Dès les premières pages des "Souvenirs d'un futur radieux" (éd Chandeigne) on est saisi par la qualité de l’écriture et par cet échange tout le long. Ce partage où il évoque indifféremment son père, sa mère, sa fille, tout en s’adressant à eux et à lui-même. Et en fait il nous parle tout le temps à nous pour qu’on sache, on reconnaisse la réalité d’un immigré d’hier, et il nous alerte car finalement il anticipait déjà à celui d’aujourd’hui.
C’est le récit d’un migrant portugais, venu en France en 1965, à l’âge de sept ans et demi, avec sa mère, frères et sœurs. Regroupement familial, non officiel, auprès de son père ouvrier, dans une baraque de bidonville, si fréquents à l’époque en banlieue parisienne (ici c'est Massy dans l'Essonne).
Les années 60/70 du grand exode des portugais venus en France. Partis pour sortir (espéraient-ils) de la misère, éviter le service militaire, refuser la guerre coloniale, fuir la dictature de Salazar.
Le père de José, un combattant du travail, de la famille, confronté à la condition d’étranger, avec peu de droits et plein d’obligations, ayant un seul but en tête ‘forger un avenir’ à ses enfants. Sa mère, dans une mer de boue, cherche au mieux de faire face à la vie dans une baraque, élever les enfants, les préparer à l’école, rendre la vie de la famille vivable, honorable, remplie de croyance et de foi. Et pourtant elle devait rêver de ‘lumière ! De rivages de fleurs où l’air tiède sent bon’, écrit-il citant le poète Albert Samain qui l’accompagne dans le livre.
Et ses mots nous décrivent l’humiliation, l’exploitation, la stigmatisation de ceux qui viennent d’ailleurs, d’où qu’ils soient, et que souvent nous ne savons, ne pouvons ou ne voulons pas voir.
éd Chandeigne
Le récit de la vie sociale du bidonville et de la solidarité est chaleureux, mais il évoque aussi les arnaques (dont la Mairie n’est pas totalement étrangère) qui nous instruisent de la ‘loi’ que d’autres que nous subissent. Belles et riches pages des moments où la grande sœur, devenue "écrivaine publique", accompagne, aide, éclaire… traduit et rempli des papiers administratifs aux voisins de misère.
C’est vrai aussi que la grande sœur l’aidait à réciter ‘Mon enfance captive’ (Albert Samain) qui ponctue parfois son récit et que nous reproduisons dans le premier commentaire...
Le livre de José Vieira, est également un rappel des thèmes qui constituent sa riche filmographie, ce regard attentif, sans concessions et sans discours, mais percutant, sur le fait d’émigrer. Le sort qui, dans tant de lieux et en tout temps, leur est fait quand on évoque les Portugais, les Roumains comment avant les Espagnols ou, aujourd’hui d'autres, suspects parce que Noirs, dans cette déambulation-recherche à la gare de Hendaye ou la rencontre sur la place de la Mairie d’Irun avec Mamadi de la Guinée-Conakry qui est un éloge à l’humanisme.
Et les « Années d’Avril », qui ouvrent le livre, retracent celles d’une prise de conscience sur le Portugal qui, il y a 50 ans, a osé mettre fin à la dictature et au colonialisme, où les chansons de résistance et d'intervention, comme on disait à l'époque, les animent et les mobilisent.
Il y a tant de choses à dire sur son livre, riche de ses ‘‘souvenirs’’ qui sont des doutes, des interrogations, des moments joyeux, douloureux et toujours inspirants. Oui, ouvrez le livre de José Vieira pour découvrir le rêve ‘d’un futur radieux’ dans la tête d’un enfant du bidonville de Massy, qui nous apprend tant !
* * ‘‘Toute émigration est politique’’
Sur RFI, dans un entretien avec Carina Branco, série sur Revolução dos Cravos, José Vieira revient longuement sur le pourquoi de son livre et pose une des questions de fond sur les importants mouvements collectifs de migrants, qui donne sens à sa démarche et nous permet d’élargir la réflexion :
‘‘Le problème est que toute émigration est politique. Je veux dire, pourquoi les personnes s'enfuient ? Pourquoi les personnes s’en vont? Parce que clairement - au Portugal et aujourd'hui avec ce qui se passe en Afrique, en Afghanistan, en Érythrée ou je ne sais où - il y a des raisons politiques qui font partir les personnes. La misère est une question politique. Mon père n'est pas responsable de sa misère! Mon père a tout fait pour s'en sortir, pour ne pas être pauvre, pour s’en tirer dans la vie, pour se gouverner. C'est une question politique ! Je veux dire, il y a un choix politique de sacrifier ces personnes, la campagne. Pour moi, toute émigration est politique’. [in José Vieira volta aos “bidonvilles” portugueses contra amnésia colectiva]
* Extraits, dans le premier commentaire :
* * ‘‘Mon enfance captive’’ d’Albert Samain (1850-1900)
* * * ‘‘...il y a des fois où partir c’est résister...’’ (pgs 72.75)
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José Vieira dans Mediapart :
‘‘Nous sommes venus’’, ou la mémoire de l’immigration, 3 avril 2022;
et José Vieira : « La mémoire des résistances face à l’accaparement des terres a été peu transmise », par Mickaël Correia, 2 déc 2023.