II – Quelles réformes pour un projet alternatif global, européen ?
Le capitalisme est en crise depuis des décennies. Son actuel stade, celui financier, n’échappe pas au destin des précédents. Y en aura-t-il un suivant. On peut en douter. Faisons donc un vœu et parions que la réponse sera non.
Jusqu’ici des formes violentes de révolutions contemporaines ont produit des sociétés pires que les systèmes capitalistes qu’elles ont remplacé. Reste le « réformisme révolutionnaire » comme méthode à tenter : c’est-à-dire la révolution, entendue comme somme de réformes ayant des seuils de rupture incontournable et étalées dans le temps, pour reprendre la formule d’Yvon Quiniou. Pour connaître l’histoire (longue déjà du Réformisme révolutionnaire, on peut faire retour au billet précédent : http://blogs.mediapart.fr/blog/armand-ajzenberg/080915/vers-une-europe-sociale-democratique-et-fraternelle-par-un-reformisme-revolutionnaire
Réformisme révolutionnaire comme projet alternatif global, qui a un but et qui relève donc d’une stratégie : un service public de plus en plus étendu (égalité des citoyens, coopération entre eux et fraternité) en lieu et place d’une économie de marché (concurrence généralisée, individualisme forcené, où la recherche du profit est la valeur suprême). Projet alternatif global comme moyen d’atteindre le but, par étapes.
Il faudra alors tenter de définir ces réformes incontournables et potentiellement révolutionnaires. Difficile et risqué.
1ère Remarque : Ce constat : en Europe, l’exemple grec récent, montre qu’on ne peut plus rêver sur notre continent de la Révolution dans un seul pays. Chacun, pris séparément, subirait le même sort que celui imposé à ce pays par les représentants du capitalisme financier que sont les dirigeants actuels de l’Union européenne.
On nous dit, Yaris Varoufakis nous dit : « leur seul objectif était de nous humilier ». « Humilier notre gouvernement et nous forcer à capituler… […] une capitulation à grand spectacle qui montre aux yeux du monde notre agenouillement. » écrivait-il dans Le Monde diplomatique d’août 2015.
Non, ce n’était pas humilier pour humilier. C’était humilier pour qu’aucun autre peuple de l’Europe des 28 ne soit tenté d’imiter le peuple grec. « Cet épisode restera dans l’histoire comme le moment où les représentants officiels de l’Europe ont utilisé des institutions (l’Eurogroupe, le sommet des chefs d’État de la zone euro) et des méthodes qu’aucun traité ne légitimait pour briser l’idéal d’une union véritablement démocratique » conclut-il. Oui, pour W. Schäuble et A. Merkel le vent du boulet de canon est passé bien près et la leçon qu’ils ont voulu donner aux autres peuples européens risque bien d’être retenue. La donne a donc changé… par un déni de démocratie.
Certains, maintenant, semblent prêts à emprunter la co-location nationaliste offerte par Marine Le Pen pour sortir la France de la zone euro. Ce qui, sans une sortie de l’U.E. n’aurait pas grand sens. C’est le cas, on le sait, de Jacques Sapir, cet économiste pour qui s’agissant du FN, « il faudra un minimum de coordination pour que l’on puisse certes marcher séparément mais frapper ensemble. C’est la condition sine qua non de futurs succès ». Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse !
Il s’agit là plus d’une obsession que d’une analyse politique fondée sur le réel. L’Union européenne est née en 1992 et la zone euro en 1999. Une génération aujourd’hui est née qui fait avec. Le dogmatisme sapirien « fait peu de cas des aspirations des peuples forgées par l’histoire, la culture, l’expérience vécue, le contexte concret… » constate justement Francis Wurtz dans une chronique de l’H.D. du 3 septembre 2015. Mais Sapir n’est pas seul. Il a des partisans prêts eux aussi à emprunter la co-location frontiste… au P.G. par exemple ou dans certains milieux qui se réclament de Trotsky.
Où le seul résultat tangible d’un « marcher séparément mais frapper ensemble », pas sérieux, serait une contribution sérieuse au travail de dédiabolisation du FN entreprit par Marine Le Pen.
