Des mots ont décidé de pas manquer à l’appel. Ils arrivent en ordres dispersés, pour mieux rassembler les courants de demain. Seconde livraison pour le jour d’après, avec Jean-Gabriel Cosculluela, Sylvie Durbec, JHJ et Clo Hamelin.
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Pierre Soulages
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Comment oublier le peu ?, par Jean-Gabriel Cosculluela
« L’oubli est une tache dans le ciel » (Joël Vernet)
Le jour d’après, il me reste à déplier la lumière. Elle a dit adieu aux murs, à la maison, sans doute hier soir, peut-être hier soir, je ne sais plus, quel jour sommes-nous ? A-t-il fait nuit ? A-t-il fait jour ? Je ne sais plus. Le temps a-t-il eu lieu d’être ? Le temps a-t-il eu lieu d’être ici en ce retrait ? La lumière revient, il me reste à déplier la lumière, à déplier le monde, à faire nu avec le monde, la vie, l’écriture, chercher un chant pauvre, après avoir guetté et veillé une rambleur, la moindre rambleur au creux de la nuit, au cœur de la nuit, mais c’était peut-être le jour, je ne sais plus. Je ne sais plus que ces mots que je retrouve dans un carnet, notés sans doute le temps du retrait : le « noir de source » « je ne suis moi que hors des heures, à la rencontre du jour qui fait les formes et de la nuit qui leur donne des yeux », « crois-tu que le jour t’éclairerait si tu n’étais pas l’œuvre de la nuit » (Joë Bousquet), « l’outrenoir » (Pierre Soulages). La lumière reste peut-être tout contre le noir. Peu importe, désormais, peu m’importe, la nuit, debout, le jour, debout. Peu m’importe, le jour d’après, quand la lumière revient sur les murs, sur la maison, je reprends un pas d’oubli, un autre pas d’oubli, me promenant autour de la maison. La lumière fait les formes et un oiseau laisse soudain une phrase dans le bleu du ciel, qu’il me faut lire, les yeux levés dans la lumière et les formes. Comment m’accorder à ce peu ? Sauf, l’oubli. L’oubli est sauf. L’oubli a peut-être lieu d’être ici, nous avions oublié l’oubli, et il est resté avec quelques mots dans l’abri, la resserre, près des outils à main, de terre à ciel. Comment oublier le peu ? L’oubli n’est pas irréparable, le peu n’est pas irréparable.
Jean Gabriel Cosculluela, 10 avril 2020 (pour Jean-Marc Adolphe, Thierry Renard, et Catherine Smits, Joël Vernet et d’autres, celles et ceux qui le liront.)
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Un mot de cinq lettres, par Sylvie Durbec
Le jour d’après comment faire? On habillera le matin avec ce qu'on trouvera au pied de son lit. Un mot de 5 lettres le plus souvent : porte, morte, perte, mots de cette sorte. Ils ralentissent le mouvement, l'arrêtent presque tandis que peu à peu, de mots et d'autres, s'habille le matin à commencer ensemble. La tête pèse parfois au bout de la tige, mais il serait vain de la couper. Et puis tout peut attendre. Sauf le café qui remplace le sang. Et fouette la journée durablement. Certains, m'écrit-on, se serviront de la musique. Tout est bon pour tenir debout. Cette période pourtant incline au sommeil, ou, tout au moins, à l'allongement. Si fatigant parfois le soleil, si épuisante la poussière du chemin. Porte, on l'ouvrira. Perte, on la porte en soi. Morte, toujours finit par arriver devant elle. Mère morte. Ainsi filent les nuits, les matins et les jours au pays que j'habite. Je n'y vis pas seul. Entouré d'une foule. Durablement présente et silencieuse, elle fouit tout autour sans se lasser. Il m'arrive de l'entendre en dormant. Une foule de bêtes en tous genres, insectes sûrement dans le bois des poutres, et petits mammifères à galoper au-dessus de moi. C'est ainsi que nous vivrons encore. Les autres, même s'ils ne me voient pas et qu'il m'arrive de les apercevoir à peine, vivent la même existence. D'une sorte que je sens différente de moi, sans savoir ce qui nous rend si différents. Je ne les connais pas. Ils ne me connaissent pas. Mon matin aujourd'hui s'habillera de peu. Grisaille et soupirs. Non que je me plaigne, je constate simplement ce que j'ai à ma portée. Très peu. Eux, ceux qui ne me voient pas, se plaignent tout le temps. Je les ai entendus gémir. Il faudra pour leur clore le bec un mot de cinq lettres !
