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Billet de blog 9 mai 2024

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La psychologie évolutionniste : la grande supercherie

La psychologie évolutionniste est le nouvel étendard de la sphère réactionnaire alors que rien n'en démontre le caractère réellement scientifique. Décryptage d'une pseudoscience qui vient servir toutes les paniques morales.

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La psychologie évolutionniste s’immisce tranquillement dans le débat public par le biais des fameux mascus (masculinistes) dont les liens avec la sphère réactionnaire et l’Extrême droite ne sont plus à démontrer. En effet, le documentaire diffusé fin avril sur France Télévision réalisé par Pierre Gault fait état des affres de cette tendance très populaire chez les jeunes hommes. 

Une théorie qui rallie tous les réactionnaires

Désormais démasqués, les mascus doivent user de nouveaux dogwhistles (appel du pied, signe de ralliement, nom de code) pour infiltrer les différentes sphères qui échappent encore à leur rhétorique où toute évolution des moeurs serait une mise en danger de l’humanité toute entière. Jusque là, c’était le terme de redpill qui leur permettait de se reconnaître entre elleux (et oui, ce ne sont pas que des hommes cis), entendue comme l’incarnation du choix pour la Vérité. 

Vérité qui serait forcément biologique, forcément naturelle, forcément bonne. Le bon, le beau et le bien de Platon qui volent dans le ciel des idées sans que la marmotte qui emballe le chocolat n’y trouve rien à redire. Autrement dit, le masculinisme pour être “absolument Vrai” doit se fonder forcément sur des études, toutes hautement scientifiques bien sûr. 

Attardons nous donc sur les sources. De Jordan Peterson, inventeur de la discipline, à ses disciples de Julien Rochedy (ancien directeur national du FNJ), à Thaïs d’Escufon (ancienne membre de Génération Identitaire) en passant par Marguerite Stern (initiatrice des collages contre les fémicides, ancienne membre des FEMEN et aujourd’hui figure de proue du féminisme transphobe avec sa collègue Dora Moutot), toustes n’ont qu’un terme à la bouche répété en boucle : la psychologie évolutionniste. Mais au final, ce sont les mêmes comme le dirait Nayra donc bon…

CEST LES MÊMES - NAYRA © NAYRA

Un fourre tout qui sert de prophétie à toutes les paniques morales 

Présentée comme une discipline tout à fait honorable et scientifiquement démontrée, cette “psychologie” peut se résumer ainsi d’après Irène Jonas qui a consacré un article dès 2010 sur la question : 

“La psychologie évolutionniste repose sur le postulat que nos pensées et comportements, ainsi que nos caractéristiques physiques, sont le résultat de l’évolution soumise aux mécanismes de la sélection naturelle et de la sélection sexuelle.”Autrement dit, la psychologie évolutionniste considère nos comportements comme des “adaptations” au regard de l’environnement pour maintenir notre “nature”, notre “humanité naturelle” qui serait identique depuis la préhistoire et les fameux chasseurs/cueilleurs dont l’existence reste encore à prouver. 

Synthèse de la psychologie cognitive et de l’approche évolutionniste, cette “discipline” s’appuie pour Irène Jonas sur “une hypothèse de base voulant que notre cerveau, comme celui de n’importe quelle espèce animale se compose de circuits neuronaux programmés par des millions d’années d’évolution et que chaque espèce a développé des attitudes et des comportements particuliers pour survivre, les psychologues évolutionnistes se proposent de montrer comment notre  cerveau préhistorique continue à former nos comportements dans notre crâne du XXIème siècle.”

Que nous soyons des animaux, c’est un fait. Que nous puissions nous y réduire, non. Tout expliquer par notre animalité (notre biologie quoi), c’est nier la dimension culturelle de l’humanité, ses inventions, ses découvertes, ses erreurs aussi. En somme, comme Eesah Yasuke, on peut toujours l’attendre la prophétie, cela nécessite un peu de réflexion.

Eesah Yasuke- Prophétie (prod.Princess) (clip officiel) © EESAH YASUKE

La complexité fondamentale de l’humanité mise sous cloche

Faisant ainsi fi des remise en cause de l’évolutionnisme darwinien pur et dur et notamment des théories de la sélection naturelle sur laquelle elle se fonde, ses pourfendeur.ice.s ne cessent de répéter combien le mâle et la femelle en nous sont absolument à préserver sous peine de détruire l’humanité et le monde par la même occasion, essentialisant ainsi toujours un peu plus le masculin et le féminin histoire de ne surtout pas trop brouiller les pistes. 

Nous serions donc entièrement déterminé.e.s par notre biologie qui devient alors l’alpha et l’omega de tous nos comportements sociaux, pathologisant ainsi à nouveau toute “déviance” à “l’ordre naturel” comme par exemple l’homosexualité ou le refus de faire des enfants et empêchant ainsi par la même occasion toute évolution de l’espèce finalement. 

Plus à une contradiction près puisque cette théorie est essentiellement conçue pour donner un air scientifique à qui considèrent que le féminisme et les luttes LGBT seraient à l’origine de la décadence actuelle qui reste toujours à prouver. 

Reprenant ainsi le terme à Nietszche qui remettait plutôt en cause la morale platonicienne qui voulait catégoriser et hiérarchiser les individus en forts/faibles, bons/mauvais, hommes/femmes histoire que les vaches soient bien gardées), cette approche est totalement délirante et n’a absolument rien de logique ou de scientifique puisque par définition les êtres humains sont complexes et originaux comme le rappelle Leys dans Je suis.

