L’exposition d’Isabelle Ferreira (*) c’est comme un tracé d’un chemin ancien, celui de la traversée des Pyrénées dont son père fut un des marcheurs des années 60/70. Des milliers de Portugais ont alors du quitter leur pays pour fuir la misère ou la guerre coloniale. Des migrants économiques qu’on disait. Des migrants politiques qu’on disait aussi. Des déserteurs qu’on ne disait pas car les polices portugaise et française n’en voulaient pas !
Et son travail de création c’est de partager avec nous l’émotion de cette aventure humaine, par des visages, des regards, des ‘‘déchirements’’ sur bois, morceaux irréguliers qui ajoutent à la force de l’image et la pertinence du propos dont Isabelle Ferreira nous invite avec cet émouvant poème ‘‘9 jours et une vie’’.
9 jours. Une vie
9 jours de voiture, de marche, de camion et de
marche encore
9 jours de faim, de soif et d’épuisement
9 jours à marcher, manger et dormir comme des
bêtes, avec les bêtes
9 jours. Une vie.
9 jours la peur au ventre, les pieds en sang
9 jours de routes, de sentiers, de rails, de cols,
de pentes, de montées
9 jours de clandestinité
9 jours. Une vie
9 jours aux mains des passeurs
9 jours. 2 frontières au péril de nos vies
9 jours à la merci des policiers
9 jours. Une vie
Ici, ailleurs
9 jours de calvaire pour fuir la misère
Hier, demain
9 jours de galère pour une vie meilleure
9 jours et une vie

Avec ces portraits Isabelle Ferreira fait ainsi référence à la pratique de la photo déchirée. Comme un signifiant contractuel, de communication, de confiance, de réussite (attendue). Avant de quitter le village, celui qui part remet à sa famille une moitié déchirée de sa photo. Bien précieux qu’il ou elle, garde pendant tout le parcours, ces ‘‘9 jours et une vie’’ !
Remise au passeur à l’arrivée, c’est la preuve de la réussite (en tout cas du trajet) qui autorisera et obligera les proches à payer le solde de la traversée...
Nous percevons l’amplitude de cette traversée sur des tableaux de photos qu’on découvre sous des feuilles cartonnées noires, déchirées comme si l’essentiel était là, dans ces paysages inconnus qui confrontent toujours celui qui part sans trop connaître ni par où... ni jusqu’où !
Son ‘‘tableau de 8 minutes’’, vidéo réalisée pour une autre exposition, où l’artiste escalade un immense terril... m’a suggéré un dénivelé pyrénéen dont le migrant, non montagnard, grimperait jusqu’au sommet disparaissant de l’autre côté, justement dans on ne sait pas où, on ne sait pas quoi, qui est néanmoins ce qui anime l’espoir dans son projet!
Finalement on sort de l’exposition avec l’image de ces regards inconnus qui le sont aussi parce que nous les croisons souvent sans les voir, celles et ceux venus de quelque part que nos sociétés, déjà hier et encore aujourd’hui, ‘‘oublient de les accueillir’’... ou les refusent !
(*) Exposition à la www.galeriemaubert.com
20 rue Saint-Gilles * 75003 Paris * tél 01 44 78 01 79
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* * référence au dernier film de José Vieira nous-sommes-venus-ou-la-memoire-de-l-immigration présenté au Forum des Images et au Musée de l’Histoire de l’Immigration.
* * *Un film de fiction de Cristina Pinheiro a aussi abordé le thème de la photo dans /menina-le-mystere-de-la-photo-dechiree .