Sylvie Durbec, 10 avril 2020
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Résidus de la République, par JHJ.
Réveiller une mémoire engloutie Par tous ces résidents de la république Qui sous les ors de l’Elysée et d’un trait d’humour noir Décapitent nos rêves fabriquent le tragique
Croque mort de l’espoir C’est hélas leur métier Eux qui dès le matin à peine levés Réfléchissent à nous faire nous déchirer
Au service de puissants sévices Bien qu’importants Ce sont de faibles gens Résidents résidus de la république
Dans ce monde d’injustice et de chaos sans nom Des êtres déconnectés de la réalité Bulldozers des âmes obsédés par l’argent Des pompiers pyromanes au cœur de Panam
Le pouvoir est une lame Le glaive de l’action… Redonnons-le au peuple Cette intelligence collective en pleine ébullition
Assez du joug de ces omnipotents aux principes décadents Pas d’autre solution si ce n’est faire confiance C’est à son service qu’ensemble nous devons être La planète le réclame à corps à cris et à sang
Alors enfant d’la terre
Puise ta force dans l’eau de vie Et hâte toi lentement Il est venu le temps De te mettre en mouvement
JHJ, 10 avril 2020
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Mettre le holà, par Clo Hamelin.
Hommes que l’on dit Grands, responsables du Monde Devrez rendre des comptes, percuter sur vos actes, réparer, reconnaître, demander des excuses, démissionner peut-être. Nous avons bu jusqu’à la lie vos philtres délétères, sans jamais les avoir vomis Nous ne vous laisserons plus « chimérer » sur nos vies. Nous avons répété muettement vos injures. Nous devrons autant concéder qu’à l’aveugle nous vous avons suivi… Sur cette boule bleue, le silence installé, doit nous faire raisonner Il est tant d’idées folles que nous voulions construire Nettoyer la terre des tous ces pesticides, cesser de l’éroder, juste pour en extraire au cœur de sa matrice des planctons millénaires. Le vent et le soleil nous sont pourtant offerts. Pensez peut-être à ne plus autant strier le ciel d’échanges pécuniaires, plus ou moins corrompus ? Rapportez vos usines qui en pays lointains vous ont coûté bien moins, et ont pollué les mers, et ont ici causé des drames légendaires. Et tous ces renseignements, ces surveillances pêle-mêle, ces besoins de toujours contrôler tout le monde, pour assurer votre sérénité, est-ce vraiment nécessaire pour vivre en société ? Les guerres devront cesser, elles n’auront plus de liens dans cette transmutation. Nous ne formerons plus de bataillon ni n’abreuverons vos sillons. Sortir tout cet argent que l’on a confiné dans des lignes de codes, des paradis fiscaux, juste pour se baffrer. Faisant courir le bruit à qui veut bien l’entendre que de jouer ainsi apporte des délices, c’est un jeu très commode, le Monopoly, il suffit de miser sur la misère du monde. Mais partagez-le donc ! rendez-vous donc utile, distribuez les prébendes, pour voir s’édifier des hôpitaux, des écoles, des jardins, des panneaux de lumière, de l’eau pour tout le monde. Ce confinement-là est une sinécure, une occasion unique de mettre le holà à vos agissements, Hommes que l’on dit Grands. Et pour nous, peuples souverains, libérer de nos entraves, de soulever le voile et d’y voir plus clair. La vie commence de faire très mal à ne plus se laisser porter par son courant. Quand nous repartirons sur notre propre vie Prenant en main chacune de nos journées Evacuant le mauvais souvenir du passé Nous ferons table rase de la médiocrité Nous nous détacherons de vous Nous deviendrons libres de nous-mêmes Nous passerons au soleil Nous voguerons sur le vent Nous recueillerons la pluie dans des toiles de lin Nous habiterons les arbres En dépit de vos iniques lois Nous serons si heureux que la Terre en rira.
Clo Hamelin, avril 2020
Au jour d’après ? Quel « jour d’après » ? A partir d’un premier texte anonyme et collectif, MEDIAPART accueille depuis le 6 avril 2020 le blog Au jour d’après, atelier d’écritures en voix brassées du Tout-monde pour gouverner le futur.
Ce blog sera quotidiennement mis à jour, jusqu’à plus soif.
Toutes contributions peuvent être adressées à : aujourdapres@tutanota.com
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