
Voici ce qu’on peut lire dans Matthieu, 18, 1-6, et qui, visiblement, n’a pas été entendu par grand monde, et encore moins au Vatican, la faute sans doute à l’épaisseur des marbres précieux, lests de la piété vénale :
1 « En ce même temps les disciples s’approchèrent de Jésus, & lui dirent : “Qui est le plus grand dans le royaume du ciel ?”
2 Jésus ayant appelé un petit enfant, le mit au milieu d’eux,
3 & leur dit : “Je vous dis en vérité que si vous ne vous convertissez, & si vous ne devenez semblables à de petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume du ciel.
4 C’est pourquoi quiconque s’humiliera, & se rendra petit comme est cet enfant, sera le plus grand dans le royaume du ciel ;
5 & quiconque reçoit en mon nom un petit enfant tel que je viens de dire, me reçoit moi-même.
6 Que si quelqu’un est un objet de chute et de scandale à un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui que l’on pendît à son cou une de ces meules qu’un âne tourne, & qu’on le jetât au fond de la mer.” »[*]
Né dans la paille d’une étable, au milieu des bêtes, Jésus finit crucifié sur le Golgotha, monticule désolé où Jérusalem entassait ses immondices. Comme un raccourci de l’histoire de l’humanité dite improprement (ou malproprement) « civilisée ».
Hans Jonas, paraphrasant l’impératif catégorique kantien, a reformulé l’avertissement christique dans son maître ouvrage Le principe Responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, publié en 1979 : « Agis constamment en sorte que les conséquences de ton action demeurent compatibles avec la persistance d’une vie authentiquement humaine sur cette Terre. » Notre postérité nous oblige. Cette morale-là est universelle. En deçà comme au-delà des Pyrénées, le minimum que nous puissions faire, qui est en réalité un maximum puisque, infirmes du cœur, nous n’y parvenons pas, est d’assurer à nos enfants des conditions non pas de survie mais de vie sur Terre sinon meilleures, du moins aussi bonnes que les nôtres à notre naissance.
Regardons ce que devient la planète, ce que deviennent nos sociétés par notre faute collective et individuelle, et osons ensuite soutenir sans ciller le regard inquisiteur de nos enfants, osons leur dire sans vergogne que nous les aimons. Puissent-ils nous pardonner un jour, s’il est un surlendemain à leur lendemain.
L’Apocalypse n’est pas dans Jean, elle est dans le rapport Meadows, publié en 1972 et confirmé en 2012 dans son pire scénario par la Smithsonian Institution, qui a repris les calculs en y ajoutant les données du bouleversement climatique en cours. Les apôtres de la croissance sont les cavaliers de cette Apocalypse. Que nous ne le comprenions toujours pas plus de 40 ans après, alors que l’écocide global est enclenché, que la biodiversité s’effondre, établit le niveau de notre entendement et la densité de notre amour du prochain.
La croix de l’enfance est un horizon barré. Et c’est le signe de la fin.
Mais tant que nous pouvons balancer des bagnoles dans l’espace, continuons de regarder le versant lumineux de notre existence.
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[*] Nouveau Testament, traduit en français d’après la Vulgate, avec les différences du grec, par Isaac-Louis Le Maistre de Sacy, Mons, chez Gaspard Migeot, 1667, t. 1.