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Billet de blog 29 juin 2016

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UN TOURNANT DANS l’HISTOIRE DE « L’OCCUPATION-COLLABORATION »

UN TOURNANT DANS l’HISTOIRE DE « L’OCCUPATION-COLLABORATION » Il y a peu, le 15 juin 2016, le Conseil de Paris siégeant en formation de Conseil municipal a émis un vœu. « C’est une page peu connue de la France de Vichy qui sera peut-être bientôt mise en lumière grâce au vœu que j’ai fait adopté hier au Conseil de Paris »...

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 Il y a peu, le 15 juin 2016, le Conseil de Paris siégeant en formation de Conseil municipal a émis un vœu. « C’est une page peu connue de la France de Vichy qui sera peut-être bientôt mise en lumière grâce au vœu que j’ai fait adopté hier au Conseil de Paris » écrivait le lendemain, dans le HuffingtonPost, Fadila Mehal, Conseillère MoDem de Paris.

 « Ils furent 45 000 – 45 000 malades mentaux morts de faim, en 6 ans, en France, il y a 70 ans. […] Il s’agit avant tout d’un phénomène d’abandon dont ont été victimes ces personnes […] et c’est un drame oublié de nos livres d’histoire. […] Mais ces malades sans intérêt – des fous – devenus morts sans intérêt seront peut-être bientôt sortis de l’oubli en France » écrit-elle.

En effet, « Je partage votre volonté […] qu’à ce délaissement la République n’ajoute pas le silence de l’oubli » avait répondu François Hollande à une pétition qui eu un grand succès. Pétition initiée par un anthropologue lyonnais, Charles Gardou : « Peut-on collectivement oublier le destin tragique des enfants, des femmes et des hommes […] qui furent exterminés par le régime nazi ou condamné à mourir par celui de Vichy ? disait celle-ci.

Et Fadila Mehal de conclure : « Il est heureux que les élus pour une fois rassemblés et unis, décident unanimement de soutenir toute initiative (hommage, colloque, plaque commémorative, études) qui rendra hommage aux victimes civiles des hôpitaux psychiatriques, hospices et autres lieux d’accueil, mortes de dénutrition durant la Seconde Guerre Mondiale ».

 Ce vœu unanime (élu(e)s LR, centristes, verts, socialistes, communistes) du Conseil de Paris marque un tournant quant à l’appréciation de « l’occupation-collaboration » (Lucien Bonnafé) prévalant jusque-là chez nombre de « politiques » et d’historiens de cette période noire. Un tournant certes, mais qui n’a pas encore atteint son point de non-retour.

 En effet, longtemps les pouvoirs politiques, et ces historiens, ont cherché à estomper les responsabilités de l’État français s’agissant de la déportation des juifs vivant alors en France.  L’exemple de censure le plus célèbre étant celui du camp de Pithiviers où une photo montrant un gendarme français surveillant 6000 hommes juifs, qui seront envoyés vers Auschwitz, sera sur décision gouvernementale falsifiée. Il s’agissait, en 1956, du filme d’Alain Resnais : Nuit et brouillard.

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 « La France refuse ainsi d’être la France de la vérité, car la plus grande tuerie de tous les temps, elle ne l’accepte que dans la clandestinité de la mémoire. […] Elle arrache brusquement de l’histoire les pages qui ne lui plaisent plus, elle retire la parole aux témoins, elle se fait complice de l’horreur » écrivit alors Jean Cayrol, le scénariste de Nuit et brouillard (Le Monde, 11 avril 1956).

 Longtemps après, les pouvoirs politiques français, et ces historiens, ont continué à tout faire pour taire le rôle de l’État d’alors (1942 et ensuite) dans la déportation des juifs vivant en France.  Et ce que clamait Jean Cayrol valait toujours. Il a fallu la célèbre déclaration de Jacques Chirac, en 1995, pour que la complicité du gouvernement siégeant à Vichy soit enfin reconnue.

 Jusqu’à aujourd’hui, ces pouvoirs politiques s’étaient censurés, quant aux responsabilités du gouvernement siégeant à Vichy, s’agissant de l’abandon à la mort des malades mentaux internés. Et là encore, ce que criait Jean Cayrol vaut. Depuis la pétition initiée par Charles Gardou, depuis sa prise en compte par le Président de la République, depuis le vœu unanime exprimé par le Conseil de Paris ce 15 juin 2016, la donne a changé. Le tabou qui a régné 70 ans ne fonctionne semble-t-il plus. C’est un tournant. Seuls peut-être encore quelques historiens, et des nostalgiques du régime de Vichy… ?

 Quelques historiens ? Jean-Pierre Azéma par exemple. « Il n’existe aucune directive qui prouverait que le régime de Vichy a bien eu l’intention d’éliminer les malades mentaux », ce qu’il m’impute dans un rapport que lui avait demandé François Hollande. Ce qui est un argument spécieux. Ni Charles Gardou ni Lucien Bonnafé ni bien d’autres, ni moi-même bien sûr, n’avons affirmé qu’une telle directive ait existé ou devait avoir existé. Nous avons toujours soutenu qu’il suffisait alors pour le gouvernement siégeant à Vichy, en parfaite connaissance de la famine existante, de s’abstenir de toute aide, notamment en matière de suppléments alimentaires, pour qu’il y ait eu « délaissement » (c’est l’expression utilisée par le Chef de l’État) ou « abandon à la mort » des 50 000 malades mentaux de plus que n’en condamnait la mortalité ordinaire dans les hôpitaux psychiatriques français. Ce que l’historien, la tête dans le sable des directives écrites, un peu esseulé aujourd’hui, se refuse à voir. Le débat n’est pas d’Histoire, il est Politique.

 Il se trouve que je me suis impliqué (voir https://blogs.mediapart.fr/armand-ajzenberg/blog/230516/l-implication-personnelle-comme-mode-de-luttes-travaux-pratiques ) dans cette affaire et que j’ai déposé une plainte avec constitution de partie civile pour diffamation publique contre l’historien. Celle-ci a été jugée recevable par le Doyen des juges d’instruction du TGI de Paris. Une information judiciaire est ouverte, elle est maintenant entre les mains d’un Juge. À suivre.

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