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Billet de blog 23 mai 2016

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L’IMPLICATION PERSONNELLE COMME MODE DE LUTTES. TRAVAUX PRATIQUES

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

 Refaire du droit un instrument d’émancipation ? En faire un instrument plus démocratique ? Certes. Mais aussi, pour cela l’utiliser tel qu’il existe, comme instrument de lutte. Il faut s’impliquer… chaque fois que cela semble possible. Et il ne faut pas désespérer… même des Juges et de la Justice. Et pour le moins, il faut tenter.

 Il se trouve que j’expérimente cette manière « d’invention politique », d’intervention politique qui n’est pas entièrement nouvelle. Des travaux pratiques en quelque sorte. C’est ainsi que j’ai déposé une plainte avec constitution de partie civile, le 18 octobre 2015, contre l’historien Jean-Pierre Azéma pour diffamation publique.

 Pour comprendre. Une diffamation, en droit, est une imputation ou allégation d’un fait non avéré. Encore faut-il démontrer, pour que la plainte ne subisse pas un non lieu, que le fait porte atteinte à la considération ou à l’honneur du plaignant. Les faits. D’abord cette imputation de Jean-Pierre Azéma : j’aurais écrit, dans un livre, que le gouvernement de Vichy « a bien eu l’intention d’éliminer les malades mentaux ». Il m’impute aussi un certain nombre d’autres allégations mensongères

 Mon avocat me dit que les propos incriminés seront probablement considérés par des juges comme relevant « du débat doctrinal » et non comme portant atteinte à la considération de ma personne. Les avocats connaissent très bien la justice. Il faut cependant résister et dans le débat avec la Justice s’en tenir aux faits, diffamatoires ici, ou en d’autres termes, sur la forme et non sur le fond de l’affaire : à savoir une part  ou la totalité des responsabilités, ou non, du gouvernement de Vichy dans la mort de dizaines de milliers de fous. Mais la lutte politique, elle, hors du Palais de justice, porte bien sur le fond.

Le point de départ de l’affaire. C’est une pétition (80 000 signataires), initiée par l’anthropologue lyonnais Charles Gardou, où il s’agissait de reconnaître le destin tragique des « personnes internées dans les hôpitaux psychiatriques français, sous le régime de Vichy, mortes par abandon, absence de soins, sous-alimentation et autres maltraitances ». Ce qu’avait entendu le Président de la République : « Je partage votre volonté […] qu’à ce délaissement de la République ne s’ajoute pas le silence de l’oubli. Il avait alors chargé l’historien Jean-Pierre Azéma de rédiger un rapport sur le sujet.

 Dans ce dernier, il écrit ne pas trouver dans L’abandon à la mort… de 76 000 fous par le régime de Vichy (L’Harmattan, 2012) la « preuve que le gouvernement de Vichy a rédigé puis diffusé une directive officialisant l’hécatombe des malades mentaux ». Moi non plus, comme lui, je n’ai rien trouvé.

Forcément, je n’ai jamais écrit une telle chose. Son affirmation de ce que j’aurais écrit, que le régime de Vichy « a bien eu l’intention d’éliminer les malades mentaux », est une imputation mensongère. En fait, je n’ai parlé que de « non-assistance à personnes en danger de mort », et en plus court d’« abandon à la mort », où il suffisait alors pour le gouvernement de Vichy de s’abstenir de toute aide, notamment s’agissant de suppléments alimentaires. Or une non-assistance à personnes en danger de mort, si elle résultait d’une quelconque directive écrite, ne serait plus l’expression d’une non-assistance mais celle d’une volonté gouvernementale délibérée d’exterminer les personnes internées, ce que je le répète personne n’a soutenu. Mais au Tribunal il s’agit seulement d’imputation et d’allégations mensongères et non d’extermination, même passive, d’êtres humains, de morts de faim.

