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Billet de blog 17 octobre 2015

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La main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Encore une histoire de position hiérarchique me direz-vous : cela tourne à l’obsession.

Oui, et c’est sans doute pour cela que ce dicton africain tourne dans ma tête. Je l’ai entendu prononcé dans une émission sur RFI, où il était question de la pauvreté, et d’une façon très américaine de compter sur les œuvres caritatives pour régler le problème, au lieu qu’en faire une priorité d’ordre politique.

Et ceci à a voir avec une réflexion sur la politesse, que j’ai laissée en commentaire sur un billet de Jean-Paul Bourgès : "Tu, nous et vous… seulement !". Je le transcris ici :

… Il y a une différence très sensible entre

  1. "Passe-moi le sel"
  2. "S’il te plaît, peux-tu me passer le sel ?"

La première, à l’impératif, se situe clairement sur les deux niveaux que nous venons de voir : je me situe à un niveau surplombant mon interlocuteur (moi ex post ; lui ex ante : je fais irruption dans le fil de son propre discours) ;

Dans la seconde, je descends à son niveau : je me "synchronise" avec lui, ce qui rappelle la PNL des années 70. Je m’invite dans son jeu : il peut ou non me passer le sel (ce sont ses actions potentielles) et j’en appelle à son libre arbitre pour lui suggérer un choix, que je laisse à sa discrétion (s’il te plaît). Je suis donc bien descendu de mon piédestal, pour entrer dans l’arène à son côté : et l’action envisagée est de type "synchronique", comme deux joueurs dans une partie de cartes.

Et bien, il y a une différence de cet ordre entre recevoir une aide de la part de la collectivité ou de la main à la main ; comme une aumône.

Prenons deux individus, l’un riche (R), l’autre pauvre (P), appartenant tous deux à une même communauté (C).

  1. Dans un premier cas, R et P sont soumis aux règles érigées par la communauté, C, qui s’appliquent à tous. Selon ces règles communes, définies en commun, R paie des impôts et P reçoit une aide, en considérations des difficultés auxquelles il doit faire face.
  2. Dans le second cas, il n’y a aucune règle commune de la communauté C qui édicte la conduite de R et P. Mais, de son propre chef, et pour des raisons qu’il n’a pas à donner, R décide d’aider P.

Le cas 1/ décrit une situation où la société régule les comportements individuels. Appelons (Ik) le niveau imaginaire où se conçoivent ces règles, qui régissent les comportements individuels de R et P à un niveau (Ik-1). (i.e. : Ik est un métalangage qui circonscrit les potentialités en Ik-1.)

Dans ce cas, il n’y a pas de rapport hiérarchique entre R et P car tous deux sont au même niveau Ik-1. Bien que l’un soit riche et l’autre pauvre, ils peuvent se voir égaux "en droit", ce droit étant défini en Ik.

C’est, pour en revenir à la politesse ; la situation où l’on dit "s’il te plaît peux-tu me passer le sel". À savoir que celui qui donne a la pudeur de se faire anonyme.

Dans le cas 2/ au contraire, le don est ostentatoire. Et même si le donneur garde l’anonymat au sein d’un œuvre caritative privée, le choix de donner ou pas lui reste. Il se situe donc en position de métalangage par rapport au discours de celui qui reçoit. Et l’autre devra peu ou prou faire le singe pour avoir une banane. R est en Ik et P en Ik-1 : la main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit.

C’est aussi violent que "passe-moi le sel".

Et c’est là où je voulais en venir : il y a de la violence dans l’aumône. J’y repensais en lisant ce billet de IKYUSHII : "je ne connais pas son nom" où j’ai laissé un commentaire.

Et j’estime que le spectacle des mendiants, à la sortie de la prière du vendredi est d’une grande violence. Le donneur se donne en spectacle, et donne avec ostentation pour montrer qu’il est bon musulman (l’aumône est l’un des 5 piliers de l’islam) et le mendiant, par un effet pervers de ce commandement, se voit et se laisse voir comme objet nécessaire à cette manifestation.

Il en est de même de l’approche américaine de la paupérisation grandissante de leur population. Et là aussi, on y retrouve les conséquences d’une interprétation utilitaire de principes religieux. C’est lié à l’interprétation protestante de la parabole des talents.

Et nous retrouvons encore cet arrière-fond religieux en Inde. Le pauvre a mérité sa position par ses actions antérieures ; le riche au contraire profite justement d’un karma vertueux.

Dans les trois cas, la position inférieure d’une partie de la population est justifiée par un recours au symbolisme (religieux en l’occurrence) propre à telle ou telle communauté.

La laïcité permet de couper court à ces références : en imaginant une structure sociale définissable, dicible (de l’ordre de l’imaginaire et non du symbolique), elle permet un comportement rationnel au sens propre, c’est-à-dire un comportement individuel (Ik-1) rapporté à une règle (en Ik) ; de même que pour faire une mesure de longueur, on rapporte la longueur à une certaine unité (on fait un ratio).

La laïcité est l'un des piliers de la République.

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