2ème Remarque : Dans un article de L’Humanité du 30 juillet 2015, Olivier Gebuhrer s’interrogeait : « Germanophobie que de dénoncer, fustiger, incendier la caste dirigeante allemande ? Il n’est pas besoin de savantes références pour trouver dans son attitude le retour aux pires traditions de l’histoire allemande. Devons-nous fermer les yeux ? Ou au contraire considérer qu’il y là une feuille de route du capitalisme allemand et des ses commis ? Et si tel est le cas, devon-nous “circuler, rien à voir” ?
Et Olivier Gebuhrer d’ajouter : « L’Allemagne d’aujourd’hui réarme ; fait ou germanophobie ? Tout cela doit-il faire partie de l’examen sans tabou ou être caché ? En parler ne doit pas envahir l’horizon mais l’affaiblissement du rôle actuel de l’Allemagne comme État de l’UE est une nécessité politique ; est-ce là nourrir un stupide et impuissant désir de trouver un bouc émissaire ou une condition pour que l’idée européenne, la fraternité des peuples, la coopération aient un sens ? »
Que faire alors pour affaiblir le rôle actuel de l’Allemagne dans l’U.E. ? Essai de réponse : créer un contrepoids, une Union des peuples latins d’Europe (Espagne, France, Italie, Portugal) liée à ceux d’Amérique latine (Argentine, Brésil, Chili, Cuba, Vénézuela…).
Idée farfelue ? Dans Le Monde datée du 21 juillet 2015, Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne (1999-2004), deux fois Président du conseil italien et qu’on ne peut soupçonner de gauchisme, était interrogé par Philippe Ridet, journaliste de ce quotidien.
Question : « Le couple franco-allemand peut-il être encore le moteur de l’Europe ? Réponse : Non, parce que ce moteur est complètement déséquilibré. L’Allemagne dispose de plus de puissance, de plus de cylindrée ; en comparaison, la France paraît bien plus faible. Or, les moteurs ne peuvent pas fonctionner de cette manière. Il y a un an, j’ai proposé une plus grande collaboration entre l’Italie, la France et l’Espagne dont les intérêts sont identiques. »
Certes, les motivations de Romani Prodi ne sont pas d’aller vers une société plus fraternelle. Il n’est certainement pas un grand partisan de l’idée d’un « réformisme révolutionnaire » en marche. Son souci, c’est le devenir du capitalisme, disons celui « latin ». Le capitalisme financier européen, et encore plus celui mondial, n’est pas, ne sont pas, un front uni. Tout au moins jusqu’au moment où l’un d’eux tend à devenir hégémonique, voire impérialiste comme celui allemand aujourd’hui. Conséquence : une union possible de fait, circonstancielle, entre des forces capitalistes voulant survivre et des forces populaires cherchant un « monde nouveau ».
Pablo Iglesias, leader de Podemos, ne dit pas autre chose quand il déclare que « Nous voulons croire qu’en bouleversant les équilibres politiques au sein de l’Union européenne et de la zone euro, nous pourrons, à terme, nous rapprocher d’autres gouvernements pour un nouveau projet européen, combinant prospérité et solidarité, ce qui était d’ailleurs le projet initial de l’Union. […] Ceux de la France et de l’Italie en premier lieu… ».
Une union des peuples latins d’Europe et d’Amérique latine ne pourra cependant voir le jour que suite à une volonté exprimée par les peuples concernés. Encore faut-il que l’idée soit lancée et qu’ensuite elle leur soit posée.
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De quelques principes mis en œuvre par des réformes ayant des seuils de rupture incontournables. Principes qui, pris séparément, méritent quelque explications.
1 – Primauté donc du service public, là où il est commandé par l’intérêt général, sur le service privé.
Originellement, le service public ne raisonnait pas en termes de coûts particuliers, de vérité de prix. Il gérait des droits identiques pour tous les citoyens. Depuis, l’État est devenu le spécialiste de la rationalisation des besoins et l’usager du service public est devenu un coût. Le fonctionnaire n’est plus jugé à son aptitude à appliquer des règles mais à son efficacité économique. Les maîtres mots sont devenus : déréglementation, privatisation et l’inégalité des droits pour les usagers est devenu la règle. Il faut revenir à l’état originel des missions de service public. Mais aussi à l’extension du champ de ceux-ci.
