Critique of the Political Economy of Sex and Gender » dans la revue Dissemination en 1974.)

Pourquoi une telle réécriture de l’histoire ? Ce n’est pas seulement une lecture trop rapide des textes, ni de l’incompétence. Il y a, derrière cette falsification opérée par Marty, une intention profonde : réécrire l’histoire depuis un point de vue très particulier, à partir d’un parti-pris politique et théorique qui veut maintenir le symbolique et la différence sexuelle comme données fondamentales. Comme le passage sur Derrida que je citais dans mon précédent texte, son livre fait preuve d’une dimension réactionnaire ou rétrograde, au sens le plus premier du terme : Marty ne peut pas pardonner à la théorie du « gender » d’avoir renoncé au symbolique et à la différence sexuelle (j’y reviendrai ; c’est ce qui explique à la fois que toute l’histoire anti-psychanalytique du genre soit bannie du livre – Hocquenghem, Wittig par exemple –, mais aussi le soutien ardent que les lacaniens ont apporté au livre). Pour cela, il faut donc qu’il constitue – unilatéralement et autoritairement – le texte de Rubin comme indépassable, quand bien même elle est revenue dessus. Et il faut donc réécrire les textes, tordre l’histoire des idées, faire dire autre chose aux auteurs que ce qu’ils ont dit. Dans un entretien au Monde, il convoque ainsi Rubin et son texte de 1975 pour expliquer que « la différence sexuelle », loin d’être « factice », témoigne d’une « inépuisable richesse »… en omettant donc l’évolution interne de la pensée de Rubin.

Si j’insiste sur ces points, c’est pour souligner que ce livre qui se présente – et est présenté – comme un livre érudit, d’histoire fine et précise des idées (« à même les mots, au ras des textes qui en portent la trace, par une pesée patiente sur des termes choisis qui finissent par révéler une puissante historicité », selon Mediapart/En attendant Nadeau), n’est rien de cela.

Je ne suis pas le seul à dire que des pages entières du livre sont douteuses. Sur twitter, plusieurs personnes en ont disséqué des extraits et des références, soulignant les erreurs et les déformations – par exemple par une doctorante en littérature (dont le compte a depuis disparu), ou par le sociologue Pandov Strochnis (qui met notamment en valeur une erreur de citation à partir de Wikipedia…). Elles soulignent aussi une propension à ériger des généralisations sur les vies trans, en méconnaissant les parcours et les expériences des personnes trans et en construisant un « discours trans » abstrait et fantasmé qui permet à Marty d’y opposer ses propres vues.

5. En même temps, comme c’est souvent le cas dans les campagnes réactionnaires, le livre, bien que bancal, a une fonction sociale assurée : il permet d’avoir une assise, de se présenter comme légitime, ici légitime pour déverser ses propos homophobes et transphobes. C’est même une double fonction : préventive, car le livre permet d’être considéré comme ayant un avis à donner sur le sujet ; défensive, car, en cas de contestation, cela permet de s’abriter derrière le savoir ou la pensée, et de s’indigner d’une attaque portée à la science, l’université, la culture, la libre discussion, etc.

D’où, dans le livre de Marty, la pesante érudition revendiquée : ce vernis philosophique lui permet de légitimer ce qu’il dit par ailleurs, car c’est soi-disant au nom du savoir qu’il s’exprime. Invité parce qu’il a publié un livre, il en profite à chaque fois pour livrer doctement son avis sur les mouvements minoritaires, les questions LGBT, le « phénomène trans », etc.

J’ai déjà relevé l’interview par Eugénie Bastié dans Le Figaro qui condense toutes les obsessions actuelles de la droite. On peut aussi noter ces propos dans le journal italien Il Messaggero :

« Tous les mouvements de transgression des normes sexuelles ont visé le féminin, des libertins du XVIIIe siècle aux modernes des années 1970. Le phénomène Trans le confirme puisque le trans MtF (Male to Female, génétiquement masculin mais avec une identité de genre féminine) est le nouveau sujet censé retirer à la femme née femme toute autorité sur le féminin. On a vu la campagne virulente contre l'écrivaine J.K. Rowling qui voulait maintenir une frontière entre la femme et le trans au nom du fait que la femme a ses règles. Les activistes trans appliquent la pratique du surveiller et punir en se servant de l'accusation de transphobie comme arme. La volonté d'émancipation se transforme alors en son contraire, en une victimisation à outrance. (1) »

