L’opacité entourant les travaux de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP) a longtemps été la norme jusqu’à ce que Mediapart y soit directement confronté.
Lors de la présidentielle 2022, cette autorité administrative indépendante dont nous ignorions jusqu’ici le fonctionnement a subitement décidé — pour des raisons encore mystérieuses à ce jour — de menacer de censure des articles que nous avions publiés sur les bilans et programmes d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen. La CNCCEP avait publiquement communiqué sur cette décision, en demandant aussi au réseau social Twitter (devenu X) — qui a fait droit à cette demande — de supprimer purement et simplement les publications relayant ces articles.
Contestant l’interprétation de la commission, qui estimait que les articles publiés étaient susceptibles d’être assimilés à de la propagande électorale, Mediapart avait fermement rejeté, par la voix de son directeur de publication Edwy Plenel, la demande de dépublication de ces contenus dans les colonnes du journal. « En confondant propagande électorale, par nature partisane, et presse indépendante, dont la mission est d’informer sur des sujets d’intérêt général, au point de demander la suppression d’un article en ligne et de faire supprimer des messages d’information, la Commission de contrôle instaure, au prétexte de la trêve électorale, une nouvelle forme de censure administrative », déplorions-nous alors dans ce billet.
Restait alors pour nous à comprendre les raisons d’une telle injonction, aussi inédite pour notre journal qu’inquiétante du point de vue de la liberté d’information. Pour quelle(s) raison(s) l’initiative de la CNCCEP visait-elle des contenus portant sur deux candidatures en particulier, alors que nous avions publié des analyses pour les autres prétendants ? Pourquoi Mediapart était-il visé seul, et pas d’autres médias ? Au terme de quel processus et de quels échanges, une atteinte à un droit fondamental a-t-elle pu être décidée ? Pour répondre à ces interrogations, nous avons entrepris des recherches, sans imaginer une seconde qu’elles buteraient sur le refus obstiné de la CNCCEP, présidée par le haut-fonctionnaire Didier-Roland Tabuteau, de nous transmettre le moindre élément.
À la suite d’une demande formelle de transmission des documents administratifs ayant conduit à sa décision, la CNCCEP nous a opposé le « secret des délibérations » protégé par le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Ce refus nous a poussé à saisir la commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui a émis un avis favorable à notre demande, le 3 novembre 2022 (la version anonymisée de l’avis est disponible ici). Le 4 janvier 2023, Didier-Roland Tabuteau persistait dans son refus de nous communiquer le moindre élément, en insistant sur les « caractéristiques » de l’élection présidentielle et la commission qu’il préside. Dans son argumentaire, le président de la CNCCEP justifie l’opacité de ses travaux par la nécessité de placer la commission « à l’abri de toute pression directe ou indirecte ».
Nous estimons au contraire que le secret entourant ce type de délibérations est aussi néfaste (pour la confiance des citoyens envers le fonctionnement des institutions) que dangereux (dans un contexte d'accroissement des risques de manipulations électorales). Considérant ainsi que les documents demandés sont nécessaires pour remplir notre mission de journalistes sur un sujet d’intérêt général majeur, nous avons attaqué la décision de la CNCCEP devant le tribunal administratif de Paris dès le 5 janvier 2023. Cette requête a été directement transmise au Conseil d’État par le président du tribunal administratif, le 10 mai 2023. Après un avis favorable du rapporteur public le 10 janvier, les 8e et 3e chambres du Conseil d’État se sont réunies trois jours plus tard pour trancher le débat.
L’arrêt est finalement tombé ce 7 février 2025 : accessible sur le site internet du Conseil d’État (lire ici), il nous est totalement favorable. Rappelant que les documents demandés « sont produits ou reçus dans l'exercice de la mission de service public » de la CNCCEP, et qu’ils « ne sont, par eux-mêmes, couverts par aucun secret protégé par la loi », la plus haute juridiction de l’ordre administratif « enjoint » à la Commission de « procéder à la communication » des éléments demandés depuis plus de deux ans. Elle nous accorde enfin les 50 euros que nous avions réclamés au titre des frais de justice.
La décision est inédite à plusieurs titres. Elle s’inscrit d’abord dans un contexte où la CNCCEP est présidée par Didier-Roland Tabuteau, qui n’est autre que l’actuel vice-président — nommé par le pouvoir exécutif — du Conseil d’État. Sur le fond, la décision a été classée dans la catégorie « A », qui consacre les arrêts aux apports jurisprudentiels les « plus importants ».
Cet arrêt a ainsi donné lieu à une analyse publiée en même temps que la décision (lire ici). Le Conseil d’Etat y indique que, « quand bien même les faits auxquels se rapporte cette procédure [la demande de dépublication d’articles] seraient susceptibles de constituer des infractions pénales ou pourraient venir au soutien des motifs de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel arrête et proclame les résultats de l'élection présidentielle », les documents demandés ne « revêtent pas un caractère juridictionnel » mais constituent des « documents administratifs entrant » dans le champ du code des relations entre le public et l'administration (CRPA).
En ce sens, l’analyse dresse ainsi le parallèle avec une autre bataille remportée par Mediapart devant le Conseil d’État, il y a dix ans. En 2015, après un long combat, ma consœur Mathilde Mathieu — qu’elle soit ici chaleureusement remerciée pour son rôle de pionnière — avait obtenu le droit de consulter les procédures contradictoires d’une autre commission ayant longtemps cultivé le culte du secret, celle des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Cette victoire permet aujourd’hui à des dizaines de journalistes et citoyen·nes d’examiner les procédures, pour plus de transparence et vertu.
Sitôt l’arrêt du Conseil d’État communiqué, nous avons écrit vendredi 7 février au président de la CNCCEP pour que la décision soit exécutée et les fameux documents nous soient communiqués.