2 - Mise en gratuité progressive dans les services publics des prestations fournies, comme manières de se substituer progressivement au salariat généralisé. Avantage : une telle diminution progressive du salariat n’a pas besoin d’une organisation bureaucratique de redistribution. Le maintien ou l’augmentation des revenus ne repose plus que sur le salaire mais aussi sur une gratuité des services et des usages autorisée notamment par les économies de capital réalisables dans les divers domaines de la production. Certains milieux (philosophiques, politiques pour qui il faut sauver le système en place soutiennent la même idée de fin du salariat, parce ce que nous serions rentré dans une nouvelle ère : la fin du monde ouvrier. Pour eux, il ne s’agit pas d’aller vers une société plus fraternelle. Au contraire, ils veulent faire de chaque salarié un auto-entrepreneur où chacun dans l’entreprise serait le concurrent de l’autre.
3 - Socialisation et démocratisation du fonctionnement de ces services publics, comme méthodes de gestion et de gouvernance, comme manière de tendre, à terme, vers une société autogérée. Autogestion ? On peut en trouver la trace dans l’article 6 de la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » du 26 août 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants à sa formation ». Essai de définition, à partir d’Henri Lefebvre : « Chaque fois qu’un groupe social (généralement des travailleurs productifs) refuse d’accepter passivement ses conditions d’existence, de vie ou de survie, chaque fois qu’un tel groupe s’efforce non seulement de connaître mais de maîtriser ses propres conditions d’existence, il y a autogestion ».
4 – Reconnaissance de la valeur du travail, intellectuel et manuel, des personnels qui participent au fonctionnement des entreprises, privées et publiques, par la prise en compte progressive de ce que l’utilisation de la force de travail dont ils sont propriétaires leur confèrent un droit : celui de partager le pouvoir dans l’entreprise, privée ou publique et ceci comme manière d’aller vers une société sans classes, comme manière aussi de développer la démocratie dans l’entreprise. Une telle reconnaissance de la valeur du travail, et d’une nécessaire démocratisation dans les entreprises qu’elle entraîne, implique que les salariés de celles-ci aient un même statut, un contrat de travail équivalent. Il conviendrait alors de limiter dans l’Union européenne, le nombre de contrats à durée déterminée (CDD) à un maximum de 5 %, par exemple.
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Les principes, notamment ceux ici affirmés, apparaissent toujours comme utopiques. Ils ne sont cependant là que comme moyens de « ne jamais oublier le but » (Rosa Luxemburg). Cependant il en va des « buts » comme des tangentes. Ils n’arrivent jamais à rejoindre la ligne droite du monde nouveau… ou alors dans l’infini.
Il en est des principes comme de lois. Ce sont les décrets d’application les mettant en œuvre qui reflètent concrètement l’état de civilisation d’une société humaine à un moment donné de son développement.
De quelques mesures phares, comme préalables à la mise en œuvre des principes énoncées, et qui par un « réformisme révolutionnaire » assumé pourraient, dans les pays de l’Union européenne, conduire à un monde nouveau, ou par défaut dans les pays de l’Union des peuples latins d’Europe. Mesures s’appliquant par la loi à l’ensemble des peuples considérés et ensuite, par des décrets d’application, dans chacun de ces pays.
« Réformisme révolutionnaire » ? L’épisode grec a montré, cela a déjà été dit mais il n’est pas inutile de le redire, que sa mise en œuvre - cela n’a jamais été tenté – dans un seul pays de l’Union européenne serait vouée à l’échec. Où il s’agirait alors de remplacer l’ultralibéralisme régnant par un « monde nouveau » où des femmes et de hommes ne seraient pas conduits à exploiter d’autres femmes et d’autres hommes, où les unes et les uns seraient mues par le principe de coopération, où la fraternité ne serait plus un vain ou vilain mot, bref un « monde nouveau » qui pourrait avoir pour devise : Liberté – Égalité – Fraternité.
