
Agrandissement : Illustration 1

(Texte tiré d'une chronique lue sur le plateau de l'Émission Populaire)
Ce dimanche, à moins de vivre dans une grotte ou d’avoir décidé de ne plus suivre du tout l’actualité médiatique de ce pays (ce qui, ma foi, n’est peut-être pas une si mauvaise idée que ça), vous n’avez pas pu passer à côté de la marche dite “contre l’antisémitisme et pour la République”, organisée par la présidente de l’Assemblée nationale, Yael Braun-Pivet, et par le président du Sénat, Gérard Larcher. Une marche qui, présentée comme telle, semblait noble et juste, mais une marche qui en réalité posait plusieurs problèmes.
Si l’intitulé de la marche n’était problématique pour personne, la présence de l’extrême droite dans le cortège, annoncée rapidement par Marine Le Pen puis par Éric Zemmour, aurait dû pousser à la colère, à l’étranglement et au refus formel de participer à une telle mascarade.
Colère, parcequ’il faut rappeler que Zemmour a été condamné plusieurs fois pour provocation à la haine, pour injure homophobe ou encore pour injure à cractère raciste. Colère, parce qu’on ne combat pas l’antisémitisme en brandissant le racisme face à lui.
Étranglement, parce que le RN a été fondé par des collaborationnistes notoires, pour certains membres de la division Charlemagne, apportant ainsi leur aide et leur soutien aux nazis. Étranglement parce que Frédéric Boccaletti, député du RN aujourd’hui, est connu pour avoir tenu une libraire vendant des ouvrages négationnistes. Parce que Marine Le Pen prétendait il y a quelques années que “la France n’est pas responsable du Vel d’Hiv”. Parce que son père a crié partout, et plusieurs fois dans sa vie, que les chambres à gaz sont un détail de l’Histoire. Étranglement parce que depuis des semaines, partout dans le pays, des tracts antisémites sont imprimés et distribués par des groupes d’extrême droite, menaçant directement les juifs et vantant la “supériorité de l’homme blanc”.
Il aurait donc été normal que cette colère et cet étranglement provoquent immédiatement le dégoût, et que la simple présence de l'extrême droite dans un cortège contre l’antisémitisme discrédite ce dernier, sans autre justification et pour toujours.
Ils ont marché avec ceux... qui ont tué Jaurès
Je dis “aurait été”... parce que cela n’a pas été le cas. Allez, soyons francs, était-on étonnés de voir les macronistes pris ainsi dans leur propre piège, offrant à ceux contre lesquels ils étaient censés faire barrage un exercice de haute dédiabolisation ? Pas tellement. Était-on étonnés de voir, de Sarkozy à Hollande en passant par Valls, tout le vieux monde politique sortir du formol pour battre le pavé, alors même que ces derniers ont bien été incapables, tout au long de leurs mandats respectifs, de lutter contre l’extrême droite et contre la monté de l’antisémitisme et de tous les racismes en France ? Non, pas tellement non plus.
Mais soyons honnêtes… mettons de côté les querelles, mettons de côté les désaccords stratégiques : quelle tristesse, quelle honte et quelle nausée de voir que la digue a cédé jusque dans les rangs d’une certaine gauche ! Là était ma plus grande colère, mon plus grand étonnement et mon plus grand dégoût, dimanche. Bien sûr, on peut débattre de la façon de lutter contre l'extrême droite ! Bien sûr, on peut discuter de la ligne à tenir… mais enfin ! Quelle folie ! Rendez-vous compte : ces gens sont allés marcher avec ceux qui ont tué Jaurès ! Ils ont accepté, au prétexte d’un “cordon sanitaire” qui n’existait que dans leurs esprits apeurés, de marcher avec la bête immonde, avec les descendants du pire et avec les ennemis de tout ce qui fait l’identité et l’essence même des combats de tout militant de gauche, de tout militant humaniste, peu importe sa couleur, son parti ou son drapeau.
Tout ça... pour quoi ?
Je ne doute pas, pour dire vrai, de la sincérité de certains. Je ne doute pas que certains citoyens aient pu se dire : “la cause est noble, j’y vais”. Mais il faut dénoncer la grave faute politique et morale des responsables politiques ayant pris la décision de plonger leurs partis dans ce bourbier.
Qu’ont-ils apporté à la lutte contre l’antisémitisme ? Qu’avaient-ils à dire, dimanche soir, à part quelques pirouettes sur la foule présente ou sur l’unité d’un peuple, même pas massivement mobilisé, contre l’antisémitisme ? Évidemment, les Français rejettent en masse l’antisémitisme ! Évidemment, et encore heureux. Mais cela ne date pas de dimanche, ni de la veille, ni de l’avant veille. Non, le peuple français n’est pas, dans sa large majorité, antisémite. Ni xénophobe, ni raciste. Mais ce n’est pas cette marche partagée avec l'extrême droite qui permet de le mesurer.
Alors en réalité, à quoi à bien pu servir cette marche ? À quoi d’autre que la dédiabolisation de l'extrême droite et de ses portes-paroles, à peine chahutée par quelques courageux à qui il faut rendre hommage, mais qui a pu tranquillement avancer 2 heures durant sans le moindre problème ? Qu’a-t-on acté d’autre, dimanche, que la recomposition définitive d’un bloc politique détestable allant du vieux vieux monde, macronistes en tête, à l’extrême droite ? Rien, il n’y avait rien à tirer d’autre.
La faute est morale, politique et stratégique
Il faut donc interroger le rôle de cette “gauche”, sa capacité à lutter contre l’extrême droite, ses idées et ses représentants. Rappelons qu’en 2022, il avait manqué quelques voix précieuses à Jean-Luc Mélenchon pour accéder au second tour de l’élection présidentielle… ce qui aurait empêcher Marine Le Pen d’y affronter Macron. Et rappelons aussi que l’ensemble des candidats de gauche ayant refusé de se retirer pour permettre la réussite de l’Union Populaire, était dans la rue dimanche. Tous. Absolument tous : Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Fabien Roussel.
La faute n’est donc pas que morale. Elle est aussi stratégique et politique. La semaine dernière, j’ai conclu en disant que face à l'extrême droite, il faut tenir une ligne ferme. Il faut refuser toute ambiguïté, refuser chaque recul, refuser tout compromis. Il faut donc faire front commun… mais, bien sûr, avec ceux qui le veulent, avec ceux qui comprennent et avec ceux qui en sont capables et qui y sont prêts. Nous sommes des millions, et nous continuerons à le faire.
Fierté de ne pas avoir marché dimanche.
Fierté d’avoir refuser cette horrible mascarade.
Et fierté, surtout, de continuer la lutte contre l’antisémitisme, comme contre tous les racismes, au nom de l’idéal humaniste qui nous habite tous.
La tête haute, la nôtre, la bataille continue.
Bastien PARISOT
@BastienParisot