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Billet de blog 18 mars 2025

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J’ai mal à mes gauches

La vie des gauches ne se réduit certes pas à celle des partis qui prétendent les incarner, mais l’indignation soulevée par un visuel honteux de LFI, au-delà des anathèmes automatiques et d’une défense piteuse, devrait nous interroger sur notre accoutumance à la violence politique, entre gens du même bord. Il est permis de se rudoyer, mais au moins faisons-le en frères de la côte.

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Il y a quelque chose de désespérant, quand on est de gauche, à devoir protester de sa sympathie pour tel mouvement avant d’émettre ou après avoir émis une critique sur sa stratégie ou sa phraséologie ; mais c’est sans doute parce qu’on est de gauche, aussi, qu’on prend cette précaution, « sensiblerie woke » oblige, dirait-on du côté des sectateurs du darwinisme social. Cette sensiblerie n’est jamais qu’un respect de principe envers celles et ceux qui ne se résignent pas à la condition qui leur est faite et tentent, fût-ce maladroitement, en lâchant leurs bordées tous azimuts, dans un cadre militant qui peut être violent ou sur un forum de média participatif où il y a pourtant plus de raisons de fraterniser que de se foutre sur la gueule, de s’outiller pour la résistance ou de partager leur boîte à outils. Il est permis de se rudoyer dans le débat, mais au moins faisons-le en frères de la côte, pas en commando suicide contre son camp. Tout moyen n’est pas bon.

Ceci posé, car on ne désespère qu’à demi, il y a quelque chose de navrant à constater qu’un mouvement qui se veut et se prétend, dans sa réclame, à la pointe de l’émotion populaire, expert du bris de jougs, fer de lance de l’insubordination des consciences, soit à ce point réfractaire à l’autocritique sur un sujet aussi sérieux que sa communication, alors qu’il devrait se faire une joie que l’ébullition militante le prémunisse, en interne, de se croire infaillible, à l’avant-garde ou au sommet de quoi que ce soit, quand il apparaît de plus en plus que le champ d’une bataille qui ne l’a pas attendu est partout, dans des microluttes quotidiennes qui se structurent et se ramifient souterrainement, hors étiquettes partisanes bien que sur des bases et des thèmes révolutionnaires de noble et antique tradition, ou à l’occasion de jacqueries modernes, surrections du génie populaire auxquelles les partis s’agrègent, en auxiliaires utiles mais prudents, encore trop ménagers des intérêts dominants, bien plus qu’ils ne les provoquent ou ne les mènent.

On ne peut pas attendre des apparatchiks ou des caciques du milieu parlementaire qu’ils appliquent à eux-mêmes le dégagisme qu’ils professent. Ils seront révolutionnaires, dans de beaux et grands élans lyriques, mais pas au point de savonner la planche de la guillotine avant d’y monter à leur tour. C’est trop d’exiger d’eux ce sacrifice, mais du moins doivent-ils convenir que l’élection, par définition, expose à l’abus, à la paresse et au psittacisme, et que le couronnement de la démocratie implique qu’ils renoncent à leur trône. Leur rôle, et leur devoir, dans une république défectueuse comme la nôtre, est d’interpeller et de mobiliser les quelques relais administratifs de l’intérêt général, d’harmoniser les doléances des citoyen·nes qui leur parviennent, pour autant qu’ils écoutent plus qu’ils ne s’écoutent, d’entretenir et d’enrichir la culture politique, y compris à leur détriment, car leur personne n’est pas sacrée et leur position éminente ne leur vient que de ce qu’ils sont supérieurement comptables devant les collectivités humaines qu’ils représentent imparfaitement.

Enfin, il y a quelque chose d’inquiétant à s’entendre répondre, par des militants et des responsables d’un parti de gauche particulièrement attendu sur le sujet, dont le moindre faux pas, la moindre ambiguïté sont surexploités par des adversaires pourtant bien moins au net que lui là-dessus, qu’il n’y a pas de problème, sinon peut-être, éventuellement, à bien y regarder, une maladresse, quand, pour un visuel contre l’extrême droite, sont mobilisés les codes d’une iconographie antisémite transparente. Une iconographie systématique dont il est facile, par Internet, si l’on a un doute, de remonter le fil d’archives jusqu’au XIXe siècle et qui a fini par absorber, dans les années 1930 et 1940, les francs-maçons et… les socialistes, avant d’incorporer l’Arabe à l’amalgame après-guerre.