Continuer à s’accrocher à l’ultralibéralisme qui nous gouverne ne pourra conduire qu’au rejet et à la dislocation de l’Union européenne. Seule, me semble-t-il, une autre voie, une U.E. sociale, démocratique et fraternelle peut conduire à son maintien. Voie où la concurrence entre pays et celle, encore plus scandaleuse, de la concurrence entre les êtres humains seraient bannies. Voie qui s’il s’agissait de la qualifier maintenant n’aurait pas grand intérêt ni grand sens. Voie où il s’agirait aujourd’hui simplement d’inscrire des mesures concrètes dans l’Union européenne selon les principes déjà énoncés précédemment.
Par exemple :
1 – VERS L’ÉGALITÉ SOCIALE DANS TOUTE L’U.E. : Même salaire minimum garanti, même temps de travail légal, même fiscalité et prioritairement celle concernant l’impôt sur les sociétés.
1-1 – Même salaire minimum (SMIC) dans toute l’U.E. La situation actuelle est la suivante :
Où l’on voit dans une série de pays, du Royaume uni au Luxembourg, un SMIC dépassant les 1250 € par mois. Où l’on voit dans une autre série de pays, du Portugal à la Slovénie, un SMIC dépassant les 500 € par mois. Où enfin l’on voit dans une dernière série de pays, de la Bulgarie à la Pologne, là où les travailleurs sont les plus exploités, ou surexploités, un SMIC allant de moins de 250 € à moins de 500 € par mois.
Une telle disparité est anachronique dans une Union européenne qui, bien que voulant se présenter comme un modèle, ne conduit, par la concurrence effrénée entre les salariés, qu’à engendré un dumping social. Imaginons qu’en France le SMIC soit fixé en Ile-de-France à 1457 € par mois et qu’en Bretagne ou en Corse il le soit à 184 €, comme en Bulgarie. Une telle disparité serait génératrice de concurrence et de conflits entre salarié(e)s de ces différentes régions et le coût du travail en Ile-de-France serait jugé exorbitant par M. Pierre Gattaz.
Il faut donc, dans une U.E. qui sera sociale, et qui sinon à terme ne sera pas, un SMIC égal partout et ce qui est possible au Luxembourg, 1992 € mensuel, doit le devenir dans l’ensemble de l’Union européenne. Il s’agirait, il s’agira (soyons optimiste) d’une première réforme révolutionnaire en Europe.
On nous parle en effet en France, le MEDEF notamment, d’un coût du travail exorbitant. Par rapport à celui de la Bulgarie, c’est certain. Mais leurs dés sont pipés. Avec un même SMIC dans l’U.E., non pas aligné sur celui de la Bulgarie (le rêve du MEDEF et de quelques autres) mais aligné partout par le haut, il n’y aurait plus alors de problème de coût du travail exorbitant en Europe.
1-2 – Même temps de travail légal dans l’U.E. La situation actuelle est la suivante :
Où l’on peut voir que le durée légale du temps de travail hebdomadaire va de 35 heures en France à 40 heures dans une série d’autres pays (Estonie, Grèce, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie). En gros, les mêmes pays où le SMIC allait de moins de 250 € à moins de 500 € par mois. C’est dire que l’exploitation, ou la surexploitation, des travailleurs de ces pays atteint un second degré.
Où l’on peut voir encore que la durée maximale autorisée de temps de travail par semaine va de 48 heures (la France par exemple) à 40 heures dans d’autres pays (l’Espagne et la Pologne par exemple).
Là encore, une telle disparité est anachronique dans l’Union européenne et est source de concurrence entre salariés de ces différents pays. Là encore, dans une U.E. où le social serait la priorité, il faut établir une durée légale du temps de travail identique, et de même établir partout une même durée maximale de temps de travail autorisée. Soit, pour commencer, 35 heures dans le premier cas et 40 heures dans le second. Là encore, il s’agirait (il s’agira, soyons toujours optimiste) d’une deuxième réforme révolutionnaire en Europe.