 Premier volet des travaux pratiques : la diffamation.  Jean-Pierre Azéma invente, mais il n’est pas le premier, un faux débat entre les tenants d’un abandon à la mort par le gouvernement de Vichy des fous et les tenants d’une volonté éliminatrice de ce régime de ces mêmes malades mentaux. En effet, ni Lucien Bonnafé ni Max Lafont ni Charles Gardou ni moi-même n’avons soutenu la thèse qui nous est attribuée. Et pour faire accréditer sa thèse il faut à Jean-Pierre Azéma mentir à gogo. Il ne s’agit pas de raviver une controverse. Celle-ci a été inventée de toutes pièces. Par Henry Rousso d’abord, qui affirme sans preuves : « il semble bien qu’il s’agisse d’un pur procès d’intention et non d’une réalité […] Le placard Vichyste est déjà bien encombré sans qu’il soit besoin de l’enrichir de nouveaux cadavres » (1989). Par Isabelle von Bueltzingsloewen plus tard. Thèse de cette dernière reprise par Jean-Pierre Azéma : « en tout cas, jusqu’à plus ample informé, elle a raison de soutenir qu’il n’existe aucune directive qui prouverait que le régime de Vichy a bien eu l’intention d’éliminer les malades mentaux ».

Illustration 2

 Pour Jean-Pierre Azéma « au fur et à mesure que les exactions de l’occupant s’éloignent, c’est Vichy qui devient le principal responsable d’une série de crimes commis, ainsi celui de « non-assistance à personnes en danger » […] Faut-il rappeler une fois encore que « l’État français » et ses responsables ont été à la Libération délégitimés politiquement et condamnés judiciairement ».

 Faut-il rappeler à l’historien que Pétain et Laval ont été condamné pour « Haute trahison et complot contre la sûreté intérieure de l’État » et non pour complicité avec les nazis de la déportation des juifs de France et encore moins pour non-assistance à personnes en danger de mort s’agissant des fous. En ce qui concerne l’envoi à la mort des juifs, la complicité a été reconnu… bien plus tard par Jacques Chirac. En ce qui concerne la non-assistance aux malades mentaux par le gouvernement de Vichy, c’est ce qui se joue actuellement… et que Jean-Pierre Azéma veut évacuer. Se taire sur cette controverse serait finalement laisser s’installer le silence sur la thèse de la non-assistance et donner libre cours à celle de ces historiens : aucune responsabilité de Pétain, Darlan, Laval et de leur régime dans la mort des 78 000 fous.

Ceci est le fond de l’affaire. Mais dans ma plainte je ne demande pas à un Tribunal de porter un jugement sur le fond du débat, de trancher dans un débat doctrinal. Je ne lui demande pas de choisir entre non-assistance à personnes en danger de mort et non intention du gouvernement de Vichy d’éliminer les malades mentaux. Je lui demande de reconnaître que je n’ai jamais écrit dans le livre cité que ce régime « a bien eu l’intention d’éliminer les malades mentaux ». Là est la forme et non le fond.

Mais, ceci dit, il n’est peut-être pas interdit à un Tribunal de s’interroger sur les raisons qu’à eu Jean-Pierre Azéma d’escamoter ce qu’a véritablement écrit l’auteur  dont il rend compte (moi) – la non-assistance à personnes en danger de mort du gouvernement de Vichy – et qu’il remplace par une thèse qui ne m’appartient pas (mais qu’il affirme être mienne) et qu’il oppose à la sienne – la non responsabilité de ce régime dans la mort des malades mentaux ? Raisons qui, pour moi, sont sa volonté de tromper et le Président de la République et des membres du gouvernement.

 Autre mensonge et exemple. S’agissant d’un autre livre dont j’étais l’éditeur et l’introducteur, de Pierre Durand – Le train des fous (Syllepse, 2001), - qui selon lui serait sous-titré ainsi : « Le génocide des malades mentaux », je ne demande pas à un Tribunal de dire s’il y a eu ou non un génocide, je lui demande simplement de reconnaître que c’est une allégation fausse, que ce sous-titre n’existe pas sur la couverture ni ailleurs dans le livre publié en 2001.

 Et encore. S’agissant de ma « sommation » de la République (rien que ça !) pour « reconnaître les responsabilités de l’État français, donc de Vichy » …, comme l’allègue faussement Jean-Pierre Azéma. Je ne demande pas à un Tribunal de statuer sur les responsabilités ou non du gouvernement de Vichy dans l’abandon à la mort des fous mais simplement de reconnaître que je n’ai jamais « sommer » la République.