Ou encore, la discussion, dans un entretien à Lacan Web Télévision, relative à un « lobby trans » (sachant la majorité de l’entretien ne porte pas sur de l’histoire de la philosophie, mais sur le « phénomène trans », le « discours trans » et le « signifiant trans », obsédantes idées fixes). Marty explique par exemple : « Il y a tout un travail auprès d'institutions, de lobbys apparemment qui sont très puissants et qui ont des démarches rhétoriques très fortes ». Également : « Il y a tout un travail d'ailleurs assez étonnant de cette communauté pour que les institutions intègrent leur revendication. […] Il faut que leur discours, même leur personne ou leur revendication, soient socialisées immédiatement sans prendre le temps finalement de vivre ça dans leur marge. » Selon Marty, « il n'y a pas du tout par exemple de plaisir, on pourrait imaginer ça, un plaisir d'être une sorte d’être à part » (oui, un plaisir d’être victime d’agressions et de violences quotidiennes, d’humiliation à chaque démarche administrative ou à chaque justification d’identité, de menaces de mort, etc.). De l’histoire des idées, de la discussion intellectuelle, vous dit-on...

Citons, encore, les propos de Marty dans l’émission de Marc Weitzmann sur France Culture :

« Aujourd’hui, la lettre T veut prendre le pouvoir sur le LGBQI, etc. […] la lettre T, en effet, veut le pouvoir. »

Également :

« EM. “Je veux être un homme, je veux être une femme, je veux que la société me reconnaisse comme homme, comme femme, je veux que la société me donne un prénom masculin ou féminin, je veux que la société me fasse suivre un traitement hormonal qui me permette…, je veux que la société me…”

MW. C’est à dire que le désir individuel qui est censé ne pas exister, finalement rejaillit, resurgit, mais d’une manière complètement improbable, d’une manière extrême…

EM. Tout à fait »

Et encore :

« Disons que, dans mon livre, depuis le début au fond c’est la question de la femme qui est en jeu. Il me semble qu'en réalité, quelques soient les positions, toute démarche qui vise à repenser, à subvertir, à transgresser le sexe, remet en cause la femme, comme si elle était le pivot... en réalité, ce n'est pas l'homme qui est le pivot, c'est la femme qui est le pivot de la différence sexuelle... et le pivot justement des identités... Alors évidemment, c'est assez frappant de voir comment aujourd'hui le phénomène trans est d'une violence absolument inouïe contre l'idée de femme. Et il y a un nouveau concept qui me paraît très important qui n'est pas misogyne, mais gynophobie. La gynophobie comme haine de la femme née femme. »

6. Il est, enfin, une autre autre fonction sociale du livre de Marty : servir de renfort et de caution intellectuelle à la psychanalyse, notamment lacanienne, et à l’offensive que celle-ci mène actuellement contre les trans.

Il faut le rappeler : en France, sur les trente dernières années, il n’y a pas eu d’adversaire plus acharné que la psychanalyse de toutes les transformations des structures sociales et légales de la sexualité, de la conjugalité, de la parenté et de la famille – au nom de l’ordre symbolique, de la différence entre les sexes, de la préservation de la culture, et de l’expertise que s’est attribuée la psychanalyse pour dire les formes « normales » de la vie sociale. Dans les années 1990 au moment du PACS ; dans les années 1990 et 2000 contre l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ; puis contre l’adoption et la PMA, etc. « Irrépressible pulsion de domination sociale », comme l’écrivait Didier Eribon (Écrits sur la psychanalyse), « tentation de gouverner les inconscients et les désirs, de défendre ou prescrire les normes et d’éditer les principes sur lesquels devraient se fonder le droit et la loi. »

Ainsi que le résumait Bulter dans Défaire le genre (d’où l’hostilité aujourd’hui dirigée contre elle), les discussions sur la parenté ont témoigné d’« une certaine croyance anthropologique partagée par beaucoup de lacaniens et d’autres psychanalystes pratiquant en France et ailleurs », croyance posant « que l’existence même de la culture requiert qu’un homme et une femme fassent un enfant, et que cet enfant ait ce double point de référence pour accéder à l’ordre symbolique, lequel est défini comme un ensemble de règles qui ordonnent et soutiennent notre sens de la réalité et de l’intelligibilité culturelle » (p. 140-141). À la suite du « Mariage pour tous » en 2012-2013, le juriste Daniel Borrillo notait que les catholiques traditionalistes et la Manif pour tous n’avaient pas eu besoin d’« utilis[er] d’argument religieux, mais une rhétorique empruntée à la psychanalyse et à l’anthropologie » : la « thèse de l’ordre symbolique de la différence des sexes ou de la valence différentielle des sexes, mise en avant pour s’opposer à la filiation homoparentale, fut bien plus efficace que celle de l’ordre naturel des religions monothéistes » (dans Archives des mouvements LGBT+).

