B. Girard
"Au lieu de se surveiller, l'éducateur surveille les enfants et c'est leurs fautes qu'il enregistre et non les siennes." (J. Korczak)
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Billet de blog 26 août 2018

B. Girard
"Au lieu de se surveiller, l'éducateur surveille les enfants et c'est leurs fautes qu'il enregistre et non les siennes." (J. Korczak)
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Eté 2018: dernier été de liberté pour les 16-18 ans?

Si rien ne vient s’opposer au sentiment de toute puissance de Macron, l’année 2019 devrait être celle de l’instauration du service national universel. Les 16-18 ans visés par cet ahurissant caprice étatique ont-ils connu cette année leur dernier été de liberté ?

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Si rien ne vient s’opposer au sentiment de toute puissance de Macron, l’année 2019 devrait être celle de l’instauration du service national universel dont on connaît les grandes lignes. A défaut des modalités d’application… Ce bien mal nommé « service » – car à qui rendrait-il service, au juste ? – concernerait exclusivement la tranche d’âge 16-18 ans et prendrait la forme d’un internement obligatoire en dehors du temps scolaire. Durée : environ un mois, ou deux fois 12 jours ou l’on ne sait trop combien. Lieu d’hébergement : les internats scolaires, d’anciennes casernes plus ou moins désaffectées ou l’on ne sait trop où. L’encadrement : des militaires à la retraite où l’on ne sait trop qui. Emploi du temps : tests scolaires ou de santé, utilisation de la boussole ou l’on ne sait trop quoi. Coût de cette plaisanterie : 2 ou 3 milliards d’euros par an mais l’on a évoqué la somme de 30 milliards d’euros sur le quinquennat, un budget non pas prélevé sur les dépenses militaires – sacralisées - mais sur celui de l’Education nationale, dont le patron s’est empressé d’accepter une facétie qui lui permettra de se livrer à son passe-temps favori : faire parler de lui.

En réalité, après de multiples tergiversations et plusieurs rapports enterrés, il apparaît que cette trouvaille ubuesque a surtout pour fonction de montrer à un pays qui n’a toujours pas digéré la suppression du service militaire, que, dorénavant, par la simple magie d’une appellation – service national universel - et d’un enfermement obligatoire, une jeunesse déboussolée allait miraculeusement retrouver les repères et les valeurs de ses aînés. Car bien sûr seuls les aînés ont des valeurs ; nécessairement, ce que retiendront les aînés et l’opinion publique, c’est d’abord l’idée d’enfermement règlementaire. Si, en outre, sur cette durée, on trouve le temps de mettre les lycéens en uniforme pour les faire marcher au pas, ce sera parfait pour les journaux télévisés. De fait, Macron n’a jamais fait mystère de l’objectif ultime qu’il assigne au service obligatoire : « inculquer la discipline ». Une discipline qui passe par la mise au pas de toute une classe d’âge. Le même Macron a d’ailleurs eu l’occasion de se dire « très attaché à cette idée que lorsqu’on est un citoyen, on n’a pas seulement des droits mais on a aussi des devoirs ». Une conception des devoirs, du civisme, de l’honnêteté qu’il a eu l’occasion de développer avec son collaborateur Benalla…

En fin de compte, le résultat le plus concret de ce temps de « service », outre le fait de ponctionner le budget de l’éducation, consistera à priver les 16-18 ans d’un mois de leur temps libre. Le choix de cette tranche d’âge, qui exclut par le fait même les étudiants - et autant de manifestants potentiels - n’est pas innocent. Car si les mouvements lycéens (et quelques organisations de jeunesse) ont fait part de leurs critiques, ils risquent de se trouver bien esseulés lorsqu’il va s’agir de s’y opposer dans les faits. Sur le sujet, les syndicats d’enseignants se sont surtout signalés par un silence assourdissant qui vaut acceptation : pas un mot sur le transfert à l’EN d’une charge financière indue dont l’ensemble du secteur éducatif subira les conséquences. Pas un mot, surtout, sur l’infantilisation des lycéens en germe dans ce projet de service national, en contradiction flagrante avec l’objectif de toute éducation qui est d’aider à grandir, à devenir responsable, à agir et à vivre librement dans le respect des personnes. 15 ans de scolarisation conclues par un mois d’asservissement, d’abrutissement : un symbole lourd de sens mais qui, à ce jour, ne semble pas troubler beaucoup de monde, au sein d’une institution, qui, il est vrai, depuis 36 ans, s’est parfaitement accommodée de l’endoctrinement militaire dispensé le plus officiellement du monde dans le cadre de l’éducation à la défense.

Bien évidemment, les jeunes ne pourront compter non plus sur le soutien des partis politiques dont les critiques se focalisent non sur le principe d’un service obligatoire mais sur sa durée jugée insuffisante (pour la France dite "insoumise", 9 à 12 mois seraient une bonne mesure...). De fait, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, une large partie de l’opinion publique reste de façon irrationnelle attachée au mythe de la conscription (en dépit de son accablant héritage guerrier) et des valeurs imaginaires dont elle serait porteuse, mises en avant pour occulter tous les défauts d’un régime politique : les références au « brassage social » seraient-elles nécessaires dans une société construite sur la justice ? L’identité commune a-t-elle un sens quand elle est pervertie par la nationalité et limitée par un pointillé sur une carte ? L’intégration au groupe implique-t-elle l’acceptation forcée de la loi du groupe, quelle qu’elle soit ? La responsabilité peut-elle se cultiver sous la contrainte dans le cadre d’un enfermement généralisé de toute une classe d’âge ?

Si le service national vise directement dans leur vie quotidienne les 16-18 ans, on voit bien que ces questions concernent la société tout entière qui serait bien inspirée de ne pas se laisser imposer les réponses. 

Sur le même sujet :

- "Service national : internement obligatoire confié à l'Education nationale"
- "Les députés et le service national : l'école en première ligne"
- "Service national Macron : une France qui a peur de sa jeunesse"
- "Brassage social : la grosse arnaque du service national"

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