Quatre arrêtés préfectoraux étaient sur la sellette :
- l'arrêté déclarant l'utilité publique (DUP),
- l'arrêté autorisant le projet de barrage et le déclarant d'intérêt général (DIG),
- l'arrêté permettant la destruction d'espèces protégées
- et l'arrêté permettant le défrichement de la zone (pris le 12 septembre 2014, alors que tout avait été rasé avant, comme je l'ai souligné dans de nombreux textes dont celui-ci...).
Il faut comprendre qu'il y a dans ce type d'opération deux décisions que je qualifie souvent de "fondamentales", les autres sont importantes mais accessoires aux deux premières :
1- la DUP est celle qui permet l'ensemble de l'opération, qui permet d'apprécier son utilité publique et en conséquence, si besoin, d'obtenir la maîtrise des sols par expropriation. Autre point TRES important : la DUP peut entraîner de plein droit la modification du Plan Local d'Urbanisme en vigueur sur le secteur concerné. A Sivens, il y avait ce qu'on appelle des "espaces boisés classés", c'est à dire des espaces qui bénéficient d'une des plus fortes protections en matière d'urbanisme et d'environnement. Suite à la DUP, le PLU de Lisle sur Tarn a été modifié pour les supprimer.
2- la DIG est celle qui autorise le barrage, avec toutes les contingences techniques qu'elle précise. Pour un barrage, on parle d'autorisation-loi-sur-l'eau, car elle doit respecter la loi sur l'eau et la directive européenne sur l'eau.
Concrètement, c'est la DIG qui a permis le chantier de Sivens. C'est pour empêcher ce chantier que des opposants se sont mobilisés sous des formes diverses. C'est pour permettre ce chantier que Manuel Valls a envoyé l'armée. Je ne veux pas minimiser le problème de la coupe des arbres, qui fait l'objet d'une autorisation DISTINCTE, même si elle s'inscrit dans l'opération d'ensemble prévue par la DUP et si elle était nécessaire à la création du barrage. J'insiste simplement sur l'importance de la DIG, car c'est cet arrêté qui permet de débuter et de finir le chantier.
A- Avis du rapporteur public sur la DIG
La DIG a été abrogée le 24 décembre 2015. En conséquence de quoi, le rapporteur public a argumenté, non sur le fond de cette décision manifestement illégale, mais sur le point qu'on ne pouvait plus juger la demande d'annulation, puisque la DIG avait été abrogée. Selon lui "les conclusions aux fins d'annulation sont devenues sans objet".
La position du rapporteur public ne m'étonne guère mais je ne partage pas son point de vue pour une raison que j'ai expliquée dans mon dernier mémoire : je soutiens que dès lors que la DIG a fait l'objet d'un commencement d'exécution très substantiel elle peut et doit être annulée. Nous verrons ce que jugera le tribunal, puisque "l'intervention" du Comité Sivens a été considérée recevable par le rapporteur public et non contestée par ailleurs.
Ce qui est sûr, c'est que nous sommes revenus là en plein cœur du débat que j'avais ouvert... en novembre 2014, époque où FNE et Ben Lefetey avaient préféré demander l'abrogation des arrêtés plutôt que de faire un référé qui aurait dû être gagné et que j'ai soutenu que cette démarche (demander l'abrogation) était pour le moins une ineptie, sinon qu'elle relevait de la magouille.
Le rapporteur public a bien précisé lors de l'audience que l'avis de la commission d'enquête sur Sivens doit être considéré comme défavorable, comme à Roybon, de sorte qu'il suffisait en novembre/décembre 2014 d'UN SEUL moyen sérieux pour gagner et qu'il n'y avait pas besoin de la condition d'urgence du droit commun des référés. Or il y avait 3 ou 4 moyens sérieux au moins ! C'est parce que FNE et Lefetey ont trompé les opposants sur cette question que les affaires de Sivens n'ont pas été jugées en 2015 et que cette affaire est partie à vau l'eau avec l'évacuation de la ZAD que l'on a connue (voir mon premier billet Mediapart).
Mais il est vrai qu'après la mort de Rémi Fraisse, Ségolène Royal, FNE et Ben Lefetey ont eu UNE ligne de conduite claire, simple et de développement durable. C'était la suivante :
ON VA S'ARRANGER, ON VA S'ARRANGER, ON VA S'ARRANGER...
C'est en contestation de cette ligne que nous avons fait le Brexit avec mes amis car nous considérions qu'il était indigne de s'arranger avec l'Etat après la mort de Rémi Fraisse et après ce qui s'était passé, et cela d'autant plus que nous considérions que la DUP et la DIG étaient illégales et que nous savions que les arbres avaient été coupés en infraction au code forestier.
C'est en application de la ligne "on va s'arranger" que FNE et Lefetey n'ont pas voulu faire un référé et gagner en justice après la mort de Rémi, que plus d'une année plus tard, Ben Lefetey continuait à être reçu dans les salons de la préfecture alors que strictement RIEN n'avait bougé dans les dossiers en justice !