Le service de communication de La France insoumise méconnaît-il à ce point la mémoire des persécutions de sa propre famille politique ? Est-il à ce point ignorant du sens même de sa tâche qu’il pense sauver la face en affirmant que même sans cet effet de caricature, l’odieuse – indubitablement – personne caricaturée est au naturel un repoussoir du même ordre ? Est-il à ce point néophyte en matière de nouvelles technologies pour passer à côté des biais racistes et des stéréotypes culturels qu’embarque l’intelligence artificielle (IA) lorsqu’on s’en remet à elle pour façonner une image, outil moins futuriste que dans l’air (méphitique) du temps ? Est-il, enfin, assez immature pour rejouer la carte du « à l’insu de mon plein gré », alors qu’une IA produit du contenu d’après des directives et qu’à moins de renoncer à sa raison d’être, un service de communication, avant de valider une proposition, réfléchit au minimum aux effets de bord susceptibles d’en brouiller, voire d’en inverser la réception ?

Ce n’est pas hurler avec les loups que de s’en inquiéter, après de nombreux errements qu’on a pu volontiers excuser ou mettre sous le tapis, à la place des intéressés, enfermés dans le déni, au risque de laisser suppurer certaines blessures dans les milieux antiracistes. C’est au contraire être attaché à la cause par des liens profonds que d’espérer un peu moins de Grand Guignol et un peu plus de subtilité et de sens du tragique de nos représentants et représentantes, pour le peu qu’on peut en espérer, qui n’est pas rien. Les loups, on les combat depuis plusieurs années déjà, mais pas à leur mode, en leur hurlant dessus ou en leur montrant les crocs en retour. Un miroir n’offre pas d’horizon. Quoi que LFI fasse ou dise, en bien comme en mal, les fauves mordront toujours. Une faute morale comme celle-ci, redoublée par le moment de bascule où nous sommes, leur donne juste double ration de leur proie favorite. Le vrai enjeu est d’étendre le maillage et d’affermir l’intersectionnalité des luttes, en rendant les risques, les nouveaux apprentissages qu’une telle entreprise présuppose plus désirables que l’apparent confort de s’en tenir à l’écart en cultivant son jardin ou en tapant sur plus vulnérable que soi, proche ou lointain.

Pareille communication trash, qui singe les punchlines des réseaux sociaux en plus de réactiver la figure du bouc émissaire, donne aussi peu envie de s’y associer que les slogans automatiques diffusés en manifestation par les haut-parleurs des camionnettes syndicales ; pire, elle introduit le loup dans la bergerie. Il est tout aussi important d’identifier la défaillance que d’en accepter la condamnation et d’en tirer les enseignements, moins pour déjouer la critique de l’extrême droite et de l’extrême centre coalisés, qui, en bons tartuffes, se sentant morveux, se mouchent dans le mouchoir d’un autre, que pour ne pas décourager les personnes pour qui le racisme, décomplexé ou déguisé, est un calvaire de tous les instants de prendre pleinement leur part de la construction du monde d’après, dans un cadre qui rompe avec les vieux référentiels pourris. Ce n’est pas vouloir la mort de LFI, qui n’est qu’une des gauches, que de le souhaiter. Ce serait à l’inverse la vouloir que de s’en dispenser, car cela confirmerait le procès en sclérose et en subordination au chef qui lui est régulièrement fait. Nul ne se croit indispensable, s’il est démocrate, et la première vertu du chef, dans un parti qui se proclame émancipateur, à sa micro-échelle, est d’apprendre à ses membres à se passer de chef. Peut-être un parti sans capitaine se trompera-t-il autant, tâtonnera davantage, mais il lui sera plus facile aussi de se corriger, de se renouveler, de se créoliser, affranchi de ces guéguerres qui nous laissent exsangues au seuil de la guerre sociale en cours.

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