Et l’association « Les amis de V.O. » (à Lille) a décerné le prix Des racines et des mots, dédié à la littérature de l’exil, à José Vieira pour son récit Souvenirs d’un futur radieux (éd.Chandeigne). Ce prix, qui récompense chaque année une œuvre explorant les thématiques du déracinement, de l’identité et de l’exil, met en lumière une voix littéraire marquante.
José Vieira, réalisateur-documentariste est, en quelque sorte, le porteur d’images de l’immigration portugaise. Avec son premier livre, il nous porte par la force de son récit. Celui ‘‘d’un migrant portugais, venu en France en 1965, à l’âge de sept ans et demi, avec sa mère, frères et sœurs. Regroupement familial, non officiel, auprès de son père ouvrier, dans une baraque de bidonville, si fréquents à l’époque en banlieue parisienne (à Massy dans l'Essonne).’’ /ici/revolution-des-oeillets-et-immigration-portugaise
Lors de la remise du prix, le 2 décembre à Lille, José Vieira a lu sa ‘‘lettre à Tonio’’, un de ses potes de la cour de l’école qui semble avoir oublié que son père était aussi un immigré à la vie dure. Une sorte d’alerte à ce qui parfois nous confronte dont nous ne trouvons comme réponse que l’exclusion (peut-être comme celle que nous avons vécu)! Nous la publions ici...
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Lettre à Tonio. . .
La dernière fois qu’on s’est vus par hasard au café tu m’as dit Nous, on est venus pour travailler. Tu fais une erreur historique Tonio : on n’est pas venus pour travailler. Du travail ton vieux il en avait à revendre au bled. Seulement il louait ses bras pour des clopinettes et les terres qu’il labourait obstinément rapportaient que dalle. Ton père comme le mien, ils sont venus pour gagner leur vie et se faire des jours meilleurs. Pour ça ils ont du beaucoup travailler mais c’est une autre histoire.
J’ai bien compris ton message, l’inquiétant sous-entendu : aujourd’hui les immigrés ne viendraient que pour profiter. Mais Tonio si tu les vois pas travailler c’est que t’as pris un sérieux coup de vieux et que t’es devenu un putain de bigleux. Tu les vois pas sur les chantiers, dans les rues à monter des échafaudages et à refaire les façades ? Tu les vois pas dans les tranchées et aux travaux publics ? Tu les vois pas à s’occuper des vieux, des enfants, tu les vois pas sillonner la ville sur leurs vélos, dans leurs camtars à te livrer pour des broutilles ? Tu les vois pas ou ça t’arrange de ne pas les voir ? C’est quoi ton problème : ils seraient de méchants migrants qui viennent ponctionner ton pain et grignoter tes cotisations. Et toi forcément t‘as toujours été un gentil travailleur immigré qui a su faire fructifier le capital et ça t’a pas du tout fait rire quand Coluche se marrait en lançant à la cantonade : qu’est-ce que c’est que ces Portugais qui viennent retirer le pain de la bouche à nos arabes.
Je t’ai connu plus drôle Tonio, t’étais un sacré loustic quand on était môme. Avec tes biscotos t’étais un costaud, t’étais le plus fort et dans la cour de récréation tu nous as toujours protégé. Tu vas pas me dire que t’as oublié ces années où il fallait se faire une place au soleil à coup de poings, quand tout autour du bidonville nous portions partout l’aventure tel une bande de joyeux brigands. Je l’entends ton silence assourdissant. Tu as jeté tes souvenirs, tu penses que le passé n’est pas digne du présent. Tu ne veux plus entendre parler de baraques ni de boue, d’être malvenu et accusé de répandre la misère.
‘‘C’est qui ce nous Tonio, qui exclue les autres?’’
Et puis dis-moi Tonio c’est qui ce nous qui d’emblée exclue les autres? Nous, on est venus pour travailler. C’est quoi ce nous qui sonne comme un rempart ? Mais qui êtes-vous si vertueux, si fort de cette force qui ne vous sert qu’à obéir ? Seriez-vous le cliché à la peau dur des bons immigrés qui restent à leur place, ne font pas d’histoires et qui se sont débarrassés des pourquoi ils sont là, du comment ils sont venus. Seriez-vous les bons immigrés qui se sont échinés à la tâche pour faire bouillir la marmite, pour miroiter des jours meilleurs et qui ont ravalé leur histoire ?
Qui êtes-vous immigrés d’autrefois qui ne voient dans les étranges étrangers qui débarquent qu’une foule de gueux qui ne viennent que pour profiter de vos cotisations, pour être payés à rien foutre, à toucher les minimas sociaux, pour se faire recoller les oreilles. Tonio, tu croies vraiment conjurer notre passé de tue-la-misère en échafaudant de tels murs à la con ? Aurais-tu besoin à ton tour d’avoir des boucs-émissaires pour déverser tes angoisses de petit blanc qui s’étouffe de civilisation et de légitimité géographique ? Mais Tonio personne te pisse sur les pompes, c’est toi qui fais sur toi.
‘‘Étranges Étrangers’’
T’aurais dû faire comme Elvira : mettre le feu à ton état civil. Tout jeter par-dessus-bord. Toutes ces histoires de gueux à l’assaut des frontières et faits comme des rats dans les baraques, fallait s’en débarrasser. Elvira n’en pouvait plus de vivre avec une mémoire maculée de boue. Son nouveau statut à travailler en blouse blanche ne pouvait souffrir un tel affront. Alors elle a extirpé de son corps tous ces hivers et un jour de tambours battants elle a brulé ses souvenirs, sa carte de séjour et quelques autres documents compromettants.
Elvira s’est monnayée sur le marché de l’assimilation comme ça venait, à la louche, se rachetant un passé de petite bourgeoise pavillonnaire.
La charmante Elvire que j’avais connu sous le doux nom d’Elvira da Costa s’est nationalisée française et pris le patronyme de Coste. Ce que les gens peuvent se compliquer la vie à trop vouloir bien faire. A force de se moyenner, forcément ça lui a rapetissé les idées et la haine a tissé des toiles dans son corps. A l’écouter, je vois des démons qui la poursuivent et des fantômes qui l’outragent.
Elvira, tes grands yeux se sont creusés, c’est de peur qu’ils ont reculé dans leur orbite.
‘‘Ne viennent-ils pas comme nous sommes venus ?’’
T’as réussi ta naturalisation au-delà de tes espérances : tu t’es empaillée. Tu ne vis plus d’étonnements et moi je garde le souvenir de tes yeux épatés et souriants de quand nous étions enfants. Où est ton rire charmante Elvire ? Est-ce tu connais la chanson Les Loups sont entrés dans Paris chanté par Reggiani ?
Mais voilà Tonio que je m’adresse à Elvira alors que je t’écris. Je perds les pédales, c’est à devenir fou. Mais enfin ne sommes-nous pas les héritiers de cette humanité privée de passeport pour qui le seul voyage possible est de partir sans papiers à l’abordage des archipels prospères ? Ne sommes-nous pas venus ? Ne viennent-ils pas comme nous sommes venus ?

* * Dans le premier commentaire, un mot sur l’association « Les amis de V.O. » et le prix ‘‘Des Racines et des mots’’.