Vu l'incurie du staff FNE, c'est le Comité Sivens qui a versé aux débats les pièces fondamentales qui ont permis au rapporteur public de donner un avis sans équivoque sur l'illégalité de la DUP.
B- L'avis du rapporteur public sur la DUP
Le rapporteur public a mis l'accent sur l'importance majeure de la zone humide de Sivens dans le Tarn, zone d'une seul tenant très difficile à compenser par des petites parcelles ; sur le nombre (qualifié de "rare"...) des avis défavorables, ONEMA, CNPN, CSPN..., sur l'avis qui doit être considéré comme défavorable de la commission d'enquête (voir mon texte ancien sur la question que des sectateurs de Lefetey n'avaient pas daigné lire) ; sur les études trop anciennes, de 2000 et de 2001 qui n'avaient pas intégré les données de 2009, et surtout, à partir des pièces clefs que le Comité Sivens a versées au dossier en novembre 2015, sur la surestimation manifeste des besoins en eau eu égard au nombre d'agriculteurs concernés, "supérieure à 35%" a-t-elle dit ; enfin sur le coût disproportionné par rapport à des ouvrages similaires.
Elle a conclu en laissant entendre qu'elle aurait pu en rajouter mais qu'un seul moyen suffisait. Il sera difficile au tribunal de ne pas suivre son rapporteur public sur l'annulation de la DUP demandée.
C- l'avis du rapporteur public sur l'arrêté "des espèces protégées" et sur l'arrêté de déboisement.
Dans la suite de son analyse circonstanciée - même si elle n'était pas exhaustive - de la DUP, le rapporteur public a demandé au tribunal d'annuler l'arrêté du 16 octobre 2013 dit "des espèces protégées", estimant que la dérogation n'obéit pas à un intérêt majeur, l'utilité publique de l'opération étant "douteuse"
De manière assez argumentée, en se fondant sur les articles 341-5 et 341-6 du code forestier, le rapporteur public a aussi demandé l'annulation de l'autorisation de défrichement qui avait été donnée en urgence le 12 septembre 2014. Le boisement portant en partie sur la zone humide, l'affaire des Chambaran (Roybon) a été évoquée. Dans ce cas, il faut des mesures compensatoires, avec un coefficient suffisant, ce qui n'a pas été le cas à Sivens. Il sera difficile pour le tribunal de valider une telle autorisation de défrichement s'il annule la DUP, et à vrai dire, à mon sens, impossible.
EPILOGUE
L'audience au tribunal administratif est l'occasion d'entendre la position du rapporteur public, qui est parfois pointue (les grands juristes du droit administratif se sont "fait la main" en étant "commissaires du gouvernement", ancien nom de la fonction, et en donnant leur avis sur les affaires ). On estime à la louche que la position du rapporteur public est suivie à 70% par le tribunal. Mon sentiment est que le rapporteur public a bien vu l'essentiel du dossier Sivens - qui est important. Je ne partage pas sa position sur le non lieu à statuer pour la DIG même si ce problème n'aurait jamais dû se poser dans le cadre d'une conduite normale de ces affaires. Mais nous verrons ce qu'en dira le tribunal car les arguments des uns et des autres sont devant lui.
Je regrette une fois de plus que ces affaires n'aient pas été jugées, comme elles auraient dû l'être, il y a un an, au profit de discussions fumeuses sur un prétendu projet de territoire qui a tout l'air d'être un attrape-couillons et qui aura du mal à mettre autour de la table Ben Lefetey, la FNSEA, FNE et les communes du secteur pour quelque résultat positif.
Si, après la mort de Rémi Fraisse, le mot d'ordre de Ben Lefetey n'avait pas été "On va s'arranger, on va s'arranger", la DIG aurait été annulée depuis longtemps avec de nombreuses conséquences pratiques et morales.
Je note qu'après avoir servi la soupe à l'Etat depuis le mois de novembre 2014, il est amusant de voir que le staff FNE a attaqué devant le tribunal administratif le protocole d'accord passé par l'Etat et le Conseil Général le 24 décembre 2015 alors qu'il avait tout fait auparavant pour que l'affaire conduise à un tel protocole ! Amusant aussi de voir Ben Lefetey menacer maintenant de ne plus participer aux réunions du fameux projet de territoire ! On commencerait à se rendre compte qu'on a été roulé dans la farine ? A moins que la vérité fasse son chemin sur les petits arrangements qui ont été passés après la mort de Rémi...
PS- Si vous avez bien lu, vous avez compris que le rapporteur public était une femme, qui avait du souffle compte tenu du travail, et que je me suis gardé d'appeler la rapporteuse publique (ne lui ayant pas demandé son avis sur cette question épineuse...)
Ce billet est la suite de mon billet d'hier https://blogs.mediapart.fr/bernard-viguie/blog/230616/sivens-enfumage-tous-les-etages