1-3 – Même fiscalité dans toute l’U.E. s’agissant de l’impôt sur les sociétés. La situation actuelle est la suivante :
Origine de cette carte : le blog d’ericw sur Mediapart
http://blogs.mediapart.fr/blog/ericw/231214/lharmonisation-fiscale-pour-les-nuls
Où l’on voit que l’imposition sur les revenus des sociétés est très disparate. La concurrence joue à plein et on retrouve la même division dans les pays de l’U.E. à propos de l’impôt sur les sociétés que celle relative au SMIC. Les pays où ces derniers sont les plus bas sont à peu près les mêmes que ceux qui imposent le moins le capital. En Bulgarie, le SMIC est à 184 € mensuel (le plus bas dans toute l’Union européenne) et le niveau d’imposition des sociétés y est également le plus bas de ces pays : 10%.
Si l’harmonisation d’un SMIC dans tous les pays de l’U.E., comme celle d’un unique temps de travail légal, peut paraître relativement simple à réaliser, celle de la fiscalité des sociétés l’est un peu moins. Toutes sont en réalité impossibles, en l’état actuel des règles qui gouvernent l’U.E.. Les trois harmonisations dont il est question dépendent en effet de la compétence nationale exercée par chaque État membre de l’Union européenne et, en l’état actuel des choses, une modification des trois « problèmes » requerrait l’unanimité au Conseil des ministres des 28 États de l’Union. Ce qui est quasiment impossible à obtenir. Il suffit en effet qu’un seul pays s’y oppose, par exemple la Bulgarie, pour que rien ne puisse être fait.
S’agissant des bénéfices des sociétés et de leurs impositions, il faut y revenir, il ne suffirait pas qu’elles soient actuellement taxées identiquement dans tous les pays de l’U.E. (« 25 % partout sur le continent, ni même dans une fourchette de 15 % à 30 % ») ajoute ericW. « Ce qu’on doit harmoniser d’abord, c’est l’assiette ». Le taux, c’est ce qui est le plus facilement saisissable, mais c’est de l’assiette qu’il faut d’abord s’occuper. « Il est impossible de fixer un taux commun si on n’a même pas encore déterminé sur quoi ce taux allait porter » nous dit encore ericW. Chaque État en effet a la possibilité de disposer d’une multitude d’exonérations. « C’est la cas, par exemple, des intérêts notionnels en Belgique, grâce auxquels certaines sociétés ont pu exonérer 100 % de leur bénéfice. Les Luxleaks ont montré que dans certains montages, l’assiette des sociétés était réduite de 95 % au Luxembourg. Quand à peine 5 % du bénéfice est taxé, le taux n’a plus tant d’importance… »
Avant d’unifier dans les pays de l’U.E. le taux d’imposition des sociétés, il faut donc établir une méthode unique de calcul de l’assiette limitant ou supprimant les possibilités d’optimisation agressive. Il faut savoir que si des systèmes d’optimisation agressive existent dans l’U.E. et s’ils y sont tolérés, c’est que les dirigeants de l’U.E. y sont favorables. Ils sont moins au services des peuples, surtout ceux travailleurs (intellectuels et manuels), qu’au service des grandes sociétés capitalistes qu’ils hébergent. Le plus simple serait donc de supprimer l’assiette et de s’en tenir à un taux unique de taxation des bénéfices des sociétés dans l’Union européenne.
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Où l’on conçoit qu’un SMIC unique dans l’Union européenne, qu’un même temps de travail légal et qu’une même fiscalité concernant les bénéfices des sociétés ne sont réalisables que dans le cadre de cette Union européenne. Ce qui ne plaide pas pour l’idée d’un « grand soir » pouvant être réalisé dans un seul pays alors que subsisteraient les disparités mises en évidence.
Et Pablo Iglesias ne dit pas autre chose quand il déclare que « ce qu’a subi Alexis Tsipras nous montre qu’il nous faudra construire une stratégie européenne, car un seul petit pays ne peut espérer modifier la logique libérale qui domine l’Union européenne ».
Si on admet la pertinence de l’idée d’un tel « réformisme révolutionnaire », initié par Marx et adopté ensuite par Jaurès, et l’impossibilité aujourd’hui d’un renversement par un « grand soir » du système capitalisme réellement existant où que ce soit, comment alors lancer un mouvement aboutissant à ce que, dans l’U.E., un même SMIC, des mêmes temps de travail légaux, une même fiscalité concernant les bénéfices des sociétés, conduisant à une Europe sociale, démocratique et fraternelle, puissent être mis en place ?
