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Billet de blog 18 décembre 2024

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Cinéma : top 10 2024

Retour subjectif sur les meilleurs films de l'année.

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Voilà déjà la saison des tops rétrospectifs, alors je me joins à la tendance pour (re)parler un peu d'œuvres qui m'ont marqué cette année ! Non sans préciser bien sûr dans l'intro de rigueur qu'il est un peu absurde, de toute façon, de classer des films, que le classement n'est pas en soi un geste critique très intéressant, et même que ça rejoue quelque chose d'un rapport scolaire au cinéma. Il faudrait bien sûr se montrer critique envers tout cet apparatus du jugement académique, notations, classements et cérémonies de remise de prix, rappeler que tout ça est de toute façon très subjectif, et que chacun·e a ses propres biais qu'il ne faut pas chercher bien loin ("mais Arthur, tu ne regardes que du cinéma d'auteur français ?"). Je précise aussi que l'ordre de ce top n'est pas excessivement significatif : tous les films dont je parle ici sont excellents, et j'espère surtout que ce petit hommage pourra vous donner envie de découvrir l'une ou l'autre œuvre qui a pu passer sous vos radars.

Et bonne année 2025, xoxo

Illustration 1
This Is How A Child Becomes A Poet © Céline Sciamma

10. La Bête de Bertrand Bonello

Léa Seydoux est une actrice de classe mondiale et c'est avec des projets comme celui-ci qu'elle le prouve. Quelques mois après le visionnage, ce sont surtout des images et des impressions que je retiens de ce film, davantage qu'un récit ou une trame bien claire, mais je trouve toujours ça très réjouissant que le cinéma narratif flirte avec des formes plus expérimentales (à l'image de La Zone d'intérêt, qui a fait s'exclamer à de nombreux cinéphiles cette année "Sa place est dans un musée !"). J'ai également beaucoup apprécié l'aspect "horrifique" du film, cette fameuse bête qui le hante en hors champ et n'apparaît jamais, sinon à la faveur d'un glitch, comme un monstre de creepypasta.

LA BÊTE Bande Annonce (2024) Léa Seydoux, Science-Fiction © Allociné | Bandes Annonces

9. May December de Todd Haynes

C'est le genre de film où c'est un peu pile ou face. J'en ai discuté en soirée avec une cinéphile qui a trouvé ça trop kitsch, trop faux. Et au premier degré j'ai tout à fait compris ses arguments. Mais pour peu qu'on se laisse porter par l'esthétique camp de ce film hypnotique, léché comme le papier glacé d'un magazine people, le jeu de miroirs troublant qu'il nous propose a beaucoup a nous dire sur ce que c'est que la célébrité, ce que ça fait aux corps, aux regards, aux désirs. Depuis Superstar: The Karen Carpenter Story, en passant par Velvet Goldmine et I'm Not There, Todd Haynes est de toute façon le meilleur cinéaste de la star culture. Il poursuit ici cette obsession en s'éloignant du rock'n'roll, ce qui donne un film peut-être un peu moins démonstratif et entraînant (au sens musical du terme) mais qui révèle, en sourdine, le talent d'un des plus grands réalisateurs contemporains.

MAY DECEMBER I Bande-annonce © ARP Sélection

8. Impossible Maladies d'Alice & Stefano Tambellini

Entre chats fantômes, chats qui n'ont plus peur de l'eau et autres Sauvages (même les robots se sont ensauvagés !), l'année a été riche en films d'animation de qualité. Je retiens particulièrement ce court-métrage d'un charme fou. On suit le docteur Rabarbaro et son assistant tortue, qui parcourent le monde pour soigner les pathologies les plus surprenantes, à une époque où les frontières entre médecine et magie ne sont pas encore très bien tracées. Comme si un conteur nous guidait à travers les archives de la Wellcome Collection. 

Impossible Maladies | Trailer | 2024 HorrorFest International Film Festival © HorrorFest International

7. September Says d'Ariane Labed

Pour moi la découverte du dernier Festival de Cannes. Une histoire de sororité aussi belle que cruelle, comme une nouvelle de Mariana Enriquez, et qui montre un aspect de plus de l'immense talent d'Ariane Labed. Oui je triche un peu parce que ça sort en 2025 mais allez le voir s'il vous plaît.

September Says - Official Clip © Madman Films

6. Miséricorde d'Alain Guiraudie

Une symphonie de non-dits exécutée à la perfection par des acteur·ices d'une justesse inouïe. Mention spéciale (et je crois unanime parmi les spectateur·ices ayant apprécié le film) pour Jacques Develay en curé malicieux, à qui sont réservées les plus belles envolées lyriques et les contretemps comiques les plus efficaces. Il faut aussi saluer le travail impeccable de la directrice de la photographie Claire Mathon, qui dès les premières minutes à la Shining nous entraîne dans ce film étrange, vénéneux comme une amanite phalloïde. 

