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Billet de blog 30 mars 2016

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Loi Sapin 2. Enfumage de printemps ?

A l’heure où Michel Sapin nous raconte que l’arsenal contre la corruption va être renforcé,que les lobbys vont être encadrés, et les lanceurs d'alerte protégés, il faut se poser deux questions. A quoi doit-on s’attendre ? Peut-on faire confiance au ministre?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le gouvernement annonce que la France, grâce à la loi Sapin 2, va se doter d’une agence nationale de lutte contre la corruption,  d’un nouvel arsenal pour rattraper son retard en la matière sur les américains, éviter que les entreprises nationales fautives ne soient sanctionnées par des juridictions étrangères, encadrer également le travail des lobbys, enfin intégrer des mesures pour protéger les lanceurs d’alerte.

Dans Libération du 30 mars, Michel Sapin cherche à nous faire accroire que : « Sur les vingt dernières années, la France a beaucoup agi pour éradiquer la corruption des élus, des entreprises ou des fonctionnaires ». Novlangue orwellienne,  méthode Coué ? Enfumage de printemps, dirons nous, surtout lorsqu’il ajoute que « la France n’est pas un pays corrompu et personne ne la considère comme tel ».

Ignorerait-il le classement de l’OCDE où la France apparait en 26è place des pays les plus vertueux. « Un mauvais score. Non seulement notre pays ne se situe pas dans le top 15 des pays les plus vertueux de la planète en matière de corruption - ce n'est pas nouveau -  mais il voit sa note globale baisser de deux points et perd quatre places au classement général » écrivait Le Parisien du 3 décembre 2014, à partir du classement de l’ONG Transparency International basée à Berlin.

Nous devons donc nous poser deux questions. A quoi doit-on s’attendre ? Peut-on faire confiance au ministre? 

A quoi doit-on s’attendre ?

Sur l’agence anticorruption.

L’expérience nous montre qu’avec ce gouvernement et avec son ministre de l’Economie et des Finances, il y a souvent loin des intentions à l’action.

La première question qui nous vient à l’esprit porte sur l’indépendance d’une agence sur la corruption. Pourra-t-elle s’autosaisir sur les cas de corruptions et demander des poursuites devant la justice ? On attendra la réponse.

Mais venant de Bercy on peut douter d’une ferme volonté de sévir demain, alors qu’aujourd’hui la mollesse est de règle. Mollesse envers les gros, pas envers les petits. (Voir *). 

L’exemple du parquet financier, qui ne peut s’autosaisir sur les cas de fraude fiscale, montre qu’on peut en douter. Le privilège de lancer des poursuites, dévolu au seul ministère, le fameux « verrou de Bercy », n’aide pas à l’optimisme.

Par ailleurs, son nouveau projet de loi dit clairement que  ne seraient pas interdits les cadeaux aux agents publics, puisque seuls ceux d’une « valeur significative » le seraient. Qui fixera la  hauteur de la barre ? Défense de rire. Ne peut-on tout simplement interdire tout cadeau à fonctionnaire ?

Sur la lutte contre les lobbys.

Combien de fois nous a-t-on repasser le plat sur les lobbys ? Trop souvent pour en rire, car c’est à pleurer. Pas un jour où on ne trouve la question évoquée, tant à Paris qu’à Bruxelles.

La plus récente : « Payé par Total, le médiatique pneumologue parisien, Michel Aubier, qui minimise les effets des particules fines, nie tout conflit d’intérêts », apprend-on dans Libération. Il risque de mettre un nouveau coup à la réputation des médecins, nous dit Sciences et Avenir. Aubier nie, mais le président de l’AP-HP annonce aussitôt prendre des mesures pour remédier à ce qu’une enquête, qu’il avait réclamée, sur les conflits d’intérêts, vient de révéler; tout en ajoutant que le cas Michel Aubier était regrettable.

Alors ce projet de loi Sapin 2 ? Novethic se montre optimiste : « Nous saluons l’introduction pour la première fois dans la loi du mot "lobbying" et nous estimons que l’approche choisie est la bonne ».