Encore faudrait-il d’abord que les questions soient posées. Et cela ne sera le fait, complaisamment ou non, ni de la Commission européenne ni d’un Conseil des ministres des 28 États membres de l’Union. Cela est évident. Il faudrait, il faudra que cela leur soit imposé. Comment ?
Par voie référendaire, à mon avis. Référendum où seraient impliquées les 28 peuples de l’Union. Cela suppose alors une campagne exceptionnelle imposant un tel référendum. Cela aurait été quasiment impossible à mettre en place il y encore quelques années. Aujourd’hui, c’est possible. Existent en effet des moyens de pression nouveaux, nationaux et internationaux : les pétitions via Internet, notamment. Cette voie largement empruntée aujourd’hui a à son actif de nombreuses victoires sur des sujets les plus divers, quand les pétitionnaires se comptent par centaines de milliers. Ici, il faudrait qu’ils se comptent par dizaines de millions. Impossible ? Voire. Peut-être faut-il faire confiance aux peuples européens.
Si une telle mobilisation avait lieu, si un tel référendum était réalisé, nul doute que les structures actuelles de l’Union européenne, alors reconnues obsolètes, craqueraient. Elles sont aujourd’hui au service de la « Finance » - celle qu’un président de la République de la France s’est imprudemment choisi comme ennemie – et des banques, le « cas » grec l’a à l’évidence démontré. Elles ne sont pas sociales, sinon cela se saurait. Les structures de l’U.E. ne sont pas démocratiques, les peuples n’ont voix au chapitre que pour dire oui. Elles ne sont pas fraternelles, là encore Wolfang Schaübee et Angela Merkel en ont apporté la preuve.
Si donc une telle mobilisation avait lieu, ainsi qu’un tel référendum, alors il s’agirait prioritairement de redéfinir, et de réécrire, les conditions d’adhésion à l’Union européenne, notamment ceux économiques où le social n’est pas l’une de ces conditions. En effet, ceux existants stipulent que les pays adhérents doivent avoir « une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union ». Une économie de marché ? Il est évident que cette obligation est contraire à un état de droit où le principe de service public primerait sur celui de la concurrence généralisée.
Si donc, une mobilisation des peuples avait lieu, et qu’elle conduise à la tenue d’un référendum européen et si, mais arrivé à ce point comment en douter, ces peuples se prononçaient majoritairement pour une Europe sociale, démocratique et fraternelle, alors il conviendrait d’élire une Assemblée européenne constituante chargée de mettre en chantier une Constitution, et ensuite de proposer une réécriture des traités actuellement en vigueur.
Où il s’agirait prioritairement de remplacer la doxa inégalitaire de la concurrence tout azimuts par le principe égalitaire de Service public. Où il s’agirait d’inverser un certain nombre de valeurs, notamment celles concernant le travail. En effet ce dernier est devenu une valeur « monétaire », un coût, au lieu d’être considéré comme source d’une valeur ajoutée. Alors que les capitaux flottants, le boursicotage sont devenus des moyens érigés en dieux pour faire de l’argent (les valeurs suprêmes du capitalisme financier ?). Les licenciements boursiers en sont l’illustration. Où il conviendrait en conséquence de faire revenir dans son lit une Bourse devenue fleuve ayant débordé. Ensuite, « réformisme révolutionnaire » oblige, d’autres combats seraient à mener. Notamment :
1 - créer un certain nombre de grands Services publics européens concernant les secteurs où l’intérêt général doit primer sur l’intérêt privé, où les services et les droits doivent être égaux pour tous. En premier lieu les systèmes bancaires, où banques de dépôts et banques d’affaires seraient séparés, mais aussi des systèmes boursiers revenus à leur destination originelle : financer les entreprises. Et ensuite étendre ces services publics à des domaines nouveaux où la concurrence n’aurait pas lieu de s’exercer : la production et la distribution des énergies, les systèmes de santé où faire du profit sur la maladie ou la mort sont immorales, la production et la distribution de biens naturels (eau, air), les transports publics, l’éducation, etc., etc.