 Il y a bien d’autres allégations mensongères dans le rapport (voir https://blogs.mediapart.fr/armand-ajzenberg/blog/030116/quand-un-historien-eminent-jean-pierre-azema-ment-effrontement-suite-1) qu’il serait trop long de citer ici. Je demande seulement à un Tribunal de juger des allégations ou imputations  non avérées et, en conséquence diffamatoires à mon égard et ayants comme objectifs de me déconsidérer

 Second volet des travaux pratiques : les atteintes à la considération de ma personne.  Que peut penser la lectrice ou le lecteur du rapport écrit par Jean-Pierre Azéma d’un individu (moi) qui affirme un point de vue – « que le gouvernement de Vichy a rédigé puis diffusé une directive officialisant l’hécatombe des malades mentaux » ? Directive dont on ne peut trouver la preuve dans le livre en question et point de vue qui, pour cette raison, est sans fondements ? Sinon qu’il s’agit d’un menteur ou d’un affabulateur.

Que peut penser la lectrice ou le lecteur du rapport écrit par Jean-Pierre Azéma d’un individu (moi) qui « somme » la République ? Sinon qu’il s’agit d’un mégalomane.

 Que peut penser la lectrice ou le lecteur du rapport écrit par Jean-Pierre Azéma d’un individu (moi) qui utilise le mot « génocide » à tort et à travers ? Sinon qu’il s’agit d’un « révisionniste » qui ose comparer l’effet collatéral de la Seconde guerre mondiale qu’est la mort des malades mentaux, c’est le point de vue du rapporteur, aux victimes de la Shoah.

 Ces qualificatifs certes par moi inventés, mais cependant conclusions logiques des lecteurs du rapport, s’ils suivent les imputations azématiennes à mon égard – Affabulateur, Mégalomane, « Révisionniste » -, sont d’autant plus crédibles qu’elles émanent d’un personnage qui se sert de sa légitimité d’historien et de président du Comité scientifique de la mission du 70e anniversaire de la seconde guerre mondiale (un « expert » donc) pour tenir une parole d’autorité.

Il y a bien diffamation et volonté de me faire déconsidérer par les lecteurs du rapport. Pour un Tribunal, la forme (son fond) est respectée : diffamation publique et atteinte à la considération d’une personne. Pour le plaignant et militant, le fond a de plus grandes chances d’être entendu hors les murs d’un Tribunal, quel que soit le résultat final de l’aventure judiciaire, et ce d’autant plus, soyons optimiste, si les Juges me donnent raison… sur la forme. Exemple significatif que peut prendre l’implication personnelle dans un combat ?

 Je me répète encore, entériner les méthodes utilisées par Jean-Pierre Azéma – à savoir, attribuer à celui dont on veut contester les thèses des propos inexistants ou faux – pourrait ouvrir les portes à une falsification généralisée dans toutes les recherches historiques. Cela ici concerne moins la Justice que les pairs de l’historien. Leur silence pourrait conduire à ce que soit déconsidérée l’ensemble de la corporation. Mais entériner la méthode utilisée par Jean-Pierre Azéma dans un rapport public destiné à des membres du gouvernement ayant eux-mêmes à éclairer le Président de la République sur des décisions qu’il aura à prendre est d’une autre nature que celles pouvant avoir lieu, ou non, dans la pratique d’une corporation intellectuelle. Si le rapport de Jean-Pierre Azéma, miné par des faux, n’était pas condamné par la justice cela autoriserait d’autres rapporteurs, ayant à orienter d’autres décisions ministérielles, à agir de la même manière. Par exemple en matière de santé publique où cela pourrait avoir des conséquences immédiates bien plus grave pour la population que celle concernant un passé historique. Mais cela est du ressort des destinataires du rapport.

 Rappelons-le, il ne s’agit avec ce dépôt de plainte que d’une implication personnelle, comme expérience, comme aventure aussi. Où je tente de mettre en pratique ce que théorise Geoffroy de Lagasnerie : « refaire du droit un instrument d’émancipation, de rationalisation, d’invention politique ». Combien de rapports officiels existent, fabriqués par des « experts », rapports truqués et partiaux, afin de justifier une thèse ? Combien de tels rapports à venir ? En conséquence, combien de motifs pertinents pour s’impliquer personnellement en saisissant la justice et faire de ces actes « des instruments pour réinventer un art général de l’insoumission », chaque fois que cela semble possible ?

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