LEYS - Je suis (Clip Officiel) © Leysofficiel

Non seulement, l’ordre naturel des choses n’est autre que l’évolution permanente, puisque dans la nature, tout, par définition, se transforme et se modifie au regard des évolutions environnementales comme le montre bien les différents rapports du GIEC. A cela s’ajoute que l’adaptation implique aussi des modifications de comportements et même génétiques d’usage. Autrement dit, la fameuse “nature en nous” dont parle ces théoriciens de l’apocalypse qui serait mise en péril par la “modernité” n’a pas de réalité, de consistance. Etienne Bimbenet, dans un article paru aux presses Universitaires de Paris Nanterre rappelait pour sa part dans Penser l’humain paru en 2018 que :

“Donnant tout au passé hominisant et rien au présent de notre humanité actuelle, celle-ci ne sait produire aucune réflexion anthropologique conséquente ; mais du coup toutes sortes de préjugés ininterrogés, la plupart du temps normatifs (en particulier du côté de la vie sexuelle), reviennent en contrebande.”

Des stéréotypes renforcés pour mieux asseoir les clichés 

C’est ainsi que les discours sur le féminin sacré et les hommes alpha pullulent à nouveau sur les internets alors qu’ils avaient été mis de côté faute de preuves suffisantes comme le rappelait Irène Jonas :

“Alors que les différences cervicales entre hommes et femmes se révèlent bien moindres que les différences entre sujets, on assiste néanmoins à une recrudescence de l’idée de natures féminine et masculine irréductiblement différentes, idée qui privilégie une dichotomie rigide à fondements biologiques tendant à nier les déterminismes sociaux et à invisibiliser, à travers la revendication d’une essence féminine, la hiérarchisation qui procède de la différentialisation.”

Notre nature n’est autre que d’évoluer, nous transformer, nous adapter. Le propre de l’humanité, un peu comme l’empathie face à la vulnérabilité d’autrui (celle là même que les mascus redoutent pourtant comme étant la preuve que les hommes n’en sont plus vraiment), c’est d’improviser face au réel, n’être régi.e par d’autres lois que celles culturellement (et non naturellement) déterminées avec tous les soucis que ça pose d’ailleurs, parce que précisément, si nous étions programmé.e.s à agir pour notre bien ça se saurait et peut être que le capitalisme, le patriarcat et la blanchité ne seraient pas des réalités. 

Aujourd’hui remise au goût du jour, par le biais du “behaviorisme” dans sa version anglo-saxonne et de la psychologie comportementale en français dans le texte, cette discipline se donne à voir comme un paragon de la psychologie humaine. A ceci près que la psychologie comportementale est aussi questionnable en ceci qu’elle axe la thérapie sur le symptôme sans toujours prendre en compte la fonction de ce dernier. En effet, le symptôme a un sens. Il n’est pas le lieu du problème mais son expression et ce n’est pas en soignant ou en annulant une expression d’un mal être que celui-ci disparaît. Il mute, se déplace, évolue comme le rappelle Ekloz dans Tout finira.

Ekloz - Tout Finira © EKLOZ

Des représentations de l’humanité centrées sur l’individu et la rentabilité

Plus pratiques car plus courtes et plus “efficaces”, les thérapies comportementales ont pourtant le vent en poupe dans un monde capitaliste. C’est rentable, donc ça marche et comme le marché de la santé mentale est en pleine expansion depuis le COVID notamment, pourquoi s’en priver me direz vous ? C’est notamment sur ce principe que se fondent les différentes formes de coachings en développement personnel dont nous avons déjà parlé ici, pas la peine d’y revenir. 

Bien en phase avec le capitalisme et le culte de l’individu, les thérapies comportementales permettent de se “réparer” aussi vite que possible et tant pis si je remplace une addiction par une autre ou que je continue d’être une personne bien toxique, puisque je le vaux bien et que c’est “ma nature profonde”. Cette accointance est ce qui rend ces théories “tendances” et cette “tendance” tend à annuler les critiques potentielles puisque l’effet de masse fait son oeuvre. Présentées comme des solutions miracles, pourquoi les remettre en cause ? Et c’est ainsi que la psychologie évolutionniste se voit auréolée du terme de “psychologie” alors que cette discipline n’a jamais consisté à “prédire des comportements” et/ou à établir des “profils types”, mais bien à comprendre et accompagner une personne dans les affres de sa construction toujours unique et imprévisible. Autrement dit à comprendre son SYSTM et le système dont nous cause Vicky R.

VICKY R - SYSTM © Vicky R

C’est ainsi que la psychologie évolutionniste articule les erreurs de la théorie évolutionniste (l’idée selon laquelle, la “nature” sélectionnerait les êtres les plus adapté.e .s, les plus forts.e.s, les mieux armé.e.s pour faire face à l’environnement) de Darwin avec les théories réactionnaires sur la “nature humaine” qui considèrent que cette nature est immuable et figée (l’Histoire ne leur a donc absolument rien appris alors qu’iels s’en revendiquent en permanence) et une psychologie comportementale qui se développe essentiellement en lien avec l’individualisme capitaliste actuel qui n’a pourtant rien de “naturel”. 

Le tout en agitant le spectre de la fin de l’humanité si l’évolution des moeurs se poursuit. A la manière des transphobes agitant le spectre du transhumanisme pour alerter sur les dangers de l’offensive des fameux “lobby trans” qui oeuvrerait à notre perte à toustes. Une bonne douille haineuse articulant allégrement des dimensions réactionnaires, racistes, sexistes et conspirationnistes finalement cette psychologie évolutionniste, mais rien ne nous empêche de changer d’avis comme pour Benzema comme y invite Ossem. 

OSSEM - Benzema ( Clip Officiel ) © OSSEM LEHUIT

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