Chère Emma,
Depuis maintenant dix ans électeur et militant écologiste en Ile de France, j'ai voté bien évidemment pour la liste Europe Ecologie Les Verts, dont tu étais la tête de liste, aux dernières élections régionales de décembre 2015. Et ce weekend, également grand amateur du Petit Journal, je suis tombé sur cette vidéo ci-dessous:
Comment dire? Je pensais qu'avec ton départ tonitruant du secrétariat national d'Europe Ecologie Les Verts pour aller toute honte bue courir au gouvernement répressif, productiviste, nucléocrate et europhobe de Manuel Valls en tant que nouvelle ministre du logement, nous avions touché le fond. Et bien je me trompais. Grâce à cette nouvelle séquence au Petit Journal, nous creusons encore. Peut-être qu'avec de la chance, nous tomberons sur un gisement de gaz de schiste, ce qui ne manquerait pas de sel pour des écologistes. Mais en attendant, franchement, comment ne pas être atterré par cet interview et surtout cette décision, indéfendable pour une soi-disant écologiste, de cumuler un emploi de ministre avec un mandat, même d'opposition, de conseillère régionale? Ce alors que les écologistes ont fait campagne pour « changer d'air en Ile de France »?! « Changer d'air », c'est bien évidemment également pour une meilleure respiration démocratique. Et cela passe par le refus absolu et inconditionnel de cumuler les mandats, parce que le cumul des mandats est un véritable scandale démocratique dans notre pays, qui fige notre classe politique et contribue énormément au profond rejet qu'elle suscite aujourd'hui auprès de la population. Tu le sais très bien.
L'écologie, ce n'est pas seulement un programme et des idées, une vision du monde particulière, mais c'est peut-être et surtout une façon d'être à soi et aux autres, qui considère que « changer le monde commence par se changer soi-même », comme le diraient Gandhi ou Kenny Arkana. Désolé pour la leçon, mais lorsque l'on défend des idées et des valeurs aussi exigeantes que les nôtres, où l'on demande à chacun de faire des efforts pour améliorer les rapports des êtres humains entre eux, avec les autres espèces et avec leur environnement, on se comporte soi-même avec humilité et exemplarité, quelles que puissent être par ailleurs les conséquences éventuellement négatives de nos choix sur notre situation personnelle. Oui être ministre, c'est faire le choix professionnel d'un CDD révocable à tout moment, et garder son mandat sous le coude de conseillère régionale peut à première vue se comprendre, surtout quand dans ce pays le statut de l'élu est toujours débattu, jamais mis en place. Oui ce statut de l'élu serait sans doute une des meilleures options pour enfin lutter efficacement contre le cumul des mandats. Mais c'est un autre sujet. Là, nous parlons d'une candidate tête de liste des écologistes pour les élections régionales en Ile de France, par ailleurs secrétaire nationale d'EELV pendant plus de deux ans, qui après avoir fait campagne en promettant de consacrer 100% de son temps à combattre pour une région plus écologique, part trois mois plus tard, contre l'avis de son parti, de ses militants et sans aucun doute d'une bonne partie de ses électeurs, au gouvernement de Manuel Valls tout en s'agrippant à son mandat régional. Quelle valeur accorder encore à la parole politique, déjà suffisamment décrédibilisée, après un tel comportement? Oui ministre c'est un CDD, mais aujourd'hui en France, le marché de l'emploi ne cesse de se précariser et le nombre de CDD n'a jamais été aussi élevé dans notre pays, représentant actuellement environ 86 % des embauches. Et pour tous ces salariés précaires, la possibilité d'un emploi et d'un revenu de substitution gardé bien au chaud en cas de pépin n'existe pas. Et, comparaison n'étant pas raison, pas la peine d'insister sur le fait que les conditions de travail de l'immense majorité d'entre eux n'ont pas grand chose à voir avec celles d'une ministre.