Ayant toutefois échoué (non sans avoir réussi ponctuellement à entraver et à ralentir ces transformations sociales), les psychanalyses ont simplement déplacé leur ligne sur le front. Comme le rappelait Paul B. Preciado lors son interpellation de l’École de la cause freudienne (Je suis un monstre qui vous parle), la psychanalyse, l’ordre symbolique et la différence des sexes ont un problème tout particulier avec ce qu’ils nomment le « phénomène trans », problème particulièrement saillant aujourd’hui alors que le mouvement et les revendications trans ont gagné en puissance et visibilité.

Emblématique de ce problème est la logorrhée de Jacques-Alain Miller (« Docile au Trans », parue en 2021 dans Lacan Quotidien et reprise dans La Règle du jeu) qui ironisait grassement et lourdement sur la montée des revendications et des contestations trans : « L’orage a éclaté. La crise trans est sur nous. » Un texte ahurissant où Miller s’amusait du fait que désormais les trans refusaient d’être « les objets du discours médical, du discours psychiatrique, du discours psychanalytique ». Inventant un trans « imaginaire » qui lui demanderait de se « taire », Miller démontrait par sa longue intervention son refus de céder la parole, son refus de renoncer au privilège épistémologique revendiquée par la psychanalyse sur les vies trans. Miller, encore : « Surfant sur l’euphorie démographie engendrée par la croissance exponentielle du nombre de trans dont nous avons vu plus haut la réalité effective, les dirigeants du mouvement d’émancipation trans ont tendance à mettre des énoncés qui prennent parfois la tournure de ce que l’on pourrait qualifier de suprématisme trans. » Oui, Miller parle bien d’un « suprématisme trans » (lequel ferait du « non-trans » un « trans honteux, inhibé ou névrosé, déniant par lâcheté, bêtise et transphobie le devenir-trans qui serait la vocation de tout être humain »).

Or, il s’avère que les psychanalystes ont fort énergiquement soutenu le livre de Marty : un long entretien entre Marty et Miller (dans Lacan Quotidien, également repris dans La Règle du jeu) ; une émission vidéo sur Lacan Web Télévision ; un entretien dans Carnet Psy, etc. Miller, dans son entretien avec Marty, en rajoute une couche au sujet du « transsexuel vrai » : « Il réclame à tue-tête de passer de l’autre côté, de modifier ses caractères sexuels secondaires, voire primaires, et il n’hésite pas à mobiliser à cette fin Mister Bistouri et Milady Hormone. Quand il arrive qu’il ou elle ne soit pas très sûr.e de son fait, tout dépend alors des interlocuteurs qu’elle ou lui aura, des praticiens qui se présenteront. Il ne manque pas aujourd’hui de psy qui adorent jouer les pousse-au-crime, même s’agissant de très jeunes enfants. » (C’est donc ça, le problème de la psychanalyse : qu’il y ait des praticiens – peu nombreux et bien difficiles à trouver – qui acceptent d’accompagner des personnes trans dans leurs parcours…)

Ainsi, précisément, ce qui se joue dans le livre de Marty, et dans le soutien que lui a apporté la psychanalyse, notamment lacanienne, est un phénomène extrêmement balisé et identifié, mais actualisé, déplacé sur la « question trans » qui préoccupe tant les psychanalyses : la prétention de la psychanalyse à prescrire comment les gens doivent se penser, vivre et se comporter, au nom de l’ordre symbolique de la différence sexuelle.

C’est là où son livre et ses interviews font système, chacun poursuivant le même but mais sous des formes spécifiques. Ses propos ouvertement homophobes et violemment transphobes ne sont pas des accidents, des propos isolés qu’il serait possible de laisser de côté pour se concentrer sur la partie « histoire des idées ». L’une est la version euphémisée de l’autre, transcrite (certes grossièrement et approximativement) dans le langage de la philosophie, des sciences sociales et de la théorie de genre. Le propos est maquillé, travesti, pour se conformer aux exigences et aux attentes du champ éditorial et du champ journalistique. Pierre Bourdieu avait donné un éclatant exemple du fonctionnement de ces mécanismes dans son livre sur Heidegger : la philosophie d’Heidegger comme transcription, dans le champ universitaire, dans le vocabulaire de la philosophie, de ses prises de positions politiques. On en mesure la responsabilité d’autant plus grande du champ éditorial et du champ journalistique : en l’adoubant sur un plan, il lui apporte une caution sur le second.