2 - réaliser une gestion socialisée et démocratisée de chacun de ces Services publics européens par l’élection dans chacun d’eux de représentants des salarié(e)s, de représentants des usagers et de représentants de l’Assemblée européenne.
3 – mettre en œuvre une gratuité progressive dans l’Union européenne (pour ceux qui ne le sont pas encore) de l’usage de ces nouveaux services publics européens, comme autre moyen d’élévation générale du niveau de vie, cela a déjà été dit, et comme manière d’aller vers une fin du salariat, cela a également été déjà dit.
Si la mobilisation ne se réaliserait pas, ou si le référendum donnait globalement des résultats inverses à ceux espérés, ceci bien que certains pays et peuples se soient prononcés pour une telle nouvelle Union européenne, alors pour ces derniers serait posée la question de la sortie de cette Union européenne. Mais pas avant, comme certains le préconise.
En effet, on ne voit pas ce qui distinguerait une gestion du Franc, de la Lire ou de la Pesetas de celle actuelle de l’Euro par des gouvernements à la botte du capitalisme financier, que celui-ci soit allemand, français, italien ou espagnol. Il n’y aurait pas moins d’austérité, pas moins de privatisations. S’en prendre à l’Euro et à l’Union européenne comme mesure miracle, ce n’est pas s’attaquer à la cause mais à un outil de cette cause. La cause ? Ce n’est pas l’oligarchie européenne (même cachée derrière le gouvernement allemand), c’est la « Chose » : le capital.
« Le Capital ! La plupart des lecteurs de Marx ont lu « les Capitalistes », alors que le concept désigne une entité, un drôle d’être qui a une existence terrible, monstrueuse, à la fois très concrète et très abstraite, très efficace et agissante – mais à travers les têtes et les mains qui l’incarnent. On a beau dire : “ Ce n’est pas de leur faute… C’est la fatalité ! La nécessité, bref l’inéluctable ! ”. Mais cette nécessité a un nom. Elle est le réel, l’entité qui fonctionne et est créée par les acteurs et les rapports sociaux et moraux. La personnalisation du capital, erreur théorique, peut conduire à des erreurs pratiques (politiques). Il suffirait de changer les gens en place pour que la société change. On risque de passer l’essentiel et de laisser perdurer le fonctionnement de la chose. La chose, c’est-à-dire l’entité qui réifie… Non pas l’objet au sens habituel, empirique et philosophique, mais la « Chose »… » (Henri Lefebvre).
Des personnalités importantes proposent la tenue en novembre prochain d’un sommet international pour un plan B en Europe pour sortir de l’Euro : « Cet euro est devenu l’instrument de la domination économique et politique de l’oligarchie européenne ». On ne pourrait que s’en féliciter si la démarche n’était si ambiguë. Pour ces personnalités, il s’agit prioritairement de trouver « un moyen d’assurer aux européens un système monétaire qui fonctionne avec eux, et non à leurs dépens », même s’ils annoncent un autre plan.
Plan A auquel visiblement ils ne croient pas trop puisque relégué au second rang : « notre plan A : travailler dans chacun de nos pays, et ensemble à travers de l’Europe, à une renégociation des traités européens ». On ne comprend pas très bien alors pourquoi uniquement un « sommet international pour un plan B en Europe » ? Le plan A n’est-il là que pour la forme ou n’est-il là que comme une fausse piste dans un jeu de pistes ?
Sommet pour un plan B où il ne s’agirait que de sortir de l’Euro. Sommet d’où conséquemment seraient exclus la gauche des pays n’ayant pas comme monnaie nationale l’Euro. Le Royaume uni par exemple. Où tout ne semble pas être parfait, malgré la £ivre. Sinon pourquoi les Travaillistes se seraient-ils donné comme leader Jeremy Corbyn ? Jeremy Corbyn qui tourne, lui, résolument le dos à l’époque Anthony Giddens-Tony Blair et à leur politique social-libérale. On peut faire retour à ce sujet à un billet précédent : http://blogs.mediapart.fr/blog/armand-ajzenberg/150115/aux-origines-de-la-politique-sociale-liberale-vallso-hollandaise-anthony-giddens
Prochain billet : Du réalisme ou non de rêver un « monde nouveau » ?