Face à cette situation, deux mots me viennent à l'esprit: déchéance, de la parole publique, et indécence, de la posture politique, dans le climat de désespérance sociale actuelle. Mais à la limite, Emma, ces choix, très personnels, t'appartiennent. Je n'ai absolument pas envie de juger, de dénoncer ou de crier à la « trahison ». Simplement, en tant qu'électeur et militant écologiste, et spectateur du Petit Journal, j'en ai ras le bol d'avoir la « chouma », tout comme l'impression de m'être bien fait avoir.
Non le Petit Journal n'est pas une simple « émission humoristique ». C'est nier l'excellent travail de toute l'équipe de journalistes professionnels de Bangumi (la boîte de prod' du Petit Journal). Lorsque par exemple Martin Weill se rend dans des zones de guerre pour rendre compte de la vie sous Daesh, on n'est pas dans l' « humoristique ».
Non ce n'est pas faire le jeu du Front National que de montrer l'incohérence d'une élue écologiste qui, devenue ministre, s'accroche tout de même à son mandat régional en jouant sur les mots. C'est faire son métier de journaliste.
Oui c'est plutôt ce cumul et ce non respect de la parole donnée qui font le jeu du FN (qui par ailleurs en matière de cumul des mandats est sans doute le parti le plus lamentable, mais son électorat lui semble s'en moquer, à l'inverse de l'électorat écologiste).
Au passage, ce sont l'ensemble des militants et des adhérents d'EELV, et plus largement des électeurs écologistes, qui se sentent insultés après cette interview désastreuse au Petit Journal. Aujourd'hui, j'en arrive à regretter d'avoir voté pour la liste « changer d'air en Ile de France ».
Après des mois de débats stériles sur l'entrée ou non au gouvernement, après la quasi inexistence d'EELV pendant toute la COP 21, après les démissions au compte-goutte de tous les faux écologistes et vrais égologistes qui mettaient en scène leur démission pour monnayer leur ralliement à François Hollande, après le départ d'une cheffe de partie sans préavis pour aller rempiler au ministère du logement en toute fin de quinquennat, sans budget ni marge de manœuvre pour espérer quoi que ce soit d'autre qu'une ligne « prestigieuse » sur un CV, nous avions pourtant enfin une raison d'être fier d'être écologiste cette semaine en écoutant Philippe Lamberts intervenir au Parlement européen de Strasbourg:
Malheureusement les réjouissances furent de courte durée. Il est donc vraiment urgent d'en finir avec ce tout à l'égo et cette image désastreuse donnée actuellement en France par les écologistes. Oui tu n'es plus membre d'EELV Emma, mais qui perçoit aujourd'hui la nuance à part les excités des listes internes? A l'instar de Bénédicte Monville-De Cecco, il serait bien que les autres conseillers régionaux écologistes franciliens s'expriment aujourd'hui publiquement pour se désolidariser d'Emma Cosse et lui demander enfin sa démission du groupe à la région. Il ne s'agit pas de remettre en scène une nouvelle fois les divisions des écologistes, il s'agit de clarifier politiquement une situation désastreuse pour espérer ensuite pouvoir reconstruire une écologie un tant soit peu désirable.
Mais peut-être cela doit-il se faire finalement à côté des partis, en dehors de ce monde politique de plus en plus cynique et devenu totalement hors sol, auprès d'écologistes du quotidien, d'objecteurs de croissance, de promoteurs locaux d'alternatives concrètes qui préparent en silence, loin des médias et des batailles d'égos, le monde de demain.
Alors, chère Emma, libre à toi d'agir à ta guise et de faire des choix plus personnels que politiques, mais merci d'avance de bien vouloir faire preuve d'un peu d'humilité, de ne pas faire de leçon de déontologie au Petit Journal, et de te montrer parfaitement cohérente en démissionnant du groupe écologiste à la région Ile de France.
En attendant, plus que jamais, nous avons besoin de Tout autre chose pour l'écologie.