À cet égard, les pages boiteuses que j’ai précédemment analysées sur les rapports Butler/Rubin sont très significatives : en tentant d’abattre Butler, il s’agit de mettre à terre celle qui est constituée comme « icône » d’un mouvement politique et théorique majeur, en même temps que de mettre à terre une conception sociale ou sociologique du genre, et de tenter de restaurer une définition du genre qui préserverait l’ordre symbolique et la différence des sexes.

Comme il s’agit de multiplier les attaques contre les analyses sociologiques du genre. Dans son entretien avec Miller, Marty explique au sujet de Butler :

« Ce qui est frappant, c’est qu’elle ne se réfère jamais à des études statistiques ou sociologiques qui prouveraient par a + b que nous sommes fabriqués socialement par des impératifs qui produisent notre genre. Cela est affirmé, mais il n’y a pas de validation. »

On voit le niveau de la discussion intellectuelle ! Plus de 70 ans après Le Deuxième Sexe de Beauvoir, après des dizaines et des centaines de travaux et d’analyses, il faudrait encore prouver qu’il existe une socialisation de genre… et l’absence d’une telle preuve suffirait à disqualifier une autrice. Cette histoire des idées a dû louper quelques (nombreux) rayons de la bibliothèque… Mais c’est qu’il y a en même temps un autre enjeu dans cette affirmation : nier la pertinence d’une analyse sociologique du genre pour nier, en même temps, les effets sociaux du genre (au profit des effets du « symbolique » analytique). Dans son entretien au Monde, Marty affirme :

« Les injonctions stéréotypées imposées par l’école, la télévision, les magazines, etc. sont tout de même bien peu de chose… Nous sommes le support de bien d’autres influences que les seules influences de masse. Par-delà les normes qui fabriquent nos apparences de genre, on peut penser aussi que la “différence sexuelle” relève de constructions symboliques plus fondamentales, liées par exemple à l’interdit de l’inceste, la fonction de la parenté, la filiation, l’Œdipe… »

Là encore, les propos de Miller dans leur entretien sont plus qu’éclairants : « Importé par Judith Butler, ce concept [le genre] est fait pour une chose : minorer, pluraliser, détraquer, gommer, faire oublier la fonction de la différence sexuelle, le fait qu’il y a un sexe et un autre, ce qui fait deux, et non pas petit n sexes. » Et donc, voulant restaurer cette « fonction de la différence sexuelle », la psychanalyse est ravie de compter parmi ses alliés le livre de Marty et sa croisade contre Butler.

(L’anti-sociologisme de Marty se retrouve dans l’entretien avec Miller : chez Butler, qui fait preuve d’un « sociologisme inflexible », « le mot de liberté devient un mot inutile » car elle croit, selon une formule de Humain, inhumain, que « les conditionnements sociaux sont les conditions mêmes de la puissance d’agir. » Une idée en effet basique dans le cadre d’une sociologie véritablement déterministe… bien que, par ailleurs, il ait été souvent reproché à Butler de croire trop facilement, par la « performativité », qu’il était possible de s’affranchir des déterminations et des rôles sociaux.)

Il est fascinant de constater que quand Marty parle, c’est en réalité tout l’ordre analytique qui s’exprime, pour rappeler à l’ordre les individus minoritaires, pour soumettre ces sujets dissidents à l’ordre symbolique auquel ils tentaient de se soustraire. Dans un message transmis à Miller qui l’a publié sur twitter (à la suite de la perturbation de sa conférence à Genève), Marty dénonce l’« aspiration à un monde a-symbolique » de ses détracteurs, leur « communautarisme consumériste ». On mesure la portée réelle de sa dénonciation de l’individualisme managérial : c’est, tout simplement, la dénonciation de ceux qui ne veulent pas se conformer au dogme analytique. Quand il évoque l’« aspiration à un monde a-symbolique », on ne peut que penser aux puissantes formules de Monique Wittig dans La Pensée straight contre ce « fameux langage symbolique » et sur « l’inconscient » qui « a le bon goût de se structurer automatiquement à partir de ces symboles/métaphores, par exemple le nom-du-père, le complexe d’OEdipe, la castration, le meurtre ou la mort du père, l’échange des femmes, etc. »

En relisant Wittig, il ne reste plus rien de Marty, tant celle-là avait déjà mis en évidence toutes les tropes idéologiques de celui-ci, ce dernier ne faisant que réactualiser de vieilles structures : « Notre refus de l’interprétation totalisante de la psychanalyse fait dire que nous négligeons la dimension symbolique. » Ce que ne supporte pas Marty, et ce contre quoi son livre entend se dresser – comme une partie des psychanalyses ne le supportent aujourd’hui pas, et ce contre quoi ils entendent se dresser – c’est précisément que des individus – et spécifiquement les trans – ont bien l’intention d’échapper à ces prétendues lois symboliques. D’où la tentative de restaurer sa puissance. (Et quelle mutilation de l’histoire des idées d’enrôler Foucault et Barthes dans cette entreprise, eux dont une partie de l’œuvre a cherché à Échapper à la psychanalyse (Didier Eribon), à penser la sexualité sans et contre le terrorisme analytique… Barthes qui parlait du « gendarme psychanalytique »…)