MISERICORDE d'Alain Guiraudie - Bande-annonce officielle © Les Films du Losange

5. État limite de Nicolas Peduzzi

2024 a été marqué par la ressortie de plusieurs films de Frederick Wiseman, ainsi que par une rétrospective intégrale (46 films !) au Centre Pompidou. On s'ébahit à juste titre de son talent de documentariste qui, en captant des scènes banales ou spectaculaires, nous en dit long sur le fonctionnement d'institutions comme la police, la justice ou l'hôpital. L'erreur serait de considérer ces films comme de purs objets de patrimoine quand Nicolas Peduzzi, par exemple, poursuit ce geste documentaire, plus nécessaire que jamais dans la France de Macron, pour montrer l'infinie beauté de ce qu'est un service public (le dernier recours parfois de cell·eux qui n'ont rien, qui ne "sont rien" et que presque rien raccroche à la vie), et les périls auxquels une gestion néolibérale (et, de fait, nécropolitique : des budgets sont coupés, donc des gens meurent) le confronte. Le psychiatre de liaison Dr. Abdel-Kader, rencontre miraculeuse comme le cinéma documentaire en a le secret, nous guide dans son quotidien "limite" à travers l'architecture vertigineuse de l'hôpital Beaujon, représentative d'une ambition médicale de grande ampleur, mais que sa désaffection annoncée et plus généralement la casse de l'hôpital public font parfois ressembler à une immense épave, un corps mort pour des cormorans. Un film d'intérêt général. 

BANDE-ANNONCE I ETAT LIMITE de Nicolas Peduzzi © ACID CinéIndépendant

4. U Are The Universe de Pavlo Ostrikov

Octopus d'or largement mérité du dernier Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, U Are The Universe, film ukrainien au budget relativement modeste et tourné à Kiev, en partie sous les bombardements russes, a quelque chose qui pousse à croire à l'infinie résilience de l'art, et maintenant plus que jamais on a besoin de croire en ça. Un huis-clos porté avec brio par l'acteur Volodymyr Kravchuk, une réalisation qui prend délicieusement à rebours les codes de la SF (notamment dans les choix musicaux, pour cell·eux qui n'en peuvent plus de Christopher Nolan et de Hans Zimmer), et surtout une magnifique histoire d'amour.

Official teaser - U ARE THE UNIVERSE © ForeFilms

3. C'est pas moi de Leos Carax & This Is How A Child Becomes A Poet de Céline Sciamma

Un "ex-aequo" qui me permet de ne pas départager deux essais filmiques audacieux de cinéastes que j'aime de toute mon âme - deux pas de côté qui leur permettent, chacun·e à leur manière, de considérer en quelque sorte droit dans les yeux les pouvoirs du cinéma. C'est d'ailleurs difficile de mettre des mots sur ces films, dont le cinéma est non seulement l'objet (parmi d'autres) mais le médium parfait, la langue natale, intraduisible. Ce qui est touchant aussi dans ces deux films, c'est leur minimalisme, leur façon d'être sublimes à partir de choses très simples : quelques photos d'une amie disparue, le fantôme de Kim Novak ; Nastya Golubeva Carax qui joue du piano en surimpression d'un orage. This is cinema.  

C'EST PAS MOI de Leos Carax - Bande-annonce officielle © Les Films du Losange

2. A Different Man d'Aaron Schimberg

Le précédent film d'Aaron Schimberg, Chained For Life (2018), où l'incroyable Adam Pearson crevait déjà l'écran, était une réflexion à la fois explicite et subtile sur le côté "freak show" du cinéma, le voyeurisme qu'entoure les corps considérés comme anormaux, les attentes qu'ils suscitent, systématiquement déjouées par un scénario d'une intelligence extrême. Ici, Schimberg et Pearson poussent les curseurs encore plus loin, dans un conte fantastique sur l'apparence et l'amour de soi, dont la trame peut rappeler The Substance, mais que j'ai trouvé beaucoup plus efficace que le film adulé de Coralie Fargeat : loin de se contenter de répéter des formules éculées (même sur le mode de l'ironie), il refuse dans sa structure même de reconduire les critères de beauté dominants, et invite à voir ailleurs, autrement. On espère qu'il fera des émules.  

A Different Man | Official Trailer HD | A24 © A24

1. Les Reines du drame d'Alexis Langlois

Après ses courts remarqués, on attendait Alexis Langlois au tournant - parviendrait-iel à transformer l'essai ? Trève de suspense, Les Reines du drame est une magnifique réussite : un film dense (peut-être même un peu trop par moments, attention à la "sursaturation sensorielle" pour reprendre l'expression d'une amie), excessif dans le bon sens du terme, intransigeant, joyeux, politique. Un monument aux années 2000, aux chansons drama queen, aux télé-crochets, à la pop, aux paillettes, au mauvais goût, au queer. Un film extrêmement accueillant, comme son final qui ressemble à une réécriture lumineuse de la fameuse scène "One of us !" de Freaks. Un film beau comme le rêve d'une communauté.

LES REINES DU DRAME - Bande-annonce (Steevyshady version) © bacfilms

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