Nous somme quant à nous plus sceptique. Mais nous avons d’autres lectures. Delphine Batho, pour qui « la pression des lobbys n’a jamais été aussi forte », et qui donne quelques exemples dans Le Monde : « Faute de choix résolu au sommet de l'Etat, c'est le fait accompli qui finit par l'emporter : les boues rouges, le nucléaire, les pesticides ou encore l'absence de décision claire sur Notre-Dame-des-Landes… ».

Au niveau de l’Europe, le Parlement ne vient-il pas de dénoncer un accord de 2004 entre l’Europe et  Philip Morris International qui lui avait versé 1,25 milliard d’euros.  « Afin de compenser l’Union Européenne et les Etats membres du manque à gagner fiscal issu de la contrebande et de la contrefaçon de cigarettes », nous dit le site Toute l’Europe. Suave!

Le Foll ami des lobbys.

Mais revenons à la France. On a appris en février que Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture avait cédé au lobby alimentaire « en faisant pression sur sa collègue de la santé Marisol Touraine contre le projet d’étiquetage nutritionnel préconisé par ses services ». Ce sont les journalistes Elsa Casalegno (France Agricole), Karl Laske (Mediapart) et Nicolas Cori (Les Jours) qui, dans leur livre « Les Cartels du lait » (éditions Don Quichotte), paru en librairie le 4 février dernier, ont dévoilé les courriers et les notes internes des lobbyistes de l’industrie qui ont forcé la main du ministre. (Voir**).

Le travail est donc d’importance. Croyez vous que Sapin et sa loi y feront quelque chose ?

Sapin protecteur des lanceurs d’alertes ? Rêvons un peu.

Enfin ce projet de loi Sapin2 intègrera des mesures pour protéger les lanceurs d’alerte.

Des mesures mais pour quelles protections ?

A ce jour ce n’est pas l’Etat qui a montré l’exemple en matière de protection des lanceurs d’alerte. Lisons Le Monde du 19 février dernier. Titre de l’article de Fabrice Lhomme et Gérard Davet : « Affaire UBS : le policier viré parce qu’il en savait trop ». On y apprend que le contre-espionnage français a joué un rôle trouble en coulisse de l’affaire ; qu’il avait découvert, deux ans avant que la justice soit informée, tous les détails du processus frauduleux mis en place, en France, par le géant bancaire, et s’était bien gardé de saisir, comme la loi lui en fait obligation, l’autorité judiciaire ». « Quant à l’enquêteur susceptible de mettre au jour le scandale, il a été limogé en mai 2012 », apprend-on. « Le sujet UBS et fraude fiscale était déjà connu de ma sous-direction. (…) Le sujet était suffisamment sensible pour qu’on me demande de ne plus travailler dessus » a-t-il témoigné". Marginalisé à la DCRI, le capitaine Preuilh, qui voit sa notation baisser, sera finalement mis sur la touche juste avant le second tour de l’élection présidentielle de 2012. Son éviction lui est notifiée par le chef du contre-espionnage, Bernard Squarcini, l’homme de confiance de Nicolas Sarkozy. On se demande pourquoi?

Et vous croyez que demain, grâce à la loi sapin2 ça se passera mieux ?

La France tendre pour les banques, dure pour les lanceurs d’alerte. C’est ça, la vérité, à ce jour. Comme pourrait en témoigner Stéphanie Gibaud, qui a dévoilé l’affaire UBS en France. Virée par la banque après des années de harcèlement par ses supérieurs pour la contraindre au silence après qu’elle ait refusé d’effacer de son disque d’ordinateur tous les fichiers contenant les noms des clients litigieux et de leurs chargés d’affaires, elle vit du seul RSA et de l’aide de ses parents. Elle n’a pu retrouver du travail, n’a plus rien, doit assumer les frais d’avocats de ses procès avec UBS,  et, alors que par ailleurs elle doit collaborer avec la justice française, ne reçoit aucune aide.

Après des années de batailles, les prud’hommes viennent de lui donner raison contre UBS, mais ne lui allouent princièrement que 30 000 euros pour sa carrière brisée. Un cadeau pour la banque qui, bien entendu, ne fera pas appel.

Sapin, la politique en déshérence.

Tous les doutes sont donc permis sur le réel bénéfice à attendre de cette loi sapin2. On a trop d’exemples en tête sur les défaillances de l’Etat et l’actualité dévoile chaque jour ses preuves sur l’incompétence et la perversité de  personnel politique, dont Sapin est un bon exemple.