Dans un entretien pour le Carnet Psy, Marty regrette que, « dans certains secteurs du champ psychanalytique », la psychanalyse « semble à la remorque de la pensée du genre », et que « certains psychanalystes semblent à la remorque des symptômes de leurs patients » (renonçant donc à leur imposer d’en haut le savoir et les catégories psychanalytiques!). Dans le message relayé par Miller, Marty affirme qu’« aucune transe n’animait ces pseudo-trans ». L’affreux jeu de mot (pour les lacaniens, on peut rire de tout… mais surtout des individus dominés) ne doit pas masquer la signification profonde de sa phrase : la prétention à dire la vérité des individus, à s’arroger le pouvoir de décider qui les trans doivent être, et qui ils ne doivent pas être, qui sont les « vrais trans » et qui sont les « pseudo-trans »… On y retrouve à nouveau le pouvoir que s’arroge la psychanalyse : « ces discours parlent de nous et prétendent dire la vérité sur nous », comme l’écrivait Wittig, « ces discours nous nient toute possibilité de créer nos propres catégories, ils nous empêchent de parler sinon dans leurs termes et tout ce qui les remet en question est aussitôt méconnu comme “primaire”. » C’est bien pour cela que le soutien au livre déployé un peu partout par les institutions psychanalytiques est fondamental : il témoigne de la manière dont ce livre s’inscrit dans une offensive plus générale pour défendre et restaurer un dogme analytique.

Les multiples déclarations de Marty, elles, font voir une véritable obsession pour les mouvements, les identités et les cultures minoritaires, et surtout une obsession pour les corriger, les ramener dans le droit chemin. Dans le Carnet Psy, Marty prend même comme exemple de « la persistance de l’idéologie “américaine” » le fait que les « homosexuels passifs » aient inventé, pour se « positiver », ce « récent qualificatif […] de “Power bottom” », avec « ce motif tenace du “power” de l’empowerment ». L’inculture le dispute à l’homophobie crasse ; l’analité et l’homosexualité passive ont toujours obsédé les homophobes. D’une part, cette revendication du « power » a toujours traversé les mouvements minoritaires et la gauche : « Power to the people », « Black Power », « Knowledge is Power », etc. D’autre part (et surtout), en quoi cela pose problème à Marty que des homosexuels passifs souhaitent se « positiver », alors que, précisément, pour un homme, se faire pénétrer est historiquement et structurellement associé à un avilissement, à une dégradation, et constitue le schéma structurant de l’homophobie (cf. Guy Hocquenghem – qui n’avait rien d’américain mais qui en revanche critiquait la psychanalyse freudienne et lacanienne – en 1972 dans Le Désir homosexuel : « l'histoire analytique […] suppose le dépassement du stade anal pour parvenir à la génitalité. […] Réinvestir collectivement et libidinalement l’anus est affaiblir d’autant le grand signifiant phallique qui nous domine quotidiennement dans les petites hiérarchies sociales ») – sinon pour exprimer sa réticence révulsée envers le fait que des homosexuels se retournent contre un ordre social homophobe ?

Sinon pour exprimer sa profonde répulsion envers le fait que des individus dominés et des groupes stigmatisés inventent des identités, des cultures, des modes de vie, des vocabulaires qui constituent autant de modalités de résistance – autant de tentatives de mener des « vies bonnes », comme dirait Butler ?

(1) Citation originale : « Tutti i movimenti di trasgressione delle norme sessuali hanno avuto nel mirino il femminile, dai libertini del 18esimo secolo fino ai moderni degli anni '70. Il fenomeno Trans lo conferma, in quanto il trans MtF (Male to Female, geneticamente di sesso maschile ma con un'identità di genere femminile) è il nuovo soggetto che dovrebbe togliere alla donna nata donna qualsiasi autorità sul femminile. Abbiamo visto la virulenta campagna contro la scrittrice J.K. Rowling che ha voluto mantenere una frontiera tra la donna e il trans in nome del fatto che la donna ha le mestruazioni. Gli attivisti trans applicano la pratica del sorvegliare e punire usando come arma l'accusa di transfobia. La volontà di emancipazione si trasforma allora nel suo opposto, in un vittimismo a oltranza. »

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