Du coté de chez Takieddine.

Ne vient-il pas d’accueillir dans son ministère un ancien conseiller de Juppé, habitué du cercle de Ziad Takieddine, corrupteur notoire ? Et de la nommer inspecteur des finances en service extraordinaire, un job qui lui donne du temps libre pour s’occuper de la primaire à droite pour Juppé. Au sujet de cette histoire et de quelques autres on a pu lire sur Mediapart : « L’éthique bat de l’aile au ministère des finances ».

Agence Française du développement. Couac dans les tuyaux.

Mais il n’y a pas que l’éthique qui fait défaut au ministère, il y a aussi la compétence, comme vient de la montrer la gestion de la réforme de l’AFD, qui, prévue dans la loi sapin 2 vient d’être annulée pour incohérences.

La naïve Belgique.

Et il n’y a pas que de l’incompétence chez sapin, il y a aussi une bonne dose d’arrogance, à consommation interne et externe. Par exemple, lorsqu’il critique la gestion du terrorisme par la Belgique. « Je pense qu’il y a eu une volonté ou une absence de volonté de la part de certains responsables politiques, peut-être par envie de bien faire, peut-être par sentiment que, pour permettre une meilleure intégration, il faut laisser des communautés se développer, peut-être aussi une forme de naïveté », vient il de proférer. Une naïveté pourtant bien partagée par la France, comme vient de le souligner le ministre de la Ville en affirmant qu’il y a en France « une centaine de quartiers qui présentent des similitudes potentielles avec ce qui s’est passé à Molenbeek ».

Loi de finance 2016 et amendement 340.

Mais nous avons d’autres raisons de nous montrer sceptique sur l’avenir de la  loi Sapin 2, comme sur le sens de l’Etat du ministre.

On a l’a vu avec la loi de finance 2016, qui a porté l’amendement 340 sur la fraude et l’évasion fiscale des entreprises à son épilogue. Souvenez vous. Il s’agir de cet amendement voté à l’Assemblée mais que le gouvernement a remis en question, mobilisant ses députés en pleine nuit sous la menace, pour faire invalider le premier vote. Opération réussie, mais sur laquelle le gouvernement a du revenir en partie tant le scandale a fait du bruit.

Désormais, les entreprises qui ont un chiffre d’affaires consolidé de plus de 750 millions d’euros ont obligation d'adresser chaque année à l'administration fiscale une déclaration confidentielle comportant la répartition, pays par pays, des "agrégats comptables et fiscaux", ainsi que des "informations" sur la localisation et l'activité des différentes entités du groupe. Le défaut de déclaration sera sanctionné par une amende de 100 000 € ». Un montant ridicule, qui montre à quel point Bercy est proche des multinationales et non du coté de l’intérêt général, qui consisterait à faire rentrer dans les caisses de l’Etat les recettes perdues du fait de fraude et d’évasion fiscale***.

Revenu de base, ou universel.

La fermeture d’esprit du ministre s’est aussi montrée récemment à l’occasion de la discussion de l’éventualité d’un revenu de base universel. A l’heure où le rapport du Conseil national du numérique remis à la ministre du travail aborde sans tabou cette question, à l’heure où la Suisse est appelée à voter par référendum sur cette question, Sapin affirme sur France Info son opposition. « La réponse de Bercy sera non ».

Donc, même  si cette loi Sapin 2 contient quelques avancées, la question de sa mise en application entraine quelques doutes, vu ce que le passé enseigne. Et lorsque Sapin nous dit que Hollande doit remettre en avant les idéaux de gauche, n’est-ce pas qu’il les aurait perdus ? Mais le Président est le meilleur candidat à gauche pour 2017, dit-il aussi. On peut tout à la fois se faire du souci pour Hollande, pour la gauche et pour la France.

https://blogs.mediapart.fr/bernard-leon/blog/230316/etat-technocrates-parlementaires-decadence-d-un-systeme

**  https://www.mediapart.fr/journal/france/050216/les-cartels-du-lait-le-foll-ministre-sous-influence

*** 

http://www.mao-eco.fr/2016/01/ps-fraude-et-evasion-fiscale-renoncement-grandeur